[EN BREF] Le trouble du voisinagePar I. Lutte [Thelius]Lundi 25.02.08 |
Une « responsabilité objective » en demi-teinte ou une « responsabilité pour faute » déguisée ?
1. La théorie des troubles du voisinage (cf. note 1) trouve son fondement dans l’article 544 du Code civil, cet article reconnaissant à tout propriétaire le droit de jouir normalement de son bien.
La victime d’un trouble du voisinage peut agir à l’encontre du voisin -qui a rompu l’équilibre entre les fonds générant un trouble anormal- en vertu de l’article 544 du Code civil, alors même que le dommage a pour origine la faute d’un tiers.
Ainsi, « notons qu’il n’est pas nécessaire que le propriétaire soit l’acteur du trouble anormal. Il suffit qu’à la suite d’une décision qu’il a prise concernant son fonds, il offre la possibilité –en tant que maître de l’ouvrage par exemple- à des tiers d’occasionner des inconvénients excessifs au fonds voisin » (cf. note 2) . Il peut être intéressant de rappeler que la Cour de cassation a de façon univoque rejeté la thèse selon laquelle la responsabilité sur pied de l’article 544 du Code civil ne pouvait être retenue que s’il était établi que le trouble de voisinage subi était la conséquence de la décision d’effectuer des travaux et que sans les fautes commises par les entrepreneurs, le dommage se serait réalisé tel qu’il s’est produit. (cf. note 3)
2. La théorie des troubles du voisinage n’impose pas la démonstration d’une faute dans le chef du voisin (propriétaire ou occupant titulaire d’un droit réel ou personnel sur le fond ayant donné naissance au trouble). Elle est souvent considérée comme un cas de responsabilité objective du voisin consécutive à la rupture d’équilibre entre les propriétés voisines (cf. note 4) .
Toutefois, cette responsabilité objective est en demi-teinte. En effet, s’il s’agissait d’une responsabilité objective sensu stricto, le simple fait d’être propriétaire du bien « générateur du trouble » ou celui qui en raison d’un droit réel ou personnel accordé par le propriétaire dispose à l’égard dudit bien l’un des attributs du droit de propriété devrait suffire à retenir la responsabilité du propriétaire ou du titulaire précité (cf. note 5) .
3. Or, la victime d’un trouble du voisinage doit prouver :
1°) l’existence de son dommage (le trouble) et son origine (le voisinage),
2°) le fait, l’acte ou le comportement du voisin titulaire d’un droit réel ou personnel sur le bien voisin,
3°) le lien causal entre ce fait, cet acte ou ce comportement et le dommage.
En exigeant de la victime de telles preuves, la jurisprudence et la doctrine majoritaires (cf. note 6) dénaturent la théorie des troubles du voisinage en la cantonnant à une simple application d’une responsabilité pour faute.
La faute réside dans le fait d’avoir manqué, par son fait, par un acte ou par son comportement, à l’obligation de ne pas porter atteinte au droit reconnu à chacun des voisins de pouvoir jouir normalement de son fond. Cette obligation consacrée par l’article 544 du Code civil est une obligation de résultat de sorte que tout fait, toute omission ou tout comportement causant un déséquilibre entre des propriétés voisines est nécessairement de nature fautive.
Cette notion de faute justifie la recherche du vrai responsable (propriétaire ou occupant titulaire d’un droit réel ou personnel sur le fond) ainsi que le caractère personnel de l’obligation, incombant à l’auteur véritable du fait, de l’acte ou du comportement incriminé, de « compenser » le préjudice subi.
Isabelle Lutte
Avocat au Barreau de Bruxelles - Thelius
Notes :
(1) L’auteur réfère lecteur intéressé par la matière des troubles du voisinage aux ouvrages récemment parus : « J-Fr Romain (sous la direction), Droits réels. Chronique de jurisprudence 1998-2005, Larcier, 2007,332 p. ; P.Lecocq, Troubles de voisinage : qui, comment et pourquoi ? in Les troubles de voisinage. Quatre points de vue, Anthemis, 2007, pp.9 – 45.
(2) P. Staquet, Troubles de jouissance et travaux exécutés par les autorités publiques ou l’art de l’équilibre, REDRIM, 1999, n°4, p.296 ; voir aussi Cass. 5 mars 1981, Pas. I, 1981, p.728 et les conclusions de M. le Procureur Général Paul Dumon ; Bruxelles, 27 avril 2006 ; Bull.ass., p.425 et note ; Gand, 26 octobre 2006, R.D.C., 2007, p.826.
(3) Cass., 24 avril 2003, R.G.A.R., 2004, n° 13.937 .
(4) Cass., 6 avril 1960, Pas., 1960, I, p.915, avec concl. Av.gén. Mahaux ; R.C.J.B., 1960, p.257 et note J. Dabin, « Le devoir d’indemnisation en cas de troubles du voisinage ; R.G.A.R< /i>., 1969, n° 6557 et note R.O.Dalcq ;
(5) J-L Fagnart & M. Denève, Chronique de jurisprudence – La Responsabilité civile : 1976 – 1984 », J.T., 1988, p.266, n° 127 ; contra : J. Hansenne, Examen de jurisprudence, R.C.J.B., 1984, p.93, n° 36.
(6) Gand 3 juin 1999, Bull.ass., 2000, p.273. ; civ. Tournai, 18 juin 1998, Bull. ass., 1999, p.691 ; Cass.,3 avril 1998, J.L.M.B., 1998, p.1139 ; De Verz., 1999, p.91 ; Comm. Hasselt , 10 septembre 2002, L.R.L., 2003, p.54, note A. Van Der Graesen, ; Civ. Hasselt, 12 septembre 2002,R.G.D.C., 2003, p.8.