Principe
L’opération d’acquisition d’actions propres par la société anonyme est une opération réglementée de longue date compte tenu des dangers qu’elle représente pour les créanciers et actionnaires, car elle aboutit à une réduction des fonds propres et peut même engager le capital.
Elle est souvent désignée comme un « rachat » d’actions propres alors qu’il s’agit en l’espèce d’un « achat » puisque la société a, au départ, émis et non vendu des titres. De plus, on parle de rachat « d’actions », mais le régime légal s’applique également aux parts bénéficiaires ou aux certificats s’y rapportant. En outre, l’« acquisition » peut se faire par voie d’échange ou d’achat.
A noter que la prise en gage par la société de ses propres actions, de ses parts bénéficiaires ou des certificats s’y rapportant est assimilée par l’article 7:226 du CSA à une acquisition d’actions propres.
Depuis la réforme du droit des sociétés, la réglementation relative à l’acquisition d’actions propres par la société ou ses filiales a été remaniée afin de rendre le système plus flexible et plus simple.
L’acquisition d’actions propres par la société elle-même
Conditions d’acquisition
Les conditions imposées autrefois par l’ancien article 620 du Code des sociétés pour l’acquisition par la société de ses propres actions sont reprises à l’article 7:215 du CSA, moyennant certains changements.
Tout comme sous l’ancien régime, l’acquisition d’actions propres par la société nécessite une autorisation préalable de l’assemblée générale. Il s’agit, en réalité, pour l’assemblée générale, d’autoriser l’organe d’administration à acquérir les actions de la société. Cette habilitation peut être prévue par les statuts ou si ce n’est pas le cas, faire l’objet d’une décision de l’assemble générale.
La décision de l’assemblée générale peut désormais se prendre selon les conditions de présence et de vote requises pour la modification des statuts (c’est-à-dire la majorité des ¾ des voix) et non plus selon les conditions requises pour la modification de l’objet (c’est à-dire à la majorité des 4/5ème des voix). Il faudra en conséquence 75% et non plus 80% de votes favorables pour pouvoir effectuer cette opération (art 7:215 § 1, 1° CSA).
L'assemblée générale ou les statuts fixent notamment le nombre maximum d'actions, de parts bénéficiaires ou de certificats à acquérir, la durée pour laquelle l'autorisation d'acquérir est accordée à l’organe d’administration et qui ne peut excéder cinq ans à dater de la publication de l'acte constitutif, de la modification des statuts ou de l'autorisation de l'assemblée générale, ainsi que les contre-valeurs minimales et maximales (art. 7:215, § 1, alinéa 2 CSA).
Quand l’assemblée générale autorise l’acquisition d’actions propres ou renouvelle une autorisation statutaire d’acquérir des actions propres, sa décision doit être déposée au greffe et publiée au Moniteur belge conformément aux articles 2:8 et 2:14, 1° du CSA.
Par ailleurs, le « plafond » prévu par l’ancien Code des sociétés, en vertu duquel la société ne pouvait acquérir qu’un maximum de 20% de ses propres actions (ancien art. 620, § 1er, 2°, C. soc.), disparaît. Le seul plafond est désormais le montant susceptible d’être distribué conformément à l’article 7:212 CSA. Seuls ces moyens peuvent être affectés à l’acquisition.
L’opération doit également porter sur des actions entièrement libérées ou sur des certificats s’y rapportant (art. 7:215, §1, 3° CSA).
En outre, l’acquisition doit respecter l’égalité des actionnaires, c’est-à-dire être ouverte à tous les actionnaires et, le cas échéant, à tous les titulaires de parts bénéficiaires ou titulaires de certificats aux mêmes conditions par classe ou par catégorie, sauf décision contraire prise à l’unanimité par une assemblée générale à laquelle tous les actionnaires sont présents ou représentés. Il existe une dérogation à cette règle d’égalité dans le cas d’acquisitions effectuées, sur les marchés concernés, par une société cotée ou une société dont les titres sont admis aux négociations sur un MTF (art. 7:215, §1, 4° CSA).
Dérogation partielle
Conformément à ce qui était prévu par l’ancien article 622, § 2 du Code des sociétés, l’acquisition est permise sans autorisation de l’assemblée générale dans deux cas (art. :215, § 1er, al. 3 et 4) :
1° en vue de la distribution d’actions au personnel (Cf. Note 1), y compris au personnel des sociétés liées. Ces actions doivent alors être transférées au personnel dans un délai de douze mois à compter de leur acquisition ;
2° lorsque les statuts ont prévu qu’une décision de l’assemblée générale n’était pas nécessaire quand l’acquisition est requise pour éviter à la société un dommage grave et imminent.
A noter que cette dernière faculté ne peut être prévue que pour une période de trois ans à dater de la publication de l’acte constitutif ou de l’acte d’autorisation, renouvelable par l’assemblée générale dans le respect des conditions de quorum et de majorité requises pour une modification des statuts. L’assemblée doit également être informée a posteriori des acquisitions réalisées par l’organe d’administration ainsi que d’un certain nombre de données les concernant : raison(s) et but(s) des acquisitions effectuées ; nombre et valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, pair comptable des titres acquis ; fraction du capital souscrit représenté et la contrepartie payée.
Dérogation générale
Les conditions d’acquisition prévues à l’article 7:215 du CSA ne doivent pas être appliquées dans les cas suivants (art. 7:216 CSA) :
1° Lorsqu’à la suite d’une décision de l’assemblée générale de réduire le capital conformément à l’article 7:208 du CSA, des actions sont acquises en vue de leur destruction immédiate (art. 7:216, 1°).
Il s’agit d’un cas très spécifique puisqu’une réduction de capital n’entraîne, en principe, pas une destruction d’actions.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une acquisition : les titres n’entreront jamais dans le patrimoine social.
2° Lorsque les actions sont acquises à la suite d’une transmission de patrimoine à titre universel (art. 7:216, 2°). La dérogation vise, par exemple, en cas de fusion, les actions de la société absorbante que détenait la société absorbée.
3° Lorsque l’acquisition a lieu dans le cadre d’une vente forcée, conformément aux articles 1494 et suivants du Code judiciaire, en vue de recouvrer une créance contre le propriétaire des actions. Il s’agit, en réalité, d’un cas de dation en paiement auquel la société recourt car elle y voit le seul moyen de se faire payer (art. 7:216, 3°).
Règles relatives à la détention des actions acquises
Les actions, parts bénéficiaires ou certificats acquis peuvent être annulés ou détenus en portefeuille (art. 7:217, § 1er, al. 1 CSA).
Le droit de vote des actions acquises est suspendu (art. 7:217, § 1er, al. 2 CSA). L’objectif de cette mesure est d’éviter que l’organe d’administration ne puisse exercer les droits liés aux actions acquises car cela conduirait à une situation de conflits d’intérêts avec les actionnaires.
Une réserve indisponible doit être constituée au passif pour la contrepartie de la valeur à laquelle les actions, parts bénéficiaires ou certificats propres sont évalués à l’actif du bilan de la société (art. 7:217, § 2 CSA).
En outre, les actions acquises ne sont pas comptabilisées pour calculer le dividende (art. 7:217, § 3 CSA).
L’information sur les actions, parts bénéficiaires ou certificats propres doit être donnée dans le rapport de gestion et, si la société ne doit pas en rédiger, dans l’annexe aux comptes annuels (art. 7:220 CSA).
Règles relatives à l’aliénation des actions acquises
Un changement notable en cette matière a trait à l’aliénation des actions acquises par la société anonyme. Désormais, l’autorisation de l’assemblée générale préalable à la décision d’aliénation des titres propres acquis (art. 622, § 2, al. 1er, C. soc.) n’est plus requise. Cette suppression est contrebalancée par l’obligation de soumettre l’offre de vente à tous les actionnaires, et, le cas échéant, à tous les titulaires de parts bénéficiaires ou de certificats, aux mêmes conditions par classe ou par catégorie (art. 7:218, § 1er, 1° CSA).
Par conséquent, la société ne peut aliéner les actions acquises en vertu de l’article 7:215, § 1er du CSA que dans les cas suivants :
1° lorsque les actions sont offertes à tous les actionnaires, et le cas échéant à tous les titulaires de parts bénéficiaires ou de certificats, aux mêmes conditions par classe ou par catégorie ;
2° dans certaines conditions, lorsque les actions sont cotées sur un marché réglementé ou sur un MTF. L’aliénation peut aussi avoir lieu en dehors de ce marché réglementé ou de ce MTF à condition que la société garantisse l’égalité de traitement des actionnaires, titulaires de parts bénéficiaires ou titulaires de certificats qui se trouvent dans les mêmes conditions, moyennant l’équivalence du prix demandé, c’est-à-dire à un prix qui n’est pas inférieur au prix du marché ;
3° Lorsque les actions ont été acquises pour éviter à la société un dommage grave et imminent, une clause statutaire peut également donner à l’organe d’administration le pouvoir de les aliéner dans ce cas spécifique. Le fait que l’acquisition vise à éviter un danger grave et imminent ne suffit pas (art. 7:216, 1° CSA) ; il faut que l’aliénation ait le même objectif ;
4° Une autorisation statutaire explicite peut permettre l’aliénation à une ou plusieurs personnes déterminées autres que le personnel. Dans ce cas, les administrateurs qui représentent en fait cette personne ou les personnes qui lui sont liées ne peuvent participer au vote dans l'organe d'administration ;
5° lorsque les actions sont aliénées au personnel de la société. Elles doivent être transférées dans les douze mois suivant leur acquisition ;
6° lorsque l’aliénation porte sur des actions acquises en vertu de l’article 7:216, 2° (transmission de patrimoine à titre universel) et 3° (vente judiciaire) du CSA, qui doivent être aliénées dans un délai de douze mois à compter de leur acquisition, dans la mesure où la société ne dispose pas de réserves disponibles suffisantes pour constituer la réserve indisponible visée à l’article 7:217, § 3 du CSA, à l’expiration de ce délai de douze mois.
Parmi les hypothèses reprises ci-dessus et dans lesquelles une aliénation est possible, seules trois circonstances obligent concrètement la société à aliéner les actions propres détenues :
• les actions acquises en vue de leur distribution au personnel doivent être cédées dans les douze mois de leur acquisition ;
• les actions acquises par l’effet d’une transmission universelle ou d’une vente sur saisie doivent être cédées dans les douze mois de leur acquisition ;
• Les actions acquises en vue de dénouer des participations réciproques doivent être cédées dans les trois ans de leur acquisition.
Sanctions
Les actions acquises en violation des conditions légales ou non aliénées dans les délais prévus sont nulles de plein droit (art. 7:219, § 1er CSA). L’organe d’administration doit les détruire, en faire le cas échéant mention expresse dans le registre concerné et en déposer la liste au greffe du tribunal de l’entreprise.
L’acquisition d’actions propres par ses filiales
Le régime de l’acquisition d’actions propres est étendu à l’acquisition des actions d’une société anonyme par sa filiale directe. Ceci était déjà possible sous l’ancien Code mais l’assimilation entre les deux régimes n’était pas parfaite et un certain nombre de dispositions n’étaient pas applicables à l’acquisition de actions de la société mère par sa filiale.
Désormais, le CSA organise une analogie quasi parfaite entre les deux régimes, de sorte que l’article 7:221 prévoit que l’acquisition, la possession et l’aliénation d’actions, de parts bénéficiaires, ou de certificats se rapportant à ces actions ou parts bénéficiaires de la société par une société filiale directe de cette société (au sens de l’article 1:14, § 2, 1°, 2 ° et 4° du CSA), ainsi que par une personne agissant en son nom propre, mais pour le compte de cette société filiale « sont assimilées à l’acquisition, la possession et l’aliénation par la société anonyme elle-même ».
Le nouveau Code étend également les règles relatives à l’égalité de traitement des actionnaires et autres détenteurs de titres, et uniquement ces règles, aux acquisitions par les filiales indirectes d’actions de leur société mère, lorsque celle-ci est cotée. Les articles 7:215, § 1er, 4°, et 7:218, § 1er, 1°, 2° et 4° sont ainsi rendus applicables à ces opérations (art. 7:222, al. 1er CSA).
En matière de participation croisée - c’est à dire en cas de détention par une première société d'actions d'une deuxième société alors que cette dernière détient également des actions de la première - les restrictions existantes dans l’ancien Code des sociétés disparaissent avec le CSA. Auparavant, une société fille ne pouvait pas acquérir d’actions de sa société mère si celles-ci représentaient plus de 10% des droits de vote attachés à l’ensemble des actions émises.
Enfin, et en ce qui concerne les sanctions applicables, les actions acquises en méconnaissance de l’article 7:221 sont nulles de plein droit, conformément à l’article 7:219 du CSA. Les actions nulles sont remises à la société mère en vue de leur destruction et elle est tenue d’en restituer la contre-valeur (art. 7:223 CSA). Quant à la réserve que doit constituer la société mère, l’article 7:217, § 2, impose qu’elle porte également sur la valeur d’acquisition des titres propres détenus par une filiale directe.
Caroline Kempeneers
Avocate - Médiatrice agréée en matière civile et commerciale
Solis Law Firm
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Notes:
(1) Il faut entendre par « personnel » : 1° toute personne physique engagée dans les liens d'un contrat de travail, d'un contrat de management ou d'un contrat similaire avec la société ou sa/ses filiale(s) ; 2° toute personne morale engagée dans les liens d'un contrat de management ou d'un contrat similaire avec la société ou sa/ses filiale(s), en vertu duquel cette personne morale n'est représentée que par une seule personne physique qui en est également l'associé ou l'actionnaire de contrôle ; 3° les membres de l'organe d'administration de la société ou de sa/ses filiale(s), en ce compris les personnes morales dont le représentant permanent est également l'associé ou l'actionnaire de contrôle.
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