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Vente d’immeuble: un contrat parfait par le seul accord sur la chose et sur le prix ? (suite et pas fin)

Laurent Collon (Xirius)

Mardi 04.02.25

Principes

Une des dispositions fondamentales du droit de la vente est l’article 1583 du Code civil.

En substance, cet article dispose qu’une vente est parfaite dès qu’il y a accord des parties sur la chose et sur le prix.

Le Code civil ne distingue pas selon que la vente porte sur un bien meuble ou immeuble.

A priori, donc, il n’y a pas lieu de distinguer selon que le contrat porte sur un bien dit de consommation, un bien meuble ou sur un bien immobilier.

C’est la raison pour laquelle, durant de nombreuses années, les cours et tribunaux ont considéré que, même lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, la vente est parfaite dès que l’on prouve que le consentement a porté sur la chose (le bien vendu/acquis) et le prix, toutes les autres conditions de la vente étant réputées accessoires (sur lesquelles l’accord ne doit donc pas nécessairement porter pour que la vente soit parfaite), à moins que l’une et/ou l’autre partie ait érigé, au plus tard lors de l'échange des consentements, un ou plusieurs élément(s) au rang de condition(s) essentielle(s), comme la chose et le prix.

C’est ce que l’on appelle une condition substantielle de l’accord.

Par exemple, le propriétaire vendeur souhaits prolongé son occupation du bien au-delà du délai traditionnel quatre mois.


Une tendance sérieusement ébranlée par deux arrêts rendus en 2011 par la Cour d’appel de Bruxelles


L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 23 juin 2011

Dans cet arrêt, la Cour semble en arriver à la conclusion qu’une vente ne peut être considérée comme parfaite que lorsqu’un compromis est signé en bonne et due forme, matérialisant l’accord des parties non seulement sur les éléments essentiels du contrat (la chose et le prix) mais également sur tous les autres éléments dits substantiels (sort des vices cachés, date du transfert de propriété et des risques, modalités du paiement du prix, …).

Dans ce contexte, poursuit la Cour, la formulation d’une offre d’acquisition et son acceptation, qui n’évoquent pas tous les éléments substantiels de l’opération, ne constituent rien de plus qu’un contrat-cadre, c’est-à-dire un contrat qui n’oblige les parties qu’à poursuivre les négociations en vue de tenter d’obtenir un accord sur les éléments substantiels du contrat (sous peine de dommages et intérêts pour rupture fautive des pourpalers).

A défaut d’accord sur ces éléments substantiels, il n’y a pas vente.

« L’offre est une proposition définitive qui contient tous les éléments essentiels et substantiels à la conclusion du contrat, de sorte que celui-ci est formé par la simple acceptation de l’autre partie. Elle doit donc être ferme et précise, c’est-à-dire comporter tous les éléments essentiels au contrat projeté, ainsi que, le cas échéant, les éléments accessoires que l’auteur de l’offre a souhaité considérer comme également essentiels.

C’est la volonté de l’offrant de se lier juridiquement qui caractérise l’offre par rapport à toute autre émission de la volonté émise dans le cadre de la phase précontractuelle.
(…)

Par ailleurs, l’offre qui est imprécise sur les éléments substantiels du contrat a pour effet que celle-ci doit être analysée comme une simple proposition d’entrer en pourparlers, sans effet obligatoire pour l’offrant. Même acceptée, elle ne saurait conduire à la formation du contrat.

En d’autres termes, l’acceptation d’une offre incomplète, en ce sens, par exemple qu’elle ne contient pas tous les éléments substantiels du contrat projeté, peut, dans certaines hypothèses, donner naissance à un accord parfait, un contrat-cadre ou un accord de principe. Pour accéder au rang de contrat accompli, ces arrangements précontractuels devront être complétés à la suite de nouvelles tractations.

L’accord de principe ne fait naître qu’une obligation contractuelle de négocier, laquelle doit s’exécuter de bonne foi et dont la sanction ne peut être qu’une condamnation à des dommages et intérêts.

La vente d’un immeuble est un contrat qui donne lieu à des négociations parfois longues et compliquées. Même lorsque celles-ci comportent une offre au départ, l’élaboration du contrat se réalise successivement par une suite d’accords sur les points de discussion. Le contrat ne peut se former que lorsque les parties sont d’accord sur tous les éléments essentiels et les éléments substantiels. L’accord sur la chose et sur le prix, éléments essentiels prévus à l’article 1583 du Code civil, ne suffit donc parfois pas, notamment lorsque les parties ont convenu de signer un compromis et doivent encore s’accorder sur les éléments substantiels du contrat, c’est-à-dire les éléments qui ne conditionnent pas nécessairement la conclusion d’un contrat mais auxquels les parties ont entendu subordonner leur consentement, et donc conférer un caractère essentiel (modalités de paiement, transfert de propriété, entrée en jouissance, contenu et signature du compromis). »
(souligné par la Cour)


L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 13 octobre 2011

La Cour d’appel de Bruxelles a confirmé sa position de manière plus explicite encore dans un arrêt du 13 octobre 2011 :

« S’il est exact que cette disposition (l’article 1583 du Code civil) consacre le caractère purement consensuel de la vente, qu’elle porte sur un meuble ou sur un immeuble et qu’elle déclare que la vente est réputée parfaite entre les parties dès qu’elles sont d’accord sur la chose et sur le prix, il est tout aussi exact que, dans les faits, la vente d’un immeuble se négocie de manière très différente que la vente d’un bien meuble, par exemple lié à la satisfaction des besoins de la vie courante, comme la vente de biens de consommation.

Le processus contractuel en matière de vente immobilière se décompose généralement en plusieurs étapes au cours desquelles les parties définissent les éléments essentiels et substantiels de leur accord, celui-ci ne dépendant pas nécessairement de leur seul accord sur la chose et sur le prix, mais pouvant également dépendre d’autres éléments auxquels les parties ont entendu subordonner leur accord, leur conférant ainsi un caractère essentiel ou substantiel, comme peuvent l’être les modalités de paiement du prix ou de transfert de propriété, la situation hypothécaire, urbanistique ou locative de l’immeuble, la signature d’un compromis de vente ou encore la prise en charge de frais de rénovation décidés par l’assemblée générale des copropriétaires d’un immeuble à appartements.

En tout état de cause, et à tout le moins, il appartient aux consorts M., en leur qualité de appelants originaires, d’apporter la preuve qu’il y eût entre les parties, à la date du 17 septembre 2005, un réel concours de volontés sur les conditions de la vente de l’appartement litigieux.

Or, (ils n’apportent pas cette preuve).

Au contraire, il apparaît des courriels échangés (…) que certains éléments essentiels de l’accord devaient encore être négociés sur la base des projets de compromis de vente communiqués (…).

(…)

Le fait que, dans l’intention commune des parties, la validité de la vente était subordonnée à la signature du compromis de vente est encore conforté par la particulière insistance que les consorts M. ont marquée en vue de la signature d’un tel compromis (…).

Il se constate dès lors que les parties n’étaient encore qu’au stade des pourparlers préliminaires (…). ».


Une jurisprudence critiquée

Cette jurisprudence a été fort critiquée, à tel point qu'il semblait que depuis lors la Cour d'appel de Bruxelles ait opéré un sérieux retour en arrière pour appliquer plus rigoureusement le principe, à savoir que le contrat de vente était formé par le seul échange des consentements sur la chose et sur le prix à moins que l'une et/ou l'autre des parties ait exprimé des conditions substantielles de leur engagement contractuel.

En d'autres termes, à défaut pour l'une ou l'autre des parties d'avoir exprimé un élément substantiel de son engagement contractuel au plus tard lors de la formation du contrat, tous les éléments autres que la chose et le prix devaient être considérés comme accessoires, en manière telle qu’un accord à leur propos ne devait donc pas nécessairement tomber pour que la vente soit parfaite.


L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bruxelles le 12 avril 2024

Dans cette affaire, l'offre avait été acceptée par la propriétaire.

Le document stipulait clairement que l'acceptation de l'offre formait la vente.

Il prévoyait également la signature d'un compromis de vente.

Des discussions ont eu lieu ensuite entre les notaires à propos de la finalisation du projet de compromis de vente.

La venderesse finit par signer un compromis de vente avec un autre candidat.

Le premier ne l'entendit pas de cette oreille et porta le débat devant la Justice.

Après avoir été débouté par le premier Juge, il interjeta appel.

Il demanda à la Cour de dire pour droit qu'une vente parfaite avait été conclue, pour en tirer ensuite les conséquences voulues.

Après avoir rappelé qu'en matière contractuelle, le contrat se forme dès qu'il y a accord des parties sur les éléments essentiels et substantiels, la Cour s'exprima en ces termes dans son arrêt du 12 avril 2024 précité :

« En matière de vente, l'article 1583 de l'ancien Code civil prévoit que (…) la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur dès qu'on est convenu de la chose et du prix quoi que la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

Il n'est, en règle, pas fait exception à ce principe en matière immobilière, les formalités de l'acte notarié et de la transcription de la vente étant destinées à assurer l'opposabilité de la vente aux tiers. Cette formalité ne fait pas de la vente un contrat solennel. De même, l'usage de signer, avant même l'acte authentique, un « compromis de vente », le plus souvent devant les notaires des parties, ne fait pas non plus de la vente un contrat solennel.

Cependant la formation du contrat de vente exige, conformément au droit commun, la rencontre des consentements des parties, émis en vue de produire des effets juridiques, d'une part, sur les éléments essentiels du contrat de vente, à savoir la chose et le prix, (…) et d'autre part sur les éléments substantiels de ce contrat, à savoir les éléments considérés par les parties comme à ce point importants qu'ils requièrent un accord pour que le contrat se forme.

Le contrat peut donc se former par l'émission d'une offre suivie d'une acceptation de celle-ci, à condition que l'offre porte sur tous les éléments essentiels et substantiels de la vente, et que les parties aient eu la volonté que l'offre suivie de l'acceptation lie les parties.

Il arrive aussi que la négociation entre les parties fasse objet d'étapes préalables, et qu'elles ne s'engagent pas immédiatement. Les parties peuvent ainsi conclure des contrats préparatoires ou « avant-contrats » qui, soit sont relatifs au processus de négociation lui-même, soit reprennent l'accord des parties sur certains points. (…)

L'offre paraît ferme (…).

Cependant, son texte indique que, à la première demande de la venderesse « les parties signeront (…) un compromis de vente avec option cessible », sans qu'aucune indication ne soit donnée quant au type d'option auquel il est fait référence.

Ce premier élément, comme le comportement ultérieur des parties, permet d'établir qu'en réalité il n'y avait pas encore, au 6 décembre 2016, rencontre des consentements des parties sur tous les éléments substantiels de la vente. S'il y avait accord sur la chose et sur le prix, il n'y avait pas encore accord sur le type de vente à intervenir, la phrase insérée par l'auteur de l'offre quant à « un compromis de vente avec option cessibles » n'étant pas suffisamment compréhensible pour permettre à M. d'avoir exprimé un consentement quand à ce point.

Cela permet d'établir qu'en octobre 2017, les parties étaient encore en phase de négociation, avec une incertitude sur le type de vente à intervenir. L'offre acceptée le 6 décembre 2016 constituait un simple avant-contrat, fixant l'accord des parties sur la chose et sur le prix mais requérant une négociation des parties pour le surplus, en particulier quant au type de contrat à intervenir, les parties escomptant que cette incertitude serait réglée par la mise au point et la signature d'un compromis circonstancié. L'avant-contrat ne constitue pas lui-même le contrat de vente. »


Ce qui est remarquable, dans cette décision, est qu'alors que les parties avaient expressément prévu que l'acceptation de l'offre formait la vente, ce qui semblait induire que les éléments non convenus, notamment le type d'option, étaient accessoires (et non substantiels), le principe légal était néanmoins écarté.

Nul doute que cet arrêt fera à nouveau couler beaucoup d'encre…



Laurent Collon (lc@xirius.be)
Avocat spécialisé en droit immobilier
Xirius – Avocats





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