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Parent - Enfant: le lien à tout prix ou le prix du lien ?

Élise Gheur

Jeudi 16.10.25

Un arrêt de la cour d’appel de Mons du 20 novembre 2024 (cf. Note 1) nous amène à réfléchir sur le lien entre un parent et son enfant. Entre obligation du maintien du lien et rupture du lien, la frontière est parfois mince, mais les répercussions sur la vie de l’enfant sont immensément différentes…


1. Droit des parents et de l’enfant à cet « équilibre »

Il est important de rappeler que tant le parent que l’enfant disposent d’un droit à entretenir des relations familiales.

Ainsi, chaque parent a le droit d’entretenir des relations avec son enfant. Le droit d’hébergement du parent est un attribut de l’autorité parentale (cf. Note 2) dès l’instant où un lien de filiation existe, le parent est investi, de plein droit, de l’autorité parentale et, en conséquence, d’un droit d’hébergement sur son enfant (cf. Note 3).

Le droit d’un parent d’entretenir des relations avec son enfant est, d’ailleurs, garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la vie privée. La Cour européenne des droits de l’homme estime que « pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale, même si la relation entre les parents s’est rompue » (cf. Note 4).

L’enfant a également le droit d’être élevé par ses deux parents, comme le garantit l’article 7.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce droit n’est pas absolu et la disposition prévoit que ce droit s’exerce « dans la mesure du possible ».

En cas de séparation, la convention prévoit, en son article 9.3, que « les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. »


2. Et la réalité ?

Au-delà de ces « droits » invoqués par les parents (car, en règle, ils sont les seules parties devant le Tribunal de la famille), il y a les besoins de l’enfant et l’intérêt de l’enfant…

L’arrêt de la cour d’appel commenté nous rappelle que l’exigence d’un lien à tout prix n’existe pas.

Dans deux autres arrêts rendus également en 2024, la cour d’appel de Mons, avant de confirmer la suspension de contact entre un parent et son enfant, rappelait les principes suivants :

« C’est uniquement dans des circonstances particulières guidées par le bien-être psychique de l’enfant qu’un juge peut être amené à suspendre le lien avec un parent qui serait défaillant et/ou toxique.
[…]
Il est, en effet, essentiel d’éviter d’exposer l’enfant à un quelconque risque sur le plan de son intégrité physique ou morale : le principe de précaution commande, eu égard aux circonstances exceptionnelles, de préférer la suspension des contacts à tout aménagement de rencontres, même dans un lieu encadré, qui pourraient se révéler traumatisantes pour l’enfant, quel que soit son âge » (cf. Note 5).


La lecture de la jurisprudence récente de la cour d’appel de Mons nous permet d’estimer que le dogme du lien à tout prix ne peut (plus) perdurer.

Ainsi, nous terminerons par cette affirmation de la cour d’appel de Mons :

« En d’autres termes, et il s’agit là d’un changement de paradigme, ce qui importe pour un enfant, ce n’est pas d’avoir “à tout prix” des contacts avec ses deux parents, c’est davantage d’entretenir une relation sécure avec ceux-ci et à tout le moins avec le parent qui lui garantit une évolution dans un environnement sain, exempt de violence. » (cf. Note 6).




ÉLISE GHEUR
Avocate au barreau de Mons


Notes:

(1) Mons, 20 novembre 2024, For. Fam., 2025, à paraître.
(2) M. MALLIEN, « L’hébergement de l’enfant », in Droit des personnes et des familles. Chronique de jurisprudence : 2011-2016, Larcier, Bruxelles, 2018, pp. 420-421, n° 456. 3
(3) N. MASSAGER, « Droit d’hébergement », in Droit familial de l’enfance, éd. 2024, Limal, Anthemis, 2024, p. 384.
(4) Cour. eur. D.H., arrêt Johansen c. Norvège du 7 août 1996, § 52 ; Cour. eur. D.H., arrêt Zaunegger c. Allemagne du 3 décembre 2009 ; Cour. eur. D.H., arrêt Strand Lobben et autres c. Norvège du 10 septembre 2019.
(5) Mons, 3 avril 2024, R.G. n° 2022/TF/98 ; Mons, 22 novembre 2023, R.G. n°
(6) 2023/TF/2023. 2 Mons, 28 mai 2025, R.G. n° 2024/TF/2013, inédit.



Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)




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