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L’interdiction professionnelle suite à une faillite, une prison économique ?

Par Caroline Bosco

Vendredi 07.07.23


Le 4 mai 2023, la Belgique a adopté une loi créant le Registre central des interdictions de gérer.

Il s’agit d’un registre consultable en ligne qui contiendra toutes les décisions prononçant une interdiction de gérer, dont certaines sont consultables par le grand public.

Cette loi entre en vigueur le 1er aout 2023.

Le but de ce Registre est de permettre tant aux pouvoirs publics qu’aux tiers de vérifier qu’un dirigeant d’entreprise (la loi vise les administrateurs, gérants, commissaires, délégués à la gestion journalière, membres d'un comité ou conseil de direction ou d'un conseil de surveillance ou liquidateurs d'une personne morale) n’est pas frappé d’une interdiction d’exercer ses fonctions.

Parmi les interdictions qui seront publiées dans ce Registre, on retrouve notamment l’interdiction prononcée par le Tribunal de l’Entreprise dans le cadre d’une procédure de faillite.

La possibilité pour le Tribunal de l’Entreprise de prononcer une telle interdiction est organisée par les articles XX. 229 et suivants du Code de Droit économique.

Ces articles sont sensiblement modifiés dans le projet de loi transposant la Directive 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, adopté le 25 mai 2023. Ces modifications devraient a priori entrer en vigueur en septembre 2023.

C’est donc l’occasion de refaire le point sur cette sanction qui peut être infligée à une personne ayant fait faillite, personnellement ou en sa qualité de dirigeant d’une personne morale.


De quoi s’agit-il ?

Une interdiction professionnelle est une mesure qui peut être prise à l'encontre d'une personne pour l'empêcher d'exercer une profession/fonction spécifique.

En l’occurrence, l’interdiction qui peut être prononcée par le Tribunal de l’Entreprise dans le cadre d’une faillite vise à interdire au failli d’exploiter une entreprise ou au dirigeant de l’entreprise faillie d’exercer tout autre mandat de dirigeant de personne morale pendant une période déterminée.

Il s’agit d’une mesure destinée à sanctionner une personne qui a eu un comportement fautif dans le cadre d’une faillite.


Dans quel cas le prononcé d’une telle sanction peut-il intervenir ?

En cas de faute grave et caractérisée du failli ayant contribué à la faillite (art.229, §1 CDE)

En cas de non-collaboration du failli avec le curateur et le juge-commissaire (art.229,§2 CDE)


Qui peut se voir infliger une telle sanction ?

Le failli personne physique et les dirigeants d’une personne morale faillie, de droit ou de fait, dont la démission n’aura pas été publiée un an au moins avant le prononcé de la faillite.

C’est le Tribunal qui décide de la durée de l’interdiction. Elle ne peut toutefois excéder 10 ans. La mesure peut être assortie d’un sursis ou d’une suspension du prononcé.


Qui peut demander la mise en place d’une telle interdiction ?

Jusqu’à présent, le Ministère Public ou tout créancier impayé.

Dans les faits, c’est le Ministère Public qui demande parfois cette interdiction sur la base du rapport qui lui est fait par le curateur. Rarement, les créanciers impayés.

Dorénavant, a priori dès septembre 2023, eu égard à la modification de l’article XX 230 par le projet de loi transposant la directive 2019/1023 adopté fin mai 2023, le curateur pourra directement demander au Tribunal de prononcer cette interdiction.

Le curateur saisira le Tribunal en déposant une requête contradictoire.

Cette nouveauté donnera vraisemblablement un nouveau moyen de pression au curateur à l’égard des faillis peu diligents. Le curateur pourra ainsi demander au Tribunal de prononcer cette mesure d’interdiction à l’égard du failli qui ne collabore pas, sans attendre que le Ministère Public ne le fasse. L’avenir nous dira si les curateurs se saisiront de cet outil et si les décisions prononçant une mesure d’interdiction sont vouées à se multiplier.

Le jugement prononçant une mesure d’interdiction est publié au Moniteur Belge et sera dorénavant inséré dans le Registre Central de Interdictions de gérer. Les décisions prononçant l’interdiction visée à l’article 229 du code de droit économique seront accessibles au grand public.

Cette sanction peut donc être lourde de conséquence et s’apparente à une véritable prison économique. Pendant la durée de la sanction, il n’est plus possible pour la personne interdite d’exploiter toute entreprise pour elle-même ou par personne interposée.

Les nouvelles dispositions visant à rendre publique cette interdiction par le biais du Registre Central, nouvellement créé, révèle une réelle volonté de ne plus permettre aux acteurs économiques peu scrupuleux de persévérer.

Il est à noter que le non-respect de cette mesure d’interdiction est puni d’un emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d’une amende de 25 à 250 EUR.



Caroline Bosco
Avocat au barreau de Mons - Avocation



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