Responsabilité sans faute en droit médical: nouveau projet dans les starting-blocks !Par Pascal Staquet [Mayerus & Staquet]Jeudi 26.11.09 |
I. - ACTE PREMIER : LA LOI DU 15 MAI 2007
Par la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, une nouvelle réparation d’un dommage sans qu’aucune responsabilité ne doive être établie voyait le jour. Quelle qu’en soit la cause, les dommages en lien avec un « accident médical » allaient enfin être pris en charge.
Les victimes d’un accident dit thérapeutique se voyaient ainsi délestées du lourd fardeau que consistait la preuve qu’elles devaient apporter d’une faute commise par un prestataire de soins et/ou une institution de soins dans le cadre de la recherche d’une responsabilité et ce, qu’elle soit civile ou pénale.
II. - ACTE DEUX : REPORTS DE L’ENTREE EN VIGUEUR DE LA LOI
A deux reprises, l’entrée en vigueur de cette loi a été reportée, d’abord au 1er janvier 2009 et puis, sine die.
Depuis lors, les critiques vis-à-vis de cette loi n’ont cessé de s’amplifier au point que son « remplacement » pur et simple s’avérait inévitable.
III. - ACTE TROIS : UN NOUVEAU PROJET DE LOI
Dans la foulée du Conseil des ministres du 23 octobre 2008, qui a approuvé une note d’orientation modifiant considérablement non seulement le contenu de la loi mais aussi sa philosophie, un nouveau projet de loi relatif à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé a été déposé à la Chambre des Représentants ce 12 novembre 2009.
Passons succinctement en revue sa teneur avant de se poser quelques questions.
III.1.- Création d’un « Fonds des accidents médicaux »
Ce projet définit les conditions dans lesquelles une victime d’un « accident médical » non fautif doit être indemnisée.
Ainsi, il est question de la création d’un « Fonds des accidents médicaux » qui pourrait intervenir sans pour autant exclure le recours à une éventuelle procédure judiciaire en responsabilité professionnelle (en cas de désaccord quant à l’indemnisation ou encore en cas d’acte estimé fautif).
III.2.- Missions du « Fonds des accidents médicaux »
Le projet opte un système « à deux voies » (à la française) et consacre le libre choix de la victime de solliciter l’indemnisation de son dommage soit devant les tribunaux, soit devant le Fonds des accidents médicaux.
Le Fonds peut par ailleurs revêtir différentes casquettes. Ainsi, il aurait pour mission d’indemniser la personne lésée lorsqu’elle est victime d’un accident médical sans responsabilité (aléa thérapeutique), c'est-à-dire lorsque qu’aucune faute ne peut être reprochée au prestataire de soins.
Sur cette base, le « patient » pourrait être indemnisé du dommage anormal subi dans le cadre de ladite prestation de soins de santé et ce, pour autant que ce dommage ne résulte pas de l’état de santé du patient lui-même. Le projet spécifie en outre que l’échec thérapeutique et l’erreur de diagnostic non fautive ne constituent pas un accident médical sans responsabilité.
Un dommage serait considéré comme anormal lorsqu’il n’aurait pas dû se produire compte tenu de l’état actuel de la science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible. En d’autres termes, la loi aurait pour objectif d’indemniser les conséquences imprévisibles d’une prestation de soins, comme par exemple l’effet secondaire imprévu ou peu probable d’un traitement.
Par prestataires de soins, le projet entend, comme dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient, les praticiens professionnels visé par l’arrêté royal n° 78 relatif à l’exercice de soins de santé ainsi que ceux ayant une pratique non conventionnelle telle que reprise dans la loi du 29 avril 1999 (non encore entrée en vigueur).
Notons que l’institution de soins est elle aussi considérée comme prestataire de soins au sens du présent projet.
Par prestation de soins de santé, le projet de loi entend les services dispensés par un prestataire de soins en vue de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d’améliorer l’état de santé du patient ou de l’accompagner en fin de vie.
Cette définition reprend celle mentionnée dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
Comme dans le cadre du régime de la responsabilité de droit commun, l’indemnisation devra être intégrale. Il n’y a donc ni plafond ni franchise.
Cependant, pour pouvoir être indemnisé par le Fonds, le dommage devra présenter un certain seuil de gravité.
Le dommage aura un caractère suffisant de gravité lorsqu’une des conditions suivantes est remplie :
- le patient subit une invalidité permanente d’un taux égal ou supérieur à 25% ;
- le patient subit une incapacité temporaire de travail au moins égale à 6 mois consécutifs ou à 6 mois non consécutifs sur une période de 12 mois ;
- le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence. Il s’agit ici de tenir compte de l’impact « situationnel » du déficit fonctionnel, lequel varie avec les conditions de vie de la victime ;
- le patient est décédé.
Notons encore que le projet de loi exclut de son intervention l’indemnisation des dommages qui trouvent leur cause dans une prestation de soins accomplie dans un but esthétique sachant que le critère sera le remboursement éventuel de la prestation par l’assurance maladie-invalidité.
Par contre, les infections nosocomiales suivront le même régime que les autres types de dommage.
Une autre mission du Fonds serait d’organiser une procédure amiable de résolution des litiges lorsqu’un dommage trouve son sa cause dans un fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins (faute).
Ainsi, dans ce cadre amiable, le Fonds des accidents médicaux devrait jouer un rôle moteur dès qu’une demande d’indemnisation est introduite par une victime. Le Fonds instruit le dossier, organise, le cas échéant, une expertise médicale contradictoire et rend un avis sur l’origine fautive ou non du dommage allégué ainsi que sur son degré de gravité.
Le Fonds des accidents médicaux se verrait également confier une mission d’intervention lorsque la responsabilité d’un prestataire de soins n’est pas couverte ou pas suffisamment couverte par un contrat d’assurance professionnel ou lorsque, la responsabilité du prestataire ayant été reconnue, ce dernier ou son assureur conteste celle-ci ou tarde à adresser une proposition d’indemnisation à la victime.
Le Fonds indemniserait la victime et, subrogé dans les droits de cette dernière, tenterait de se faire rembourser en justice par le prestataire de soins ou l’assureur couvrant sa responsabilité professionnelle.
Enfin, et sans être exhaustif, le Fonds des accidents médicaux pourrait également organiser, à la demande d’une des parties, une médiation conformément aux articles 1724 à 1733 du Code judiciaire.
III.3.- Procédure devant le Fonds
Toute personne qui s’estime victime d’un dommage résultant de soins de santé ou ses ayants droit pourrait adresser au Fonds, par lettre recommandée à la poste, une demande d’avis sur la responsabilité éventuelle d’un prestataire de soins dans le dommage subi ainsi que sur la gravité de celui-ci.
Pour être recevable, cette demande doit être adressée au Fonds dans les cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage (ou de son aggravation) dont il est demandé réparation et de l’identité de la personne à l’origine du dommage.
En tout état de cause, une demande devra être introduite dans les 20 ans à compter du jour qui suit celui où s’est produit le fait générateur du dommage.
Après avoir recueilli l’ensemble des documents médicaux nécessaires et si des indices sérieux existent quant à la gravité du dommage, le Fonds organiserait une expertise médicale contradictoire. Il désignerait un expert indépendant ou, si cela se justifie, un collège d’experts.
Les membres du Fonds sont tenus au secret professionnel et l’article 458 du Code pénal leur serait applicable.
Toutes les parties à la procédure pourraient se faire assister par la personne de leur choix : médecin traitant, membre de la famille, avocat, médecin conseil, etc.
La procédure devant le Fonds serait gratuite pour toutes les parties mais serait à charge du prestataire de soins (ou de son assureur) responsable du dommage s’il reconnaît sa responsabilité ou si elle est établie par une décision judiciaire coulée en force de chose jugée.
III.4. - Avis motivé du Fonds
Dans les six mois de la réception de la demande formulée par la personne lésée, le Fonds préciserait dans un avis motivé s’il estime que le dommage résultant de soins de santé trouve l’une de ses causes dans la responsabilité d’un ou de plusieurs prestataires de soins ou dans un accident médical sans responsabilité.
Dans la première hypothèse, le Fonds indiquerait si la responsabilité professionnelle du ou des prestataires de soins est couverte par un contrat d’assurance et porterait son avis à la connaissance dudit prestataire et, le cas échéant, à son assureur. Dans la notification de l’avis, le Fonds inviterait l’assureur du prestataire de soins concerné à formuler une offre d’indemnisation en faveur de la victime.
Tant le prestataire de soins incriminé que son assureur pourraient contester l’avis du Fonds. Il appartiendrait alors à la victime de faire valoir ses droits devant le tribunal judiciaire compétent, la procédure en droit commun reprenant tout son sens.
Si le dommage résultant de soins de santé trouve son origine dans un accident médical sans responsabilité et que le seuil de gravité est suffisant, le Fonds proposerait à la victime une indemnisation qui pourrait être acceptée ou refusée.
Si le seuil de gravité prévu par la loi n’était pas atteint, le Fonds en informerait la victime et la procédure amiable serait terminée.
Notons que l’avis du Fonds ne lierait ni les parties ni même, le cas échéant, le tribunal. L’expertise aurait la même valeur qu’une expertise judiciaire.
III.5. - Offre du Fonds
En fonction des hypothèses , le Fonds ou l’assureur du prestataire de soins responsable adresserait une offre d’indemnisation à la victime qui pourrait l’accepter ou la refuser.
En cas d’acceptation, le Fonds indemniserait dans le mois ladite victime. Dans le second cas, la personne lésée devrait porter sa contestation dans les 60 jours devant le tribunal de première instance qui pourrait être celui de l’arrondissement judiciaire du domicile de la victime.
III.6. - Financement du Fonds
Pour l’exécution de ses missions, le Fonds des accidents médicaux serait principalement financé par les frais d’administration de l’INAMI (Institut national d’assurance maladie-invalidité), auquel il serait par ailleurs adossé. L’INAMI pourrait par ailleurs mettre à sa disposition, contre rétribution, les services, le personnel, l’équipement et les installations nécessaires à son fonctionnement.
III.7. - Qui est concerné par le projet ?
Le projet prévoit que la loi s’appliquerait aux dommages résultant d’un fait postérieur à sa publication au Moniteur belge.
IV. - CONCLUSION
Conformément au projet de loi relatif à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé, la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé sera purement et simplement abrogée.
Un système « à deux voies » permettrait aux victimes de choisir si elles souhaitent recourir au Fonds des accidents médicaux ou aux tribunaux judiciaires.
Les notions de faute et d’aléa thérapeutique sont respectivement remplacées par un « fait engageant la responsabilité » et un « accident sans responsabilité ».
N’y a t-il pas lieu de regretter ce pudique remplacement linguistique dès lors que la responsabilité n’est pas univoque et couvre non seulement nombre de notions mais également de conditions différentes ?
Seraient indemnisés les dommages résultant d’accidents médicaux sans responsabilité pour autant qu’ils :
- soient la conséquence d’une prestation de soins de santé excepté, sous certaines conditions, la médecine esthétique,
- ne résultent pas de l’état du patient,
- soient anormaux et donc n’auraient pas dû se produire compte tenu de l’état de la science, de l’état du patient et de son évolution objectivement prévisible,
- atteignent un seuil de gravité minimal défini.
Le projet spécifie en outre que l’échec thérapeutique et l’erreur de diagnostic non fautive ne constituent pas un accident médical sans responsabilité au motif que le dommage (l’évolution de la maladie) ne résulte pas directement d’un acte médical. C’est peut-être oublier un peu vite que :
1° la prise en charge thérapeutique d’une part et le fait de poser un diagnostic d’autre part nécessitent une ou des prestation(s) de soins de santé ;
2° l’évolution de la pathologie aurait pu être différente compte tenu de la prise en charge et/ou du diagnostic posé et par conséquent, que le dommage peut devenir anormal au sens du projet.
Comme pour la loi relative aux droits du patient, le projet exclu de son champ d’application toute une frange de professionnels de la santé tels que les psychologues, sexologues, psychothérapeutes, etc. Pourquoi ne pas avoir élargi la définition de prestation de soins de santé afin d’y intégrer tous les praticiens de la santé au sens large ?
La demande est soumise au Fonds qui pourra instruire le dossier, désigner un expert (ou un collège), donner un avis et faire une offre d’indemnisation qui devra être intégrale.
Rien n’est spécifié quant à la manière dont seront choisis les experts dits « indépendants ». Si la question de la récusation de l’expert désigné est envisagée, rien n’est prévu en ce qui concerne sa nomination, ses qualités et qualifications, sa mission ou encore son remplacement.
Cela étant, rien n’est spécifié quant à l’indépendance du Fonds lui-même. Pourquoi l’adosser à l’INAMI ? Pourquoi permettre la mise à disposition du personnel de l’INAMI ou l’utilisation de son équipement et de ses installations ? Quelles sont les garanties offertes quant à la protection de données aussi sensibles que des informations médicales ? Pourquoi inclure dans la composition du Fonds des représentants des organismes assureurs ? Que signifie « membres représentant l’autorité » ? Pourquoi aucun ‘professionnel’ du droit ne fait partie du conseil d’administration du Fonds ? Comment sera sélectionné le cadre du personnel du Fonds devant lui permettre de disposer des compétences nécessaires à l’accomplissement de ses missions, notamment médicales et juridiques ?
Le Fonds des accidents médicaux aurait également plusieurs rôles s’inscrivant dans un cadre amiable en cas de dommages résultant de faits engageant la responsabilité de leur auteur mais également en cas d’absence de couverture d’assurance responsabilité civile d’un prestataire de soins.
Le recours au Fonds est gratuit pour toutes les parties mais les frais d’expertise seront à charge du prestataire de soins (ou de son assureur) responsable du dommage.
Une contestation des décisions du Fonds est toujours possible par toutes les parties devant le tribunal qui n’est pas lié par l’avis de ce dernier.
La demande de la personne lésée doit être adressée au Fonds dans les cinq ans à partir du jour qui suit celui où elle a eu connaissance du dommage dont il est demandé réparation et de l’identité de la personne à l’origine du dommage.
En tout état de cause, la demande devra être introduite dans les 20 ans à compter du jour qui suit celui où s’est produit le fait générateur du dommage.
Le projet prévoit que la loi s’appliquerait aux dommages résultant d’un fait postérieur à sa publication au Moniteur belge.
Ce projet est dans les starting-blocks et nous prendrons connaissance avec intérêt des amendements qui seront apportés à ce projet qui mérite d’être retravaillé.
Pascal Staquet
Avocat au barreau de Bruxelles - Mayerus & Staquet Avocats
Note:
D'autres informations pratiques en droit des victimes de dommages corporels & en droit médical sont disponibles dans les fiches pratiques > Médical & Dommages corporels