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L’encadrement des loyers abusifs à Bruxelles : portée juridique de l’article 224/1 du Code bruxellois du logement

Inès Temmerman – Laurent Collon

Mardi 05.08.25

Depuis la régionalisation de la matière des baux d’habitation en 2018, la région de Bruxelles-Capitale est compétente pour légiférer dans ce domaine.

Cette compétence a donné lieu à de nombreuses réformes, ayant pour objectif principal la protection renforcée du preneur, considéré comme la partie faible au contrat de bail.

Jusqu’alors, le montant du loyer relevait en principe de la liberté contractuelle du bailleur.

Toutefois, l’ordonnance du 28 octobre 2021, visant à instaurer une commission paritaire locative et à lutter contre les loyers abusifs, a introduit dans le Code bruxellois du logement un nouvel article 224/1, entré en vigueur le 1er mai 2025.

Cet article apporte une restriction significative à la liberté de fixation du loyer par le bailleur, en lui interdisant désormais de proposer un loyer abusif, sous peine d’en voir le montant révisé rétroactivement.


1. L’obligation légale nouvelle : ne pas proposer un loyer abusif


L’article 224/1 du Code bruxellois du logement dispose explicitement en son paragraphe 1er : « Le bailleur est tenu de ne pas proposer un loyer abusif tel que défini à l'article 224. À défaut, le preneur peut solliciter une révision du loyer ».

Il s’agit là d’un changement paradigmatique : le législateur régional encadre désormais la liberté contractuelle en matière de fixation des loyers en interdisant les loyers qualifiés d’abusifs.


2. Comment déterminer le caractère abusif d’un loyer ?


L’article 224/1 du Code bruxellois du logement renvoie, pour la définition du loyer abusif, à l’article 224 du même Code.

2.1. La présomption de loyer abusif

L’article 224 du Code bruxellois du logement prévoit qu’un loyer est présumé abusif dans deux hypothèses :

• hypothèse 1 : lorsque le loyer excède de plus de 20 % le loyer de référence ;
• hypothèse 2 : lorsque, sans excéder de 20 % le loyer de référence, le logement présente des défauts de qualité substantiels, intrinsèques au bien ou à son environnement.

Le loyer de référence est le loyer que la région de Bruxelles-Capitale considère comme normal pour un bien donné, en fonction de ses caractéristiques objectives : superficie, localisation, nombre de pièces, équipements, etc.

Ce loyer est déterminé par le biais d’un simulateur disponible sur le site de Bruxelles Logement.

2.2. Le renversement de la présomption

S’agissant de la première hypothèse (dépassement de 20 %), l’article 224 du Code bruxellois du logement prévoit que la présomption peut être renversée si le bailleur établit que la différence est justifiée par des éléments de confort substantiels, inhérents au logement ou à son environnement (par exemple, rénovation de qualité, performances énergétiques, quartier très recherché, etc.).

Ainsi, la présomption est réfragable et admet la preuve contraire, ce qui confère une marge d’appréciation importante au juge de paix.


3. Le rôle de la commission paritaire locative

L’article 224/1, §3 du Code bruxellois du logement prévoit la possibilité pour le preneur ou le bailleur de saisir la commission paritaire locative afin d’obtenir un avis sur le caractère abusif du loyer : « (…) Chacune des parties prenantes au bail ou une personne mandatée par elles peut saisir la commission paritaire locative visée à l'article 107/1, pour obtenir un avis sur la demande de révision de loyer. Les modalités de saisine et de procédure auprès de la commission paritaire locative sont décrites au chapitre III/1 du Code ».

Cet avis n’a pas de valeur contraignante, ni pour le bailleur ni pour le preneur.

Il a toutefois un poids non négligeable, dans la mesure où il est publié (de manière anonymisée) sur le site de Bruxelles Logement, contribuant ainsi à la jurisprudence administrative en la matière.

Il est important de noter que la saisine de la commission n’exclut pas la possibilité pour le preneur d’introduire une procédure judiciaire.

En vertu de l’article 224/1, §4 du Code bruxellois du logement, le preneur peut :

• saisir directement le juge de paix ;
• ou introduire une demande auprès du juge si aucune conciliation n’aboutit devant la commission.


4. Quand peut-on introduire une demande de révision pour loyer abusif ?

L’article 224/1 du Code bruxellois du logement distingue les délais d’introduction d’une demande selon la durée du bail et selon l’existence éventuelle d’une condamnation antérieure du bailleur à réduire le loyer.

Notons que dans ces deux hypothèses, le juge de paix peut solliciter l’avis de la Commission paritaire locative, conformément à l’article 107/2 du Code.

4.1. Baux de courte durée visés par l’article 238 du Code bruxellois du logement

Pour les baux de courte durée supérieurs à une année, aucune demande ne peut être introduite pendant les deux premiers mois du contrat. Le preneur ne peut donc agir qu’à partir du troisième mois.

4.2. Baux de longue durée visés par l’article 237 du Code bruxellois du logement

Pour les baux de longue durée, la période d’attente est fixée à trois mois. Le preneur peut donc saisir la justice à partir du quatrième mois du contrat.

4.3. Cas particulier : bailleur déjà condamné pour le même bien

L’article 224/1, §6 du Code bruxellois du logement prévoit une dérogation importante : « Par dérogation au paragraphe 2, le preneur d’un bien dont le bailleur a déjà été contraint de réviser un loyer abusif pour le même bien, peut introduire une demande de révision auprès de la commission ou du juge (…) à tout moment du contrat de bail ».

Autrement dit, en cas de récidive du bailleur, le preneur peut agir sans attendre l’expiration d’un quelconque délai.


5. La rétroactivité de la décision judiciaire

En cas de succès de la demande de révision, les effets rétroactifs de la décision judiciaire dépendent également de l’existence d’une condamnation antérieure.

5.1. En l’absence de condamnation antérieure

L’article 224/1, §5 du Code bruxellois du logement prévoit que : « Le jugement qui fait droit à une révision du loyer peut produire ses effets au plus tôt 4 mois avant la date de dépôt de l’acte introductif d’instance (…) ».

Ainsi, la révision ne peut rétroagir que jusqu’à 4 mois avant l’introduction de la demande.

5.2. En cas de condamnation antérieure

Si le bailleur a déjà été contraint de réviser un loyer abusif pour le même bien, le §6 de l’article 224/1 du Code bruxellois du logement dispose que : « (…) le loyer révisé produit ses effets à compter du premier mois du contrat de bail ».

La révision a donc un effet rétroactif total, depuis l’entrée en vigueur du contrat.


Conclusion : vers un encadrement juridiquement effectif du marché locatif

Jusqu’ici, le loyer de référence à Bruxelles n’était qu’un outil indicatif. À partir du 1er mai 2025, il devient un critère juridiquement opposable, permettant de sanctionner les loyers excessifs.

Cependant, ce nouveau dispositif ne signifie pas une interdiction stricte de s’écarter du loyer de référence.

En effet :

• si l’écart est inférieur à 20 %, le preneur devra prouver des défauts de qualité ;
• si l’écart est supérieur à 20 %, le bailleur pourra justifier cet écart par des éléments de confort particuliers.

C’est donc sur ces notions, qualité substantielle et confort substantiel, que se jouera l’essentiel du contentieux, laissant une marge d’appréciation importante aux juges de paix, dont le rôle sera déterminant dans l’interprétation et la mise en œuvre de cet article.

Faut-il y voir une avancée ou un risque d’instabilité ? Seul l’avenir, et surtout la jurisprudence à venir, permettront de le dire.

Enfin, il faudra espérer que la commission ne se montre pas partisane.

Il n’a fallu attendre longtemps pour que notre cabinet soit saisi d’un premier dossier, en provenance de propriétaires.

Ceuc-ci avaient demandé à la commission un report de l'audience fixée le… 22 juillet 2025, en raison de vacances programmées de longue date.

La commission leur a répondu que les vacances ne constituent pas un cas de force majeure l'amenant à accepter cette demande de report !

Une telle attitude doit être impérativement proscrite.



Inès TemmermanLaurent Collon (spécialiste agréé en droit immobilier)
Avocats
Xirius Immo







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