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Plan financier manifestement insuffisant et responsabilité du notaire

Guillaume Rue

Mercredi 10.04.24

En vertu de son devoir de conseil, le notaire instrumentant a l’obligation d’attirer l’attention des fondateurs sur la nécessité d’établir un plan financier prudent, avec l’assistance éventuelle d’un expert-comptable ou d’un réviseur d’entreprise. À défaut, il expose sa responsabilité, comme l’a confirmé la cour d’appel de Bruxelles (cf. Note 1).


Faits

Le curateur d’une SPRL Starter en faillite soutient que la responsabilité du fondateur est engagée en application des articles 215 et 229, 5°, de l’ancien Code des sociétés car (i) la société a été dotée de fonds propres et moyens subordonnés manifestement insuffisants pour assurer l’exercice normal de ses activités et (ii) le plan financier établi à la constitution de la société était indigent.

Le premier juge et la cour d’appel font droit à la demande du curateur et condamnent le fondateur à la réparation intégrale du préjudice occasionné, correspondant au montant du passif produit à la faillite.

Dans cette affaire, le curateur invoque également la responsabilité du notaire en raison du plan financier insuffisant.


Responsabilité du notaire

Le notaire instrumentant est tenu à un devoir d’information et de conseil consacré dans l’article 9 de la loi du 25 Ventôse an XI : « Le notaire informe toujours entièrement chaque partie des droits, des obligations et des charges découlant des actes juridiques dans lesquels elle intervient et conseille les parties en toute impartialité ». Cette obligation est d’ordre public.

Le notaire conteste toute faute, arguant que la vérification de la suffisance du plan ne relève pas de sa responsabilité. Selon la cour, le notaire, bien qu’il n’ait pas à élaborer le plan financier, doit attirer l’attention sur son importance et signaler les insuffisances manifestes.

Dans le cas présent, le plan financier remis au notaire était lacunaire, irréaliste et comportait des incohérences grossières. Le notaire, en sa qualité d’officier public, aurait dû attirer l’attention sur ces lacunes et vérifier la déclaration du client concernant l’assistance d’un professionnel dans l’élaboration du plan financier. Le notaire n’a pas effectué cette vérification, manquant ainsi à son devoir légal de conseil.

Il est souligné que l’obligation légale d’information va au-delà de la simple déclaration des parties et le notaire doit procéder à des vérifications nécessaires. Le devoir d’information comprend l’éclairage des parties sur la portée et les effets de leurs engagements, ainsi que sur la négociation, avec une obligation de mise en garde concernant les risques juridiques et financiers.

Cette faute constitue, en outre, un manquement contractuel à l’égard du fondateur et est susceptible d’engager la responsabilité aquilienne du notaire à l’égard des tiers préjudiciés.
La décision analyse ensuite les conséquences de cette faute, soulignant que le passif social résultant de la constitution d’une société non viable aurait pu être évité si le notaire avait rempli correctement son devoir de conseil. Le dommage en lien causal avec la faute consiste en l’intégralité du passif social.

La cour d’appel reconnaît que le fondateur a également commis une faute concurrente à celle du notaire en constituant une société avec des fonds propres et des moyens manifestement insuffisants. En l’espèce, aucune des deux fautes n’apparaît, a priori, plus grave que l’autre. La cour fixe la proportion des parts contributoires de chacun à 50 %.


CSA

La décision a été rendue sous l’ancien Code des sociétés mais elle aurait sans doute été la même sous le nouveau Code des sociétés et des associations (CSA) (cf. Note 2).

Avec l’arrivée du CSA, cette obligation du notaire est d’autant plus élargie qu’il relève de son devoir de rendre compte des opportunités nouvelles du CSA, ainsi que des risques attachés à leur mise en œuvre.

Un notaire prudent doit ainsi éclairer les parties sur le choix de la forme sociétaire, les exigences accrues liées au contenu du plan financier (cf. Note 3), la possibilité d’éviter la responsabilité des fondateurs grâce au mécanisme du simple souscripteur (cf. Note 4) et la nécessité de doter la société de capitaux propres initiaux suffisants (cf. Note 5). L’inclusion d’une clause type dans l’acte constitutif se référant simplement à la législation ne suffit pas à répondre à l’obligation d’information complète. Elle ne garantit en aucun cas qu’une information exhaustive sur le contenu et la portée des dispositions mentionnées ait été fournie.



Guillaume Rue
Avocat au barreau de Bruxelles



Notes:


(1) Bruxelles (9e ch.), 30 novembre 2023, J.L.M.B., 23/408.
(2) Art. 2:5 (SRL et SA), 5:4 et 5:16 (SRL) et 7:3 et 7 :18 (SA) du CSA.
(3) Art. 5:4 (SRL) et 7:3 (SA) du CSA
(4) Art. 5:11, al. 2 (SRL), et 7:13, al. 2 (SA), du CSA.
(5) Art. 5:12, 2° (SRL), et 7:18, 2° (SA) du CSA.



Cet article a été précédemment publié par le même auteur dans le Bulletin Social et Juridique.(www.lebulletin.be)



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