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Vente d’immeuble: un notaire lourdement et justement sanctionnéLaurent Collon (Xirius)Vendredi 21.02.25 |
Les faits
Le 17 août 2021, décéda une dame P., qui était la mère de quatre enfants, seuls héritiers d'un patrimoine successoral comprenant une villa et deux terrains à bâtir à Auderghem.
Les quatre enfants se dirigèrent vers le notaire de la famille afin de procéder à la rédaction de la déclaration de succession.
Le notaire et son épouse se montrèrent rapidement intéressés par l'acquisition de l'ensemble immobilier.
Une certaine tension se manifesta, dans la mesure où la déclaration de succession doit être légalement remise à l'administration dans les quatre mois du décès, obligation qui incita le notaire à exercer une certaine pression sur les héritiers, ce alors que ceux-ci n'étaient nullement pressés de vendre.
Le 10 février 2022, le notaire et son épouse firent une offre d'acquisition pour l'ensemble immobilier au prix de 1.100.000,00 EUR, en indiquant une série de conditions relativement habituelles, telles que la liberté hypothécaire, l'absence de pollution du sol,…
Après en avoir discuté entre eux et avec le notaire, les héritiers acceptèrent l'offre d'acquisition en date du 18 février 2022.
Le notaire/acquéreur se lança alors lui-même dans la rédaction d'un compromis de vente.
Un premier projet fut ainsi présenté aux vendeurs et soumis à la discussion jusqu'au moment où un texte parut bénéficier de l'assentiment de tous.
Les vendeurs refusèrent cependant de signer le texte.
Le notaire et son épouse assignèrent alors les vendeurs.
Dans un premier temps, ils réclamèrent la condamnation des vendeurs à s'exécuter puis, face aux contestations de ceux-ci, modifièrent l'objet de leur demande pour obtenir la résolution de la vente aux torts des vendeurs et leur condamnation au paiement de l'indemnité de 10% du prix, soit 110. 000,00 EUR.
Concomitamment, les parties signèrent une convention de résiliation amiable qu'elles déposèrent à l'administration de l'enregistrement.
La décision du Tribunal
Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles consacra son attention sur différentes questions.
1) la question de la vente
Le tribunal examina en premier lieu la question de savoir si une vente parfaite avait été conclue en l'espèce.
Il considéra que l'élaboration d'un texte final de compromis de vente constituait la démonstration que les parties s'étaient mises d'accord non seulement sur les éléments essentiels du contrat (la chose et le prix) mais également sur les questions substantielles.
En réalité, d'après le tribunal, le texte ne devait plus qu’être signé mais les pièces des dossiers démontraient que toutes les parties avaient marqué accord sur le texte en question.
En d'autres termes, si le compromis ne fut pas signé, ce n'est pas en raison d'un désaccord des parties sur ses termes, nota le tribunal.
En réalité, le motif de refus des vendeurs de signer le compromis ne tenait qu’au comportement particulier du notaire et du déroulement des opérations.
2) la demande de résolution de la vente
C'est en toute logique que le tribunal refusa de prononcer cette sanction réclamée tant par les acquéreurs que par les vendeurs.
En effet, il constata que les parties avaient elles-mêmes mis un terme aux effets juridiques de la convention en signant une convention de résiliation amiable qu'elles déposèrent à l'administration de l'enregistrement.
Le tribunal ne pouvait par conséquent plus mettre un terme à un contrat qui … avait déjà pris fin par la volonté des parties.
3) quant aux responsabilités engagées dans l'échec de la vente
Le tribunal en arriva alors à examiner le dossier sous l'angle de la responsabilité de chacune des parties.
Il commença par examiner celle du notaire et de son épouse.
Il dégagea assez rapidement cette dernière de toute responsabilité, le dossier démontrant que seul son époux était à la manœuvre.
Il examina la responsabilité du notaire/acquéreur à la lumière des deux arguments invoqués par les vendeurs, à savoir l'interdiction prononcée par l'article 1596 du Code civil d'acheter lorsque l'on est mandataire du vendeur et celle prononcée par la même disposition légale qui empêche un officier public de se porter adjudicataire des biens dont la vente se fait par leur ministère.
Le tribunal écarta l'interdiction pour un mandataire de se porter acquéreur du bien de son mandant.
Il considéra en effet que le notaire n'avait pas été mandaté pour procéder à la vente, mais seulement pour procéder à la déclaration de succession.
Le tribunal retint par contre l'application, en l'espèce, de la seconde interdiction.
Le tribunal se prononça en ces termes :
Le tribunal en arriva ensuite à analyser la responsabilité des vendeurs.
Il considéra qu'aucune faute n’avait été commise et que le changement d'attitude opéré par l'indivision venderesse s'expliquait légitimement par la position de l'un des acheteurs, notaire, et du déséquilibre qui en résultait, le notaire étant non seulement un professionnel du droit mais aussi des successions et de la vente immobilière ; la circonstance qu'il ait lui-même rédigé le projet de compromis de vente, avec l'aide du personnel de son étude, avait pu légitimement inspirer les vendeurs à s'interroger sur l'exacte portée de l'engagement qu'ils étaient en train de prendre.
De tout ce qui précède, le tribunal conclut que le notaire est tenu au paiement d'une indemnité de 10% du prix de vente, soit 110.000,00 EUR en faveur des vendeurs, outre les frais de justice.
Conclusion
Il faut évidemment saluer cette décision, compte tenu de l'attitude tout à fait anormale et – disons-le ! – inacceptable du notaire qui a fait primer ses intérêts personnels sur les obligations liées à l'exercice de sa profession.
Laurent Collon (lc@xirius.be)
Avocat spécialisé en droit immobilier
Xirius – Avocats
Médiateur agréé en matières civile et commerciale