L´expertise judiciaire réformée est modifiéePar Pascal Staquet [Mayerus & Staquet]Mardi 26.01.10 |
Pour le juge qui l’ordonne, l’expertise judiciaire doit être un outil de travail fiable d’un point de vue du raisonnement scientifique, compréhensible d’un point de vue du langage utilisé et exploitable dans le cadre de la réflexion juridique qui est la sienne afin de lui permettre de rendre, en pleine connaissance de cause, une décision de justice.
Estimant les expertises judiciaires trop souvent longues, coûteuses et lourdes, le législateur avait réformé les articles du Code judiciaire relatifs à l’expertise par la loi du 15 mai 2007, publiée au Moniteur belge le 22 août 2007. Cette loi ne constituait cependant pas une révolution et, il faut bien le reconnaître, a, sous certains aspects, créé davantage de difficultés qu’apporté de solutions.
Afin de remédier à certains problèmes mis en lumière depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le législateur vient de procéder à quelques modifications que l’on retrouve dans la loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses en matière de justice (II) publiées au Moniteur belge le 15 janvier 2010.
Il ne sera question ici que d’évoquer différents changements apportés sans en faire une analyse approfondie.
I.- OBJECTIF DE LA LOI DU 30 DECEMBRE 2009
Les modifications apportées au Code judiciaire concernant l’expertise constituent avant tout, pour le législateur, des dispositions dites réparatrices ayant pour objet d’apporter des améliorations techniques susceptibles de favoriser le bon déroulement de la procédure d’expertise.
Dans le prolongement de la réforme initiée par la loi du 15 mai 2007, les présentes modifications ne se sont pas éloignées de la volonté initiale du législateur qui avait notamment rappelé le caractère subsidiaire de l’expertise, le rôle accru et actif conféré au juge, l’accélération du déroulement des travaux d’expertise ainsi qu’un coût raisonnable de celle-ci.
II.- MODIFICATIONS APPORTEES PAR LA LOI DU 30 DECEMBRE 2009
• Le contrôle du juge est renforcé dans le cadre du choix de l’expert à désigner. Ainsi, s’il peut désigner le ou les expert(s) sur le(s)quel(s) les parties ont marqué leur accord, il peut également déroger au choix des parties à condition qu’il motive sa décision (article 962 nouvel alinéa 2 du Code judiciaire) ;
• Afin de permettre une plus grande flexibilité lors des travaux d’expertise, le législateur permet aux parties qui en font conjointement la demande de poser à l’expert des questions qui sortent de la mission telle que libellée dans la désignation. A défaut d’accord entre les parties, l’expert ne donne son avis que sur la mission dont les termes sont repris dans la décision intervenue (article 962 alinéa 3 nouveau du Code judiciaire) ;
• Le législateur a précisé les décisions concernant l’expertise judiciaire susceptibles d’un éventuel recours (article 963, § 1er, alinéa 1 du Code judiciaire).
De plus, les décisions susceptibles d’opposition ou d’appel sont exécutoires par provision. Il s’agit des décisions relatives à la récusation ou au remplacement de l’expert, à la fixation de la consignation de la provision sur frais et honoraires et à la décision de la taxation de ces derniers (article 963 § 2 nouveau du Code judiciaire) ;
• La mise en œuvre de l’expertise perd son caractère automatique. En effet, les parties qui comparaissent peuvent demander, avant que la décision ordonnant l’expertise ne soit prise, une suspension de la notification. A défaut, la notification sera réalisée automatiquement par le greffe dans les cinq jours.
En cas de suspension, chacune des parties peut, à tout moment, solliciter la notification par le greffe de cette décision (article 972 § 1er alinéa 2 complété du Code judiciaire) ;
• En cas de refus par l’expert judiciaire de sa mission, le législateur a prévu que les parties peuvent formuler, dans les huit jours, leurs observations éventuelles au juge qui désigne ensuite un nouvel expert, sans suivre la procédure de remplacement (article 972 § 1er alinéa 3 nouveau du Code judiciaire) ;
• La réunion d’installation prévue d’office - sauf renonciation du tribunal avec l’accord des parties - est supprimée. Elle n’est fixée que si le juge l’estime nécessaire ou si toutes les parties en font la demande (article 972 § 2 nouveau du Code judiciaire) ;
Si aucune réunion d’installation n’a été prévue, l’expert judiciaire désigné dispose de quinze jours pour communiquer aux parties les lieux, jour et heure du début de ses travaux et ce par lettre recommandée à la Poste aux parties, par lettre missive au juge et au conseil des parties (article 972 § 1er alinéa 4 nouveau du Code judiciaire) ;
Si une réunion d’installation a été prévue dans la décision, elle a lieu en Chambre du conseil ou dans tout autre endroit désigné par le juge en fonction de la nature du litige. Sauf si le juge estime que la présence de l’expert n’est pas nécessaire et qu’un contact téléphonique ou par tout autre moyen de télécommunication suffit, la présence de l’expert est requise. En cas d’absence non justifiée de ce dernier, le juge statue immédiatement sur son remplacement (article 972 § 2 nouveau du Code judiciaire) ;
• Dans tous les cas, la décision ordonnant l’expertise judiciaire mentionne tous les éléments jugés nécessaires par le magistrat mais, à tout le moins, la nécessité de faire ou non appel à des conseillers techniques, l’estimation du coût global de l’expertise ou le mode de calcul des frais et honoraires de l’expert et des éventuels conseillers techniques ; le cas échéant, le montant de la provision qui doit être consignée, la ou les parties tenues d’y procéder et le délai dans lequel la consignation doit avoir lieu ; la partie raisonnable de la provision pouvant être libérée au profit de l’expert, la ou les parties tenues d’y procéder et le délai dans lequel la libération de la provision doit avoir lieu et enfin, le délai pour le dépôt du rapport final (article 972 § 2 nouveau du Code judiciaire) ;
Sauf si une réunion d’installation est organisée, il est fort probable que les mentions relatives au coût global de l’expertise, au mode de calcul des frais et honoraires de l’expert ou des éventuels conseillers techniques ou encore à la nécessité de recourir à des sapiteurs ne pourront figurer dans la décision ;
• Afin d’accélérer les travaux d’expertise, le législateur précise que les parties sont tenues de transmettre leur dossier de pièces inventorié rassemblant tous les documents pertinents huit jours au moins avant la réunion d’installation ou avant le début des travaux (article 972 bis § 1er alinéa 2 nouveau du Code judiciaire) ;
• En ce qui concerne la procédure de demande de prolongation du délai imparti pour le dépôt du rapport final, le législateur implique davantage les parties.
S’il est maintenu que seul le juge peut prolonger le délai pour le dépôt du rapport final, la demande de l’expert est notifiée aux parties qui communiquent dans les huit jours leurs observations éventuelles au juge. Ce dernier peut ordonner la comparution des parties et de l’expert avant d’accorder ou non ladite prolongation (article 974 § 2 alinéa 1 nouveau du Code judiciaire) ;
• En ce qui concerne le délai dans lequel les parties doivent transmettre à l’expert judiciaire leurs observations sur l’avis provisoire déposé, il est déterminé soit par le juge, soit, à défaut, par l’expert judiciaire lui-même. Ce délai est d’au moins quinze jours (article 976 nouveau du Code judiciaire) ;
• Il est explicitement prévu que l’expert constate, par écrit, une éventuelle conciliation intervenue entre parties (article 977, § 1er, alinéa 2 nouveau du Code judiciaire) ;
• Il est confirmé que si les parties en font conjointement la demande, le juge doit remplacer l’expert judiciaire. Le législateur souhaite néanmoins que la demande formulée par les parties soit motivée.
Conformément au nouvel article 962 du Code judiciaire, le juge ne peut déroger au choix du nouvel expert si les parties se sont accordées à ce sujet qu’en motivant sa décision. Le juge statue dans les huit jours de la demande de remplacement et ce sans convocation ou comparution des parties (article 979 § 1er alinéa 2 nouveau du Code judiciaire) ;
• En vue de résoudre les éventuels problèmes qui pourraient se poser à l’avenir en ce qui concerne la consignation de la provision pour frais et honoraires de l’expert judiciaire, le législateur a prévu la possibilité pour le Roi de prendre un arrêté royal concernant les modalités de la consignation de ladite provision (article 987 alinéa 1er nouveau du Code judiciaire) ;
• Si le juge pouvait fixer la provision que chaque partie était tenue de consigner, rien n’était prévu en cas de défaut d’exécution par la partie désignée. Le juge pouvait uniquement en tirer les conclusions qu’il jugeait appropriées.
Afin d’éviter un certain immobilisme, le législateur prévoit dorénavant d’une part qu’à défaut d’exécution, la partie la plus diligente peut consigner la provision (article 987 alinéa 2 nouveau du Code judiciaire) et, d’autre part la possibilité pour le juge de contraindre la partie récalcitrante à procéder à la consignation et ce en délivrant un titre exécutoire à la demande de la partie la plus diligente (article 989 alinéa 1er nouveau du Code judiciaire) ;
Il est explicitement prévu qu’en cas d’absence de consignation de la provision, les experts peuvent suspendre ou reporter l’exécution de leur mission (article 989, alinéa 3 nouveau du Code judiciaire) ;
En ce qui concerne les montants libérés de la provision, le juge détermine explicitement s’ils englobent ou non la TVA. Il revient à l’expert qui est assujetti d’en informer le magistrat qui l’a désigné (article 987 alinéa 3 nouveau du Code judiciaire) ;
Il n’appartient plus au greffe ou à l’établissement de crédit d’informer l’expert de la consignation de la provision mais bien à la partie la plus diligente (article 987 alinéas 4
5 nouveaux du Code judiciaire) ;
• Lors de la réforme de l’expertise judiciaire, le législateur avait prévu l’obligation pour les parties de marquer leur accord ou leur désaccord sur l’état de frais et honoraires déposé par l’expert.
Dès lors que cela a entraîné de nombreuses procédures en taxation inutiles, le législateur a réintroduit la possibilité d’un assentiment tacite.
Il appartient donc à la partie qui souhaite contester le montant des frais et des honoraires réclamés par l’expert d’en informer le juge. A défaut d’être fait dans les trente jours du dépôt de l’état détaillé au greffe, le juge taxera les honoraires (article 991 § 1er nouveau du Code judiciaire) ;
En cas de désaccord motivé sur l’état de frais et honoraires déposé par l’expert, le juge ordonne la comparution des parties.
Afin de procéder à la taxation des frais et honoraires, il était prévu que le juge tienne surtout compte de la rigueur avec laquelle le travail a été exécuté, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni. A ces critères, le législateur ajoute que le juge peut en outre tenir compte de la difficulté et de la durée du travail fourni, de la qualité de l’expert et de la valeur du litige (article 991 § 2 alinéa 3 nouveau du Code judiciaire).
III.- CONCLUSIONS
S’il n’est pas certain que l’expertise judiciaire avait besoin de la réforme apportée par loi du
15 mai 2007, nous ne pouvons que nous réjouir de ce que le législateur a rapidement pris la mesure de certaines difficultés actuellement rencontrées dans la procédure d’expertise.
Les modifications apportées par la loi du 30 décembre 2009 résoudront sans nul doute certains problèmes rencontrés quotidiennement par les praticiens, qu’ils soient juges, avocats ou experts mais également par les justiciables. Si tout n’est pas parfait, saluons les avancées.
Pascal STAQUET
Avocat au barreau de Bruxelles
Cabinet MAYÉRUS & STAQUET (www.mayerus-staquet.be)