Ordonnance du 22 juin 2023: la mise en demeure est-elle obligatoire lors de toute demande d'expulsion ?Par Mathilde Godefroid & Laurent Collon [Xirius]Lundi 13.11.23 |
A l’heure où les justices de paix de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles jonglent avec le nouveau droit du bail et spécialement la nouvelle ordonnance du 22 juin 2023, il est opportun d’attirer l’attention sur les nouvelles spécificités, particulièrement le préalable de la mise en demeure ce au regard d’un cas pratique.
Etes-vous ainsi dans l’obligation de mettre préalablement en demeure votre locataire qui n’entend pas libérer les lieux loués en dépit d’un congé notifié en bonne et due forme ? Quid de l’obligation de joindre ladite mise en demeure à la requête que vous entendez déposer si cette requête porte uniquement sur une demande de validation d’un congé pour occupation personnelle ?
Nous vous livrons quelques clés et éléments de réponse ci-après.
1. RAPPEL DES ARTICLES 233 QUATER ET QUINQUIES DU CODE BRUXELLOIS DU LOGEMENT (CI-APRES CBL)
Avant d’aborder plus en détails les tenants et aboutissant du cas en question, il parait opportun de poser le nouveau cadre juridique en évoquant spécifiquement les articles 233 quater et quinquies du CBL auxquels il convient d'être attentif pour se prémunir de toute irrecevabilité d’une demande ultérieure quant à ce.
La première disposition a trait au préalable de la mise en demeure en précisant littéralement ce qui suit :
§ 1er. Tout recouvrement d'une dette de loyer ou de charges doit commencer par une mise en demeure écrite, adressée au preneur dont un modèle est disponible sur le site internet de Bruxelles Logement..
Cette mise en demeure doit contenir de manière complète et non équivoque toutes les données relatives à la créance. Elle doit comprendre au minimum les données énumérées au § 2 et il ne peut être procédé à d'autres techniques de recouvrement qu'après écoulement du délai prévu au § 3.
§ 2. Dans la mise en demeure apparaissent au moins les données suivantes :
1° l'identité, l'adresse, le numéro de téléphone et la qualité du bailleur ;
2° une description et une justification claires des montants réclamés, en ce compris les dommages-intérêts et les intérêts moratoires réclamés ;
3° la mention que, en l'absence de réaction dans le délai prévu au § 3, le bailleur pourra saisir le juge d'une action en recouvrement et/ou en résolution du bail ;
4° dans le cas où le recouvrement est effectué par un avocat, un officier ministériel ou un mandataire de justice, le texte suivant figurera dans un alinéa séparé, en caractères gras et dans un autre type de caractère : « Cette lettre concerne un recouvrement amiable et vise à éviter un recouvrement judiciaire (assignation au tribunal ou saisie). ».
§ 3. Dans la mise en demeure, le délai dans lequel la créance peut être remboursée avant que des mesures complémentaires soient prises est mentionné. Ce délai est d'au moins un mois et commence à courir à la date de l'envoi de la sommation écrite.
Quant à l’article 233quinquies relatif au mode d’introduction de l’instance, il reprend le principe suivant lequel les demandes introductives et en intervention forcée en matière de bail d'habitation, en ce compris celles tendant à une expulsion, sont formées par requête écrite déposée au greffe du juge.
La demande peut toujours être introduite par citation mais les frais restent alors à charge du demandeur même s’il obtient gain de cause à moins que le recours à ce mode d’introduction soit imposé par la loi ou que le défendeur ne soit pas inscrit aux registres de la population.
Le paragraphe 2 de cet article doit retenir l’attention en ce qu’il aborde les mentions devant figurer à peine de nullité dans ledit acte introductif en ces termes :
« à peine de nullité, l'acte introductif contient :
1° l'indication des jours, mois et an ;
2° les nom, prénom et domicile du requérant et, le cas échéant, son numéro de registre national ou numéro d'entreprise ;
3° les nom, prénom, domicile, et si ces informations sont connues du bailleur le numéro de téléphone et, le cas échéant, l'adresse électronique de la personne contre laquelle la demande est introduite ;
4° l'objet et l'exposé sommaire des moyens de la demande ;
5° la signature du requérant ou de son avocat.
La citation contient en outre l'indication du juge qui est saisi et l'indication des lieu, jour et heure de l'audience.
A tout acte introductif d'instance concernant une demande d'expulsion sont en outre annexés, à peine de nullité :
1° un certificat de domicile de la personne mentionnée sous 3°, sauf si le défendeur n'est pas inscrit aux registres de la population ou aux registres des étrangers ;
2° copie de la mise en demeure préalable ainsi que de la preuve de son envoi au moins un mois avant le dépôt de la requête ou avant la signification de la citation.
2. CONTEXTE
Après cette évocation, rentrons dans le vif du sujet.
En septembre 2023, une requête en validation de congé a été déposée en matière de bail de résidence principale.
Dans un premier temps, le greffe a refusé de traiter la requête au motif de l’absence de la mise en demeure préalable visée par le nouvel article 233quinquies §2 du CBL pour ensuite revoir sa position après examen de notre analyse reprise dans les lignes suivantes.
A l’heure de la rédaction des présentes, l’audience d’introduction n’a pas encore eu lieu, un revirement semble toutefois peu probable.
3. POSITION
Une telle requête est recevable en ce qu’aucune mise en demeure préalable conforme au prescrit de la nouvelle ordonnance n’est requise s’agissant in concreto d’une requête en demande de validation d’un congé laquelle n’est pas assimilable à une expulsion nécessitant une mise en demeure préalable.
Qui plus est, les articles 251 et suivants du Code bruxellois du logement (relatif à la prorogation pour circonstances exceptionnelles) ne sont pas impactés par l’ordonnance du 22 juin 2023.
Dès lors, le greffe est tenu de fixer une date de comparution même si les délais sont adaptés en fonction de la nouvelle ordonnance…
4. OBSERVATIONS
a. Fondement de la demande
Dans le cas d’espèce, il est question d’un congé donné pour occupation personnelle à la suite duquel une demande de prorogation, durant la période de préavis, a été introduite au plus tard un mois avant l’échéance du terme.
La section 10 insérée dans le code Bruxellois du logement s’applique « sauf disposition aux baux d'habitation et aux baux commerciaux portant sur un bien qui constitue également une habitation pour le locataire. Le Code judiciaire s'applique sous réserve des dispositions qui suivent ».
L’article 233ter fait état d’une exigence de proportionnalité des décisions en matière de logement en disposant que:
« Le juge statue sur toute demande relative à un bail d'habitation ou à un bail visé à la section II bis du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil en tenant compte des effets de sa décision sur le droit au logement du preneur ».
Néanmoins, cet article se poursuit comme suit « La résolution du contrat ne pourra être prononcée que si la créance ne peut être apurée dans le respect de délais raisonnables, eu égard à la situation des parties, ou sur le constat de ce que la résolution du contrat constitue une décision proportionnée au regard des manquements qui fondent la demande ».
En l’espèce, il n’est nullement question de manquements ou d’arriérés mais il semble qu’il faille déduire de l’alinéa 1 que « le moratoire » est en réalité généralisé et vise toute hypothèse d’expulsion…
Reste à savoir les conditions puisqu’en poursuivant la lecture de l’ordonnance, on s’aperçoit de ce qu’en vertu de l’article 233quater, le préalable de la mise en demeure est exigé pour tout ce qui concerne le recouvrement d'une dette de loyer ou de charges.
De fait, pour rappel, il est expressément stipulé que :
« § 1er. Tout recouvrement d'une dette de loyer ou de charges doit commencer par une mise en demeure écrite, adressée au preneur dont un modèle est disponible sur le site internet de Bruxelles Logement.Cette mise en demeure doit contenir de manière complète et non équivoque toutes les données relatives à la créance. Elle doit comprendre au minimum les données énumérées au § 2 et il ne peut être procédé à d'autres techniques de recouvrement qu'après écoulement du délai prévu au § 3 ».
Alors qu’il résulte de cet article 233quater (et du modèle de mise en demeure à télécharger sur le site de internet de Bruxelles logement) que l’exigence de mise en demeure préalable vise uniquement l’hypothèse de recouvrement de loyers ou de charges, l’article 233quinquies relatif au mode introductif d’instance dispose notamment comme suit :
« § 1er. Les demandes introductives et les demandes en intervention forcée en matière de bail d'habitation, en ce compris celles tendant à une expulsion, sont formées par requête écrite déposée au greffe du juge.
(…on omet…)
A tout acte introductif d'instance concernant une demande d'expulsion sont en outre annexés, à peine de nullité :
(…on omet)
2° copie de la mise en demeure préalable ainsi que de la preuve de son envoi au moins un mois avant le dépôt de la requête ou avant la signification de la citation.
(on omet…) »
L’on peut encore relever que les dispositions du Code judiciaire relatives aux procédures en matière de louage de choses et en matière d'expulsion continuent de s’appliquer sous réserve des dispositions introduites par l’ordonnance du 22 juin 2023.
Néanmoins, puisque l’ordonnance susdite abroge les articles 1344ter à 1344septies du Code judiciaire ainsi que l'article 1344bis pour ce qui concerne les baux d'habitation et les baux commerciaux portant sur un bien qui constitue également une habitation pour le locataire, la référence au code judiciaire semble inopportune en cette matière.
Une lecture rapide des travaux préparatoires permet de relever qu’une intervenante soutient « qu’un bailleur peut résilier un bail au bout de trois ans sans qu’on parle d’expulsion. Il s’agit d’une validation de congé. Si le preneur ne s’y plie pas, elle ne devrait pas être reprise parmi les chiffres des expulsions en tant que telles ».
En l’espèce, il n’est nullement question de manquements ou d’arriérés !
La demande de validation d’un congé ne s’avère pas assimilable à une expulsion nécessitant une mise en demeure préalable. Sans doute que les délais allongés pour procéder à l’expulsion dans l’hypothèse où le juge validerait le congé mais les articles 251 et suivants du Code bruxellois du logement (relatif à prorogation pour circonstances exceptionnelles) ne paraissent pas impactés par l’ordonnance du 22 juin 2023.
Partant, en cas de refus du bailleur d’accorder une prorogation pour circonstances exceptionnelles, il ne peut se déduire de l’ordonnance qu’une mise en demeure soit obligatoire lorsqu’il s’agit de valider le congé.
Cette position est d’autant justifiée par l’allongement des délais de comparution dont question à l’article 233sexies lequel dispose notamment comme suit :
« § 1er. Lorsque la demande est introduite par requête, les parties sont convoquées par le greffier, sous pli judiciaire, à comparaître, dans les quinze jours de l'inscription de la requête au rôle général, à l'audience fixée par le juge. Une copie de la requête est annexée à la convocation.
Le délai de comparution est porté à 40 jours lorsque la requête comporte une demande d'expulsion.
(on omet…) »
Il peut encore être relevé que l’article 233septies impose en ses paragraphes 1 et 2 littéralement ce qui suit :
§ 1er. Toute demande tendant à l'expulsion du logement d'une personne physique qui a conclu un bail d'habitation, une convention d'occupation précaire ou un bail visé à la section II bis du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, est communiquée au C.P.A.S. de la commune où se situe le logement.
§ 2. Selon que la demande est formée par requête ou par comparution volontaire, ou par citation, le greffe ou l'huissier de justice transmet une copie de l'acte introductif d'instance au C.P.A.S., par voie électronique. Cette communication contient l'indication de la date à laquelle l'affaire est fixée conformément à l'article 233sexies.
§ 1er. (…on omet),
aucune expulsion d'un logement ne peut être exécutée qu'après un délai d'un mois suivant la signification du jugement ou de l'acte l'autorisant.
Ce délai n'est pas applicable lorsque :
1° le bien a été abandonné, c'est-à-dire lorsqu'il n'est plus utilisé conformément à sa fonction résidentielle ;
2° les parties ont convenu d'un autre délai, cet accord devant être constaté dans le jugement ou l'acte formant le titre d'expulsion ;
3° le juge a prolongé ou réduit ce délai à la demande du preneur, de l'occupant ou du bailleur qui justifie de circonstances d'une gravité particulière, notamment les possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille.
Dans ce dernier cas, le juge fixe le délai dans lequel l'expulsion ne peut pas être exécutée, en tenant compte de l'intérêt des deux parties et dans les conditions qu'il détermine, dont le paiement d'une indemnité d'occupation, fixée en jour, dont la somme mensuelle ne peut être supérieure au montant du loyer.
En cas de convention d'occupation précaire, le délai d'expulsion prolongé ne pourra excéder trois mois.
L'huissier informe le C.P.A.S. de la signification du jugement d'expulsion. Le cours du délai d'expulsion visé aux alinéas 1er et 2 est suspendu tant que l'huissier n'a pas procédé à cet envoi.
§ 2. L'expulsion d'un logement ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de quinze jours ouvrables après que l'huissier a avisé, par courrier, le preneur ou les occupants du bien de la date à laquelle il y procèdera.
Quant à l’article 233duodecies, il traite de la question du moratoire hivernal comme suit :
« § 1er. Sous réserve de l'exécution des décisions administratives prises sur la base de l'article 8 ou des articles 133 et 135 de la Nouvelle loi communale, aucune expulsion d'un logement ayant fait l'objet d'un bail d'habitation ou d'un bail visé à la section IIbis du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil ne peut être exécutée du 1er novembre au 15 mars de l'année suivante.
Il peut être dérogé à cette interdiction, par une décision spécialement motivée quant au caractère impérieux de l'expulsion pour les hypothèses visées aux 2°, 3°, 4°, lorsque :
1° une solution de relogement est disponible ou que le locataire a quitté le logement ;
2° l'état de salubrité et/ou de sécurité du bien justifie que l'occupation ne puisse perdurer au-delà du délai visé à l'article 233undecies, § 1er ;
3° le comportement du locataire est à l'origine d'une mise en danger qui rend toute prolongation de l'occupation impossible ;
4° le bailleur se trouve dans une situation de force majeure qui lui impose d'occuper le logement à titre personnel.
Le tribunal statue sur la dérogation au moratoire hivernal dans la décision ordonnant ou autorisant l'expulsion, dans le jugement d'homologation de la sentence arbitrale ou dans l'accord intervenu à l'issue d'une médiation, ou par décision subséquente à la demande du bailleur adressée au greffe par simple lettre, après avoir entendu les parties.
§ 2. Pendant la période du moratoire, l'indemnité d'occupation telle que fixée par la décision d'expulsion ou la décision subséquente, reste due.
En cas de défaut de paiement de l'indemnité d'occupation ainsi fixée, le bailleur peut présenter sa créance au gestionnaire du Fonds budgétaire régional de solidarité visé à l'article 11.
Ne sont pas éligibles à l'indemnité susvisée les opérateurs immobiliers publics et les AIS ayant bénéficié d'un subside régional pour la création ou la gestion des logements à finalité sociale.
Le Gouvernement arrête les conditions d'intervention du Fonds
(omet…)».
Il existe donc des exceptions au moratoire hivernal dont la situation de force majeure du bailleur qui lui impose d’occuper personnellement le logement.
5. CONCLUSION
La mise en demeure préalable requise par l’article 233quinquies §2 CBL ne s’impose que si la demande concerne, en tout ou en partie, un recouvrement d’une dette de loyer ou de charges.
Dès lors, lorsqu’une demande se limite à la validation d’un congé, l’absence de mise en demeure préalable ne s’avère pas faire obstacle à l’introduction correcte de la demande.
A bon entendeur…
Mathilde Godefroid – Laurent Collon (spécialiste agréé en droit immobilier)
Avocats
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