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Condition suspensive d’obtention de crédit, compromis « langage clair ». Premiers développements judiciaires

Par Laurent Collon [Xirius - Avocats]

Mercredi 21.08.24

RAPPELS UTILES

J’ai déjà eu l’occasion, dans ces colonnes, de critiquer le « compromis langage clair » qui a été mis au point par des représentants des professions d’agent immobilier et du notariat.

Les critiques formulées concernaient, notamment, le libellé de la condition suspensive d’octroi d’un crédit en faveur de l’acquéreur.

Il s’agit d’un point crucial car un nombre important d’acquisitions immobilières dans notre pays se fait sous bénéfice d’une telle condition suspensive en faveur de l’acquéreur.


LE TEXTE

« Cette vente est conclue sous la condition suspensive d’obtenir un financement par l’acquéreur :

• d’un montant de # EUR ;
• dans un délai de # semaines à partir de la signature de ce compromis.

L’acquéreur met tout en œuvre pour obtenir ce financement.

Si l’acquéreur n’obtient pas ce financement dans le délai fixé, l’acquéreur prévient son notaire # et l’agent immobilier # par mail. Il annexe la preuve du refus du financement au mail.

La vente est alors considérée comme inexistante et :

- l’acquéreur récupère la garantie éventuellement payée.
- (…)

Si l’acquéreur ne signale pas le refus du financement par mail dans le délai fixé, la condition suspensive est considérée comme réalisée. Cela veut dire que la vente se poursuit aux conditions prévues dans le compromis.
(…) »
(je souligne)


CRITIQUE

Cette clause est susceptible d’engendrer de grosses difficultés dans la pratique.

J’ai déjà eu l’occasion de les exposer dans le détail.

Notamment : ce n’est pas parce que « l’acquéreur n’obtient pas ce financement dans le délai fixé » que, pour autant, sa demande aura fait l’objet d’un refus et qu’il sera en possession de « la preuve du refus de financement ».

C’est faire fi d’une situation qui se présente très fréquemment, à savoir celle où, au terme du délai contractuel, l’organisme de crédit ne s’est pas encore prononcé sur la demande.

Or, si l’acquéreur n’a pas encore reçu sa décision, il ne sera donc pas en mesure de communiquer la preuve d’un refus par hypothèse non encore essuyé.

Quelles en sont les conséquences ?

L’acquéreur sera-t-il considéré comme défaillant par le vendeur sous prétexte qu’il n’est pas en mesure de fournir une preuve de son refus ?

Je ne le pense pas dès lors qu’il ne serait pas normal et juste que l’acquéreur doive subir les défaillances d’un texte soumis à sa signature et que, d’autre part, l’article 1602 du Code civil dispose précisément que le vendeur doit s’engager clairement à l’égard de l’acquéreur et que, dans l’hypothèse où le texte n’est pas clair, il doit être interprété contre lui.

Autre problème : aucun délai n’est prévu pour la notification du refus.

Ce n’est pas parce que le délai d’obtention du financement est fixé de manière précise que ce même délai trouve à s’appliquer pour la notification du refus.

L’acquéreur est en droit d’attendre jusqu’à la dernière minute du délai prévu pour savoir si son crédit lui a finalement été octroyé ou non.

Il aurait fallu prévoir ensuite un délai (court et précis) dans lequel l’acquéreur devait informer le notaire et/ou l’agent immobilier de ce refus.

Malheureusement, force est de constater que le texte est demeuré inchangé.


DEVELOPPEMENT JUDICIAIRE

Il ne fallait dès lors pas s’étonner que la question soit soumise aux tribunaux, et c’est évidemment très regrettable dès lors qu’un modèle de texte, de surcroît aussi répandu que celui-là, s’il se doit certes d’être compréhensible au plus grand nombre (c’est le but de la réécriture de ce texte) doit surtout veiller à éviter les conflits.

Or, ceux-ci sont généralement issus de l’interprétation possible d’un texte.

C’est ainsi que le Tribunal de première instance de Bruxelles a été saisi de la question, qu’il a tranchée le 5 juillet dernier.

Dans cette affaire, l’acquéreur n’avait pas obtenu encore de décision de la part de l’organisme de crédit au terme du délai de quatre semaines qui avait été fixé dans le compromis de vente.

Il n’avait pas notifié cet élément.

Le vendeur a alors considéré que la vente était devenue parfaite et en a réclamé la résolution à charge de l’acquéreur ainsi que la condamnation de ce dernier à lui payer l’indemnité contractuellement prévue et fixée à 10% du prix.

L’acquéreur plaidait devant ce Tribunal qu’il avait été placé dans une situation qui n’avait pas été prévue par le texte, à savoir celle où, au terme du délai assortissant la condition suspensive d’obtention d’un crédit en sa faveur, l’organisme de crédit n’avait pas encore pris position.

Il ne se trouvait donc dans aucune des situations rencontrées, à savoir, d’une part, celle de l’obtention effective d’un financement dans ce délai et, d’autre part, celle d’un refus dans ce même délai.

Le Tribunal a considéré que les dispositions du compromis de vente étaient claires et qu’il faut considérer la vente comme étant parfaite si, dans le délai contractuel de quatre semaines :

• l’acquéreur obtenait son financement ;

• l’acquéreur ne l’obtenait pas mais s’abstenait de transmettre aux vendeurs la preuve du refus de financement.

A l’inverse, la vente n’était pas réalisée si, dans le même délai, l’acquéreur n’obtenait pas son financement et en avisait les vendeurs.

Le Tribunal poursuit en précisant que décider le contraire reviendrait à permettre à l’acquéreur d’empêcher la réalisation de la condition de par sa seule attitude attentiste, ce qui est tout à fait contraire au texte (et à l’esprit) du compromis.

Or, en l’espèce, poursuit le Tribunal, l’acquéreur « ne produit aucun élément permettant d’établir qu’après avoir sollicité un rendez-vous auprès de la banque ING le 9 mai 2022, il aurait effectué d’autres démarches et/ou relancé sa banque avant la réception d’une lettre de refus de financement datée du 15 juin 2022 (soit, plus de dix jours après l’expiration du délai visé au compromis). Il n’a pas davantage, voyant que l’échéance approchait et qu’il n’avait pas encore obtenu de réponse écrite, sollicité un délai supplémentaire aux vendeurs. ».

Je considère cette décision comme très critiquable.

En effet, prétendre que le texte est clair me parait très audacieux alors qu’on a vu que ce texte n’envisageait que deux des trois hypothèses pouvant survenir.

Il me paraît également très critiquable de considérer qu’est claire une disposition qui prévoit l’obligation de l’acquéreur d’avertir le vendeur au cas où il n’obtient pas son crédit au terme du délai contractuel, tout en l’obligeant à annexer la preuve du refus essuyé alors que, répétons-le, l’hypothèse envisagée est autre puisqu’au terme du délai contractuel la banque n’a pas encore pris position.

Partant, il fallait considérer le texte comme peu clair et, dès lors, l’interpréter en faveur de l’acquéreur, par respect de l’article 1602 de l’ancien Code civil.

Par ailleurs, faire reproche à l’acquéreur de ne pas suivre à la trace l’organisme bancaire pour veiller à ce que celui-ci prenne une décision dans le délai contractuel me paraît faire fi des réalités actuelles, à savoir l’opacité des organismes bancaires et le fait qu’il est pratiquement devenu impossible de pouvoir exercer sur eux la moindre pression, notamment en vue de respecter un délai.

Qu’à cela ne tienne, il faut évidemment recommander aux acquéreurs des biens immobiliers qui entendent bénéficier d’une condition d’obtention d’un crédit de se montrer extrêmement vigilants dans l’application de cette clause, en attendant qu’un jour elle puisse être rédigée dans des termes plus clairs et qui excluent toute interprétation.



Laurent Collon
Avocat spécialisé en droit immobilier
(Xirius - Avocats)




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