A. STRUCTURE ET CONTENU
Le régime applicable (voir note 1) aux accords verticaux aux termes du Règlement est complexe, tant d'un point de vue procédural (interaction avec d'autres règlements d'exemption par catégorie, possibilité de retrait du bénéfice de l'exemption a posteriori, etc.), qu'au fond. La position de la Commission sur les questions de fond est exprimée dans ses Lignes Directrices (plus de 40 pages). Cette position requiert une analyse économique approfondie et au cas par cas.
Les Lignes Directrices exposent la politique que la Commission entend suivre en matière de restrictions verticales. Elles doivent donc aider les entreprises à évaluer elles-mêmes la validité de leurs accords verticaux dans le contexte des règles de concurrence.
Les Lignes Directrices décrivent notamment les accords verticaux qui ne tombent généralement pas sous le coup de l’interdiction de l'article 81 §1 du traité CE, à savoir les accords d'importance mineure (suivant la communication "de minimis"), les accords entre petites et moyennes entreprises et les contrats d'agence (voir fiche pratique "Le contrat d'agence commerciale au regard du droit de la concurrence"). Elles détaillent également comment appliquer le Règlement.
Le cœur du document concerne l'exposé de la politique suivie par la Commission et les autorités de concurrence nationales pour l'application de l'article 81 du traité CE au cas par cas, c'est-à-dire aux accords verticaux qui ne sont pas couverts par le Règlement (en particulier dans l'hypothèse où l'inapplicabilité du Règlement résulte de parts de marché trop importantes).
L'appréciation d'une restriction verticale comprend généralement les étapes suivantes.
- Les entreprises concernées doivent définir le marché en cause afin d'établir la part du marché du fournisseur ou de l'acheteur (selon la restriction verticale considérée (voir note 2) ).
- Si la part de marché cumulée des parties est inférieure à 15%, il n'y a pas de violation de l'article 81 §1 du traité CE, sauf si l'accord contient des restrictions caractérisées (cf. communication de minimis).
- Si la part de marché cumulée des parties est supérieure à 15% mais que la part de marché à prendre en compte (celle du fournisseur ou de l'acheteur, selon le type d'accord (voir note 3) ) ne dépasse pas 30%, l'accord vertical bénéficie de l'exemption par catégorie prévue par le Règlement, sous réserve de ne contenir aucune restriction caractérisée (voir note 4) et de satisfaire aux autres conditions fixées par le Règlement.
- Si la part de marché en cause dépasse le seuil de 30%, l'accord ne peut pas bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le Règlement; si l'accord relève de l'article 81 §1 du traité CE (parce qu'il est susceptible d'avoir un effet sur le commerce entre Etats membres (voir note 5) ), il faut vérifier s'il remplit les conditions d'exemption prévue à l'article 81 §3 du traité CE.
Les facteurs à prendre en considération pour l'appréciation des restrictions verticales au regard de l'article 81 §1 du traité CE sont les suivants :
- la position du fournisseur sur le marché (l'importance de son pouvoir de marché (voir note 6) ) ;
- la position des concurrents sur le marché (leur nombre et leur propre pouvoir de marché) ;
- la position de l'acheteur sur le marché (sa puissance d'achat) ;
- les barrières à l'entrée sur le marché (voir note 7) (plus elles sont élevées, plus le jeu de la concurrence risque d'être faussé) ;
- la maturité du marché (plus un marché est mature, donc peu innovant et stable, plus les effets négatifs pour la libre concurrence sont susceptibles de se produire) ;
- le stade du commerce (les biens et services intermédiaires causent souvent moins d'effets négatifs sur la concurrence que les biens et services finals) ;
- la nature du produit (homogénéité des produits sur le marché, leur cherté, la fréquence d'achat).
Comme déjà évoqué précédemment, les critères permettant à un accord vertical d'échapper à l'interdiction de l'article 81 §1 du traité CE sont énumérés à l'article 81 §3 du traité CE. Ainsi, l'accord vertical :
- doit contribuer à améliorer la production ou la distribution, des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique;
- doit réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte;
- ne doit pas imposer aux entreprises intéressées de restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs (critère de proportionnalité);
- ne doit pas donner aux entreprises concernées la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence (critère important si l'accord confère à une entreprise une position dominante (voir note 8) sur le marché).
B. ANALYSE DES PRINCIPALES FORMES DE DISTRIBUTION
Les Lignes Directrices analysent certaines restrictions verticales, rappelant les conditions auxquelles elles peuvent bénéficier de l'exemption par catégorie prévue par le Règlement ou, à défaut, les critères à prendre en compte pour apprécier qu'elles répondent aux critères de l'article 81 §3 du traité CE.
1. Monomarquisme
La dénomination "monomarquisme" désigne les accords ou les stipulations qui ont pour dénominateur commun d'obliger ou d'inciter l'acheteur à ne s'approvisionner, pour un type de produits donnés, qu'auprès d'un seul fournisseur. Cette catégorie est constituée, entre autres, par les engagements de non-concurrence et les quotas d'achat.
Le monomarquisme bénéficie de l'exemption du Règlement lorsque la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 30% et sous réserve que la durée de l'obligation de non-concurrence soit limitée à cinq ans. Si l'une de ces conditions n'est pas remplie, une appréciation au cas par cas sera faite sur la base de critères comme la position du fournisseur sur le marché, l'étendue et la durée de l'obligation de non-concurrence, etc.
2. Distribution exclusive
Dans un accord de distribution exclusive, le fournisseur accepte de ne vendre sa production qu'à un seul distributeur en vue de la revente sur un territoire déterminé (exclusivité territoriale) ou à une catégorie de clientèle déterminée (exclusivité de clientèle). Dans le même temps, le distributeur est souvent limité dans ses ventes actives vers d'autres territoires exclusifs dans le cas de l'exclusivité territoriale ou à d'autres clientèles concédées dans le cas de l'exclusivité de clientèle.
La distribution exclusive bénéficie d'une exemption pour autant que la part de marché du fournisseur n'excède pas 30% et qu'elle ne prévoie pas de restriction caractérisée (voir note 9) . Lorsque ce seuil de 30% est dépassé, la distribution exclusive sera examinée sur la base de critères comme la position du fournisseur et de ses concurrents sur le marché, l'existence de barrières sur le marché, la maturité du marché, etc.
3. Distribution sélective
Dans un accord de distribution sélective, le fournisseur réserve la vente de ses produits à une catégorie limitée de distributeurs sur la base de critères définis. Une telle forme de distribution est souvent utilisée pour les produits de luxe ou de grande technicité (véhicules automobiles, parfums, bijouterie, etc.).
Les distributeurs sélectifs ne sont autorisés à livrer que les autres revendeurs qui remplissent les critères de sélection ainsi que les utilisateurs finaux.
On peut distinguer la distribution sélective qualitative et la distribution sélective quantitative :
- un système de distribution sélective qualitative consiste à sélectionner les distributeurs sur la seule base de critères objectifs requis par la nature du produit en cause (ex. le service fourni dans le point de vente, la formation du personnel, etc.). Ainsi, tous les distributeurs qui remplissent les critères peuvent faire partie de ce système;
- un système de distribution sélective quantitative ajoute d’autres critères de sélection qui limitent plus directement le nombre potentiel de distributeurs en imposant des quantités minimums de vente, en limitant directement le nombre de distributeurs par région ou par ville, etc.
La distribution sélective, qu'elle soit qualitative ou quantitative, bénéficie de l'exemption du Règlement pour autant que la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 30% et qu'elle ne comporte pas de restriction caractérisée (voir note 10) . Dans les cas individuels qui ne bénéficient pas d'une telle exemption ou en cas d'effets cumulatifs résultant de réseaux parallèles de distribution sélective, l'appréciation de la validité de la distribution sélective sera faite sur la base d'orientations telles que la position du fournisseur et de ses concurrents sur le marché, l'existence de barrières à l'entrée sur le marché, la nature du produit, etc.
4. Accord de franchise
Un accord de franchise est un système de commercialisation de produits, de services ou de technologies par laquelle le "franchiseur" concède au "franchisé" le droit d'utiliser tout ou partie des droits incorporels lui appartenant (nom commercial, marques, licences) contre le versement d'une redevance. Outre une licence de droits de propriété intellectuels, le franchiseur fournit normalement au franchisé, pendant la durée de l'accord, une assistance technique ou commerciale.
Les accords de franchise contiennent généralement une combinaison de restrictions verticales portant sur les produits distribués, en particulier la distribution sélective ou exclusive ou encore une obligation de non-concurrence.
En ce qui concerne les restrictions verticales à l'achat, à la vente et à la revente de biens et services relevant d'un accord de franchise, telles que la distribution sélective ou exclusive ou l'obligation de non concurrence, l'exemption s'applique lorsque la part de marché du franchiseur (ou du fournisseur désigné par ce dernier) ne dépasse pas 30% et à condition que l'accord ne comporte pas de restriction caractérisée (voir note 11) .
Toutefois, il faut noter les deux nuances suivantes :
- plus le transfert de savoir-faire au franchisé est important, plus les restrictions verticales pourront aisément satisfaire aux conditions d'exemption (en effet, dans cette hypothèse, il y a plus de raisons d'escompter des gains d'efficience et une restriction verticale peut s'avérer nécessaire pour protéger le savoir-faire cédé ou les coûts d'investissement supportés par le franchiseur) ;
- une obligation de non-concurrence ne violera pas l'article 81 §1 du traité CE, lorsqu'elle est nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau franchisé; la durée de l'obligation de non-concurrence ne peut cependant pas excéder celle de l'accord de franchise lui-même.
5. Obligation de fourniture exclusive
Une obligation de fourniture exclusive est toute obligation directe ou indirecte qui impose au fournisseur de ne vendre les biens ou les services désignés qu'à un seul acheteur à l'intérieur de la Communauté européenne en vue d'un usage déterminé ou de la revente. Il s'agit de la forme extrême de la distribution limitée pour ce qui est du nombre d'acheteurs.
Une obligation de fourniture exclusive est exemptée pour autant que la part de marché de l'acheteur n'excède pas 30%, même si elle est associée à d'autres restrictions verticales qui ne sont pas caractérisées, par exemple une clause de non-concurrence. Lorsque ce seuil est dépassé, la fourniture exclusive sera appréciée sur la base de critères tels que la position de l'acheteur sur le marché, les barrières à l'entrée, le stade du commerce et la nature du produit, etc.
6. Vente liée
Il y a vente liée lorsqu'un fournisseur subordonne la vente d'un produit à l'achat, auprès de ce fournisseur ou de quelqu'un désigné par celui-ci, d'un autre produit distinct. Le premier produit est appelé le bien ou service "liant" et le deuxième le produit "lié".
Une vente liée constitue une restriction verticale tombant sous le coup de l'article 81 du traité CE lorsqu'il en résulte une obligation de type monomarquisme (voir supra) pour le produit lié.
Les ventes liées bénéficient d'une exemption lorsque la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 30% à la fois sur le marché du produit lié et sur celui du produit liant. Lorsque ce seuil est dépassé, les ventes liées seront évaluées sur la base de la position du fournisseur sur le marché du produit liant, la position de ses concurrents sur le marché et la puissance d'achat des acheteurs.
Bénédicte Raevens (Avocat associé au cabinet McGuireWoods Bruxelles)
Pol Cools (Avocat au cabinet McGuireWoods Bruxelles)
Notes:
(1) J.O. C 291 du 13 octobre 2000.
(2) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point A.2.).
(3) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point A.2.).
(4) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point B.).
(5) Voir Fiche Pratique : Introduction.
(6) Voir Fiche Pratique: Glossaire des termes les plus employés en droit de la concurrence.
(7) Voir Fiche Pratique: Glossaire des termes les plus employés en droit de la concurrence.
(8) Voir Fiche Pratique: Glossaire des termes les plus employés en droit de la concurrence.
(9) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point B.).
(10) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point B.).
(11) Voir Fiche Pratique: Le règlement d’exemption 2790/99 (point B.).
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