Les dispositions qui concernent ce sujet sont contenues dans le livre 2 du CSA et s’appliquent donc à toutes les personnes morales (pas uniquement aux sociétés, donc).
Ancien cadre général
Le Code des sociétés permettait de solliciter, à certaines conditions, l’annulation d’une décision de l’assemblée générale d’une société (article 64) :
• lorsque la décision de l’AG était entachée d’une irrégularité de forme ;
• en cas de violation des règles relatives à son fonctionnement ou en cas de délibération sur une question étrangère à l’ordre du jour ;
• en cas de décision entachée par un excès ou un détournement de pouvoir ;
• lorsque des droits de vote suspendus avaient été exercés ;
• pour toutes autres causes prévues par le Code (on pense à l’obligation d’établir un rapport avant certaines opérations comme une augmentation de capital par apport en nature).
La demande pouvait être introduite par toute personne intéressée (article 178 CS). Etaient ainsi visés les associés, les créanciers et même les travailleurs.
Si des motifs graves le justifiaient, il était possible de solliciter en référé la suspension provisoire de l’exécution de la décision (article 179 CS).
Ce régime a été modifié par le CSA.
Décisions visées
Dans le Code des sociétés, il n’était question que des décisions prises par l’assemblée générale d’une société.
Dans le CSA, toutes les décisions prises par un des organes de la personne morale sont visées (art. 2:42 CSA).
Sont ainsi concernées les décisions prises par l’assemblée générale, par l’organe d’administration (à savoir toute personne ou collège doté d’un pouvoir d’administration ou de représentation), par l’administrateur provisoire et par le liquidateur (ou le collège des liquidateurs).
Par contre, ne sont pas considérés comme un organe : le commissaire, le mandataire (avocat, professionnel comptable, etc.) ou l’administrateur individuel s’il est membre d’un conseil d’administration et qu’il ne dispose pas du pouvoir de représentation.
Enfin, l’article 2:42 du CSA prévoit que les décisions prises par l’assemblée générale des obligataires sont également susceptibles d’être annulées, alors même que cette assemblée n’est pas considérée comme un organe par le nouveau CSA.
Titulaires de l’action en annulation
L’action peut être introduite par la personne morale ou par une personne qui a « un intérêt au respect de la règle de droit méconnue » (art. 2:44, al. 1er, CSA) et non plus par toute personne intéressée, comme le prévoyait le Code des sociétés.
Ce qui a pour effet, selon l’exposé des motifs, de ne pas (plus) permettre aux créanciers ou aux membres du personnel d’introduire l’action en annulation. Ce qui ne veut pas dire que ces personnes ne peuvent pas agir, mais elles devront se tourner vers d’autres actions judiciaires (action paulienne, action oblique).
Par contre, elle est toujours ouverte aux associés/membres de la personne morale, aux obligataires ainsi qu’aux membres de l’organe d’administration de la personne morale. Une exception : les actionnaires de la société ne peuvent invoquer la nullité d’une décision de l’AG des obligataires.
Enfin, pas plus qu’avant, l’action ne sera ouverte à celui qui a voté en faveur de la décision attaquée (sauf vice de consentement) ou qui a renoncé au droit de s’en prévaloir (sauf règle d’ordre public) (art. 2:44, al. 2 CSA).
Hypothèses visées
Il peut être utile de comparer le texte du Code des sociétés et celui du CSA à ce sujet.
On relèvera ainsi qu’est dorénavant visée la décision entachée d’abus de droit, d’abus, d’excès ou de détournement de pouvoir (art. 2:42, 2° CSA).
Sont ainsi visés l’abus du droit de vote par les associés, actionnaires, obligataires ou membres, et l’abus ou le détournement de leurs pouvoirs par les assemblées générales ou les organes d’administration (exposé des motifs).
Ce qui peut apparaître comme un changement majeur mais ne constitue finalement que la traduction légale de l’évolution doctrinale et jurisprudentielle.
• Par conséquent, la décision prise par un organe d’une personne morale ou par l’assemblée générale des obligataires peut désormais être frappée de nullité dans les cas suivants : lorsque cette décision a été adoptée de manière irrégulière et à condition que le demandeur prouve que cette irrégularité a pu avoir une influence sur la délibération ou le vote ou a été commise dans une intention frauduleuse (art. 2:42, 1°, CSA) ;
• en cas d’abus de droit, d’abus, d’excès ou détournement de pouvoir comme nous l’avons soulevé ci-avant (art. 2:42, 2°, CSA) ;
• lorsque des droits de vote ont été exercés alors qu’ils étaient suspendus et que, sans ces droits de vote illégalement exercés, les conditions de quorum ou de majorité requis pour les décisions d’assemblée générale n’auraient pas été réunies (art. 2:42, 3°, CSA) ;
• pour toute autre cause prévue par le Code (art. 2:42, 4°, CSA).
Procédure
C’est le tribunal de l’entreprise qui prononce la nullité d’une décision à la requête de la personne morale ou d’une personne qui a intérêt au respect de la règle de droit méconnue.
L’action en nullité doit toujours être dirigée contre la personne morale (art 2:45 CSA).
Il sera toujours possible pour le titulaire de l’action en annulation de solliciter préalablement, en référé, la suspension de l’exécution de la décision litigieuse (art. 2:46 CSA). L’urgence devra toutefois être démontrée.
Mais elle sera autorisée en cas d’urgence (et non plus en présence de motifs graves, comme le prévoyait le Code des sociétés) et pour autant que les moyens puissent justifier prima facie l’annulation de la décision.
Le jugement prononçant la nullité ainsi que l’ordonnance de suspension produiront leurs effets à l’égard de tous. Il est toutefois précisé qu’à l’égard des personnes qui ne sont pas parties à la cause, la décision du tribunal ne produira ses effets qu’à dater de sa publication (art. 2:47 CSA).
En revanche, la nullité ne peut être opposée aux tiers qui, sur la base de la décision annulée, avaient acquis des droits à l’égard de la personne morale. La nullité peut toutefois toujours être opposée aux membres des organes d'administration qui, en cette qualité, auraient acquis des droits à l'égard de la personne morale sur la base de la décision annulée (art 2:48 CSA).
Nullité de la décision ou nullité du vote
A chaque fois qu’il sera possible de solliciter la nullité d’une décision, il sera également possible de solliciter la nullité d’un vote. La nullité du vote entrainera la nullité de la décision pour autant que le vote déclaré nul ait pu influencer la délibération ou le vote (art. 2:43, al. 1er, CSA).
Abus de minorité
Le CSA permet de saisir le tribunal de l’entreprise en vue de contourner un vote de blocage, ce qu’on appelle également l’abus de minorité.
Ainsi, lorsqu’une minorité des votants abusera de son droit de vote en vue d’empêcher l’assemblée de prendre une décision à la majorité requise par la loi ou les statuts, le juge pourra décider que sa décision tiendra lieu de vote positif (art. 2:43, al. 2, CSA).
Ce faisant, ce n’est donc pas la décision en tant que telle qui est l’objet de la demande d’annulation mais bien le vote d’une partie des votants en vue de transformer le sens du vote.
Caroline Kempeneers
Avocate - Médiatrice agréée en matière civile et commerciale
Solis Law Firm
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