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Introduction sur la responsabilité de l'Etat dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle



1. La responsabilité personnelle des magistrats ne peut être mise en cause que dans les limites étroites de la procédure de prise à partie (note 1). Les procédures de prise à parti sont extrêmement rares, pour diverses raisons. La première est certainement la qualité de nos magistrats. Un autre motif découle sans doute des conditions rigoureuses fixées par les articles 1140 et suivants du Code civil. Enfin, lorsque l’on sait la modestie des traitements alloués aux magistrats, on peut penser qu’aucun d’entre eux ne dispose des moyens financiers suffisants pour réparer le dommage, parfois de plusieurs millions d’euros, résultant d’une erreur judiciaire.

La réparation des dommages causés par une erreur judiciaire est normalement demandée à l’Etat.

2. La responsabilité de l’Etat pour les actes juridictionnels est une nécessité mise en exergue par la doctrine internationale (note 2) et nationale (note 3) .

Le principe a été consacré par le célèbre arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1991 (note 4) . L’arrêt n’est pas passé inaperçu. La doctrine belge et étrangère y a consacré d’abondants commentaires (note 5) .

Depuis l’arrêt du 19 décembre 1991, la jurisprudence de la Cour de cassation a toutefois connu une évolution marquée.

3. Suivant l’opinion actuellement dominante, la responsabilité de l’Etat du fait d’un acte juridictionnel, impliquerait qu’il ne s’est pas comporté comme « un magistrat normalement soigneux et prudent » (note 6) .

Dans cette analyse, il n’est pas difficile de faire valoir que, pour le juge, « l’erreur dans l’interprétation ou l’application d’une norme n’est fautive que si elle consiste dans un comportement qui s’analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l’organe de l’Etat normalement soigneux et prudent, placé dans les mêmes conditions » (note 7) .

La Cour de cassation a confirmé récemment que l’Etat belge est responsable de « la faute commise par le juge-commissaire dans le cadre de son pouvoir de contrôle et qui a causé un dommage, cette faute doit être appréciée par rapport à l’attitude d’un juge-commissaire raisonnablement prudent et prévoyant qui se trouve dans les mêmes circonstances » (note 8) .

En d’autres termes, l’application correcte du droit est, pour le juge, une simple obligation de moyen.

4. Le raisonnement résumé ci-dessus mélange parfaitement une réalité qui est celle de l’impossible infaillibilité du juge (voir fiche) et un principe erroné suivant lequel la responsabilité de l’Etat ne pourrait être retenue que dans la mesure où une faute de son organe pourrait être démontrée (voir fiche).





Jean-Luc Fagnart
Avocat au barreau de Bruxelles

Cabinet Thelius





Notes:

(1) Voy. notamment R.O. DALCQ, « La responsabilité du pouvoir judiciaire », in Mélanges Jacques Van Compernolle, 113-117.

(2) Voy. le principe I du projet de recommandation relatif à la responsabilité publique pour les actes juridictionnels, Comité d’experts en droit administratif du Conseil de l’Europe, Doc. Conseil Europe, CDJC, 1983, 5.

(3) Voy. notamment B. DEJEMEPPE et C. PANIER, « La responsabilité professionnelle des magistrats », JT, 1989, 431 ;- J. VAN COMPERNOLLE et G. CLOSSET-MARCHAL, « La responsabilité du fait des actes du service public de la justice : éléments de droit comparé et perspectives », in La responsabilité des pouvoirs publics, ouvrage collectif, Bruxelles, Bruylant, 1991, 435.

(4) Cass., 19 décembre 1991, JLMB, 1992, 42, note PIEDBOEUF ; JT, 1992, 142, conclusions J. Velu ; Pas., 1992, I, 316, conclusions J. Velu ; RCJB, 1993, 285, note F. RIGAUX et J. VAN COMPERNOLLE ; RRD, 1992, 411, note C. JASSOGNE ; RGDC, 1992, 60, note A. VAN OEVELEN.

(5) Voy. notamment B. BENGTSSOM, « Governmental liability for faulty judgments ? », REDP, 1994, 113-115 ;- M. CASSIERS, « De overheidsaansprakelijkheid voor het optreden van de rechterlijke macht », Jura Falc., 1992-93, 55-85 ;- R.O. DALCQ, « La responsabilité de l’Etat du fait des magistrats », JT, 1992, 449-453 ;- M. DONY, « Responsabilité de l’Etat pour faute du pouvoir judiciaire après l’arrêt du 19 décembre 1991 », RDC, 1993, 804-811 ;- A.L. DURVIAUX, « La responsabilité de l’Etat pour des fautes commises par des magistrats judiciaires dans l’exercice de leurs fonctions », in Responsabilités. Traité théorique et pratique (sous la dir. de J.L. Fagnart», Kluwer, 1999, liv. 21bis, 44-57 ;- L. EINSWEILER, « La responsabilité des magistrats », Ann. Dr., 1996, 415-441 ;- S. KORTMANN, « Note à propos de l’arrêt de la Cour de cassation en date du 19 décembre 1991 », REDP, 1994, 115-121 ;- P. PAVLOPOULOS et N. ALIVIZATOS, « Commentaire d’arrêt », REDP, 1994, 136-140 ;- N. PICARDI, « La responsabilité de l’Etat du fait de la fonction juridictionnelle en droit belge », REDP, 1994, 130-135 ;- F. PIEDBOEUF, « L’immunité du juge et la responsabilité de l’Etat », JLMB, 1992, 45-47 ;- F. RIGAUX et J. VAN COMPERNOLLE, « La responsabilité de l’Etat pour les fautes commises par les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions », RCJB, 1993, 293-316 ;- A. VAN OEVELEN, « De aansprakelijkheid van de Staat voor foutieve handelingen van magistraten principieel aanvaard door het Hof van Cassatie », RGDC, 1992, 65-76.

(6) Voy. notamment Cass., 8 décembre 1994, JT, 1995, 497, note R.O. DALCQ ; JLMB, 1995, 387, note D. PHILIPPE ; RW, 1995-96, 180, note A. VAN OEVELEN.

(7)Cass., 26 juin 1998, deux arrêts, RGC.97.0236F, RGAR, 1999, n° 13095 ; RCJB, 2001, 21, note B. DUBUISSON ; RGF.97.0112.F, JLMB, 1998, 1166, note D. PHILIPPE ; JT, 1998, 677 ;- dans le même sens, voy. Gand, 26 avril 1999, AJT, 1999-2000, 759, note P. VAN LERSBERGHE.

(8) Cass., 21 avril 2004, RGC.04.0614.N, www.cass.be.

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