La vente des actions de sa société sur le marché est-elle toujours une opération exonérée d’impôt ?Par Sophie VanhaelstVendredi 05.04.24 |
Nous avons déjà examiné les conséquences fiscales de la cession des titres d’une société opérationnelle à une société holding lorsque le cédant contrôle les deux entités juridiques.
L’attention était notamment attirée sur la notion de gestion normale d'un patrimoine privé sous-tendant l’exonération de la plus-value (E-News du 16 janvier 2024).
Evolution historique
Si cette opération a, depuis de nombreuses années, malheureusement peu de chances d’échapper à une volonté de taxer des autorités fiscales justifiée par des considérations tant relatives à l’évolution de la notion de gestion normale d'un patrimoine privé, qu’à l’intégration dans notre système juridique d’une notion d’abus de droit depuis 2012, l’opération consistant à vendre les actions d’une société opérationnelle sur le marché, c'est-à-dire à un tiers, est souvent considérée comme exempte de tous risques fiscaux.
Différentes décisions des Cours et Tribunaux et de la Cour de cassation ont remis ce principe en cause au cours des derniers mois en se fondant tantôt sur une analyse de l’article 90 CIR tantôt sur la notion d’abus de droit, ce qui justifie le rappel de certains points d’attention.
Dans la décision rendue par la Cour d’appel d’Anvers le 6 septembre 2022 il s’agissait d’un dossier où une personne physique avait vendu ses actions en partie à diverses sociétés qui n’étaient pas des holdings propres, réalisant une plus-value considérable.
Le prix de vente n’avait pas été immédiatement payé, mais inscrit en compte-courant associé.
Après ces ventes, un mécanisme complexe de distribution de dividendes, d’octroi de tantièmes et d’emprunts à court terme auprès d’une banque remboursés grâce à un emprunt d’autres sociétés du groupe se mit en place au sein du groupe dont faisaient partie les sociétés acquéreuses des actions et ce, pour pouvoir payer le prix de vente au vendeur.
La Cour d’appel, aux termes d’un arrêt très motivé, a considéré que la structure complexe qui faisait d’ailleurs l’objet d’une note d’un grand cabinet d’audit avait pour but d’éviter une distribution directe des dividendes à l’actionnaire initial et avait finalement pour effet de transformer une distribution de dividendes imposables en un prix de vente exonéré d’impôt.
Deux éléments étaient importants dans ce dossier : d’une part, la démonstration que le prix des actions avait été payé au moyen des bénéfices provenant de la société cédée et, d’autre part et surtout, que le vendeur était parfaitement au courant du dispositif mis en place pour le financement du prix de vente de ses actions et y avait adhéré.
Retenons de cette décision que, si la société vendue présente des réserves accumulées importantes qui ne sont pas distribuées préalablement à la vente, il est impératif que le vendeur ne s’implique en aucune manière dans les opérations de financement destinées au paiement du prix de vente de ses titres.
Jugement du 11 octobre 2023
Dans cette décision du Tribunal de 1ère instance de Marche-en-Famenne, l’administration s’était fondée sur une stricte application de l’article 90, 9° CIR et prétendait à l’existence d’une intention spéculative dans le cadre des opérations suivantes.
Les contribuables avaient constitué une société active dans l’immobilier le 4 septembre 2007.
Cette société mène ses activités et, dès 2010, elle s’intéressera, par l’intermédiaire de ses administrateurs, à un projet immobilier consistant en un complexe commercial.
Différents mails sont échangés avec l’architecte durant les années 2010 à 2013.
La société charge un consultant de trouver une institution qui financerait le projet et une demande de crédit est introduite par la suite.
Le 30 septembre 2013, les époux constituent une autre société dont l’objet est identique à leur première société avec un capital conforme au minimum légal. Cette société reprend le projet initié par leur première entreprise en acquérant les terrains objets du projet.
Le 9 mai 2014, c'est-à-dire un peu plus de sept mois après la constitution de la société, les titres de celle-ci sont vendus avec réalisation d’une plus-value substantielle.
Dans le cas d’espèce, l’administration ne rencontrera aucune difficulté à démontrer que l’opération s’écartait de la gestion normale d'un patrimoine privé, parce qu’ayant un caractère spéculatif.
Rappelons que la spéculation est classiquement définie comme l’intention de revendre à bref délai dès l’acquisition d’un bien avec réalisation d’une plus-value.
Dans le cas qui nous occupe, les circonstances de fait ont permis de constater cette intention spéculative et donc, de taxer la plus-value au taux de 33 %.
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler également un arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 décembre dernier, consacrant l’intention spéculative dans un dossier de cession d’actions à une entreprise tierce.
Il s’agissait à la base d’un litige entre deux actionnaires familiaux souhaitant chacun céder les parts de l’entreprise sur le marché.
L’aîné des deux frères avait fait une première tentative de cession. L’apprenant, son frère avait cherché un autre acquéreur disposé à mettre plus sur la table et, in fine, usant de son droit de préemption, il avait racheté les parts de son frère pour les revendre, dans la foulée, au tiers acquéreur.
L’Inspection spéciale des impôts a critiqué l’opération, estimant que le délai anormalement court entre le rachat des actions du frère et la revente à l’acquéreur, outre le financement du prix de rachat des actions du frère grâce aux fonds de l’acquéreur final, étaient des éléments démontrant que l’opération s’écartait de la gestion normale d'un patrimoine privé.
Conclusion
Cette décision peut se comprendre en rappelant les principes juridiques et l’évolution de la jurisprudence quant à la notion de gestion normale d'un patrimoine privé et doit amener les contribuables approchés par des candidats-acquéreurs des titres de leur société à se montrer prudents tant sur le timing des opérations, que sur la manière dont elles seraient financées.
Sophie Vanhaelst
Avocat au barreau de Bruxelles - Hirsch & Vanhaelst