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La restitution des droits d' enregistrement



Les conditions légales de restitution des droits d’enregistrement dus sur les ventes de biens immobiliers sont de stricte application…

Un jugement du tribunal de première instance d’Anvers du 8 novembre 2004 (non encore publié) nous donne l’occasion de nous rendre compte de ce que les conditions posées par la loi pour obtenir la restitution en cas de résolution de la vente, et plus particulièrement la condition de délai, sont de stricte application.


Rappel des principes

En vertu de l’article 208 du Code des droits d’enregistrement :

« Les droits régulièrement perçus ne peuvent être restitués, quels que soient les événements ultérieurs, sauf les cas prévus par le présent titre. »

Ce principe peut aisément être transposé dans la matière de la vente d’immeubles : dès qu’il y a accord entre le vendeur et l’acquéreur sur la chose (en l’occurrence l’immeuble) et sur le prix, il y a vente (1) ; les droits d’enregistrement sont dus dès cet instant sur l’opération, le code des droits d’enregistrement ne contenant pas de définition particulière de la vente.

Partant, passé le délai de quatre mois à dater de l’accord des parties dans lequel l’accomplissement de la formalité de l’enregistrement, et le paiement des droits qui l’accompagne ipso facto (2) , l’administration fiscale peut en principe réclamer son dû, quels que soient les événements ultérieurs qui surviendraient.

Tel est le cas, notamment, lorsque les parties conviennent d’annuler à l’amiable le compromis, en le « déchirant » ou en prévoyant dans un accord écrit postérieur qu’il doit être considéré comme nul et non avenu.

Si cette « annulation » est suivie de la revente à un autre acquéreur, les droits sont dus sur chacune des ventes (en sus des amendes…) (3) .

Ou encore lorsqu’une partie contractante met en œuvre une condition résolutoire expresse prévue dans le compromis. Pour rappel, l’acte fait sous condition résolutoire donne lieu à la perception du droit auquel il est tarifé, d’une part, et d’autre part, les droits perçus ne sont pas remboursés si la condition se réalise.

Il existe une exception importante au principe posé par l’article 208 du code des droits d’enregistrement : le cas de la condition suspensive assortissant l’engagement d’achat ou de vente, qui viendrait à ne pas être levée.

En vertu de l’article 16 de ce code, en effet, « l'acte juridique tarifé au droit proportionnel (tel l’acte de vente d’immeuble), mais soumis à une condition suspensive, ne donne lieu qu'au droit fixe général aussi longtemps que la condition n'est pas accomplie.
Lorsque la condition se réalise, le droit auquel l'acte est tarifé est dû, sauf imputation du droit déjà perçu. (…)
».

Précisons toutefois, à cet égard, que depuis un arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 1981, la condition suspensive est définie comme étant un élément futur et de réalisation incertaine qui suspend l’exécution d’une obligation existante (4) .

Il sied de relever encore que l’incertitude de la survenance de l’événement futur, objet de la condition, doit être objective, c’est-à-dire indépendante de la volonté des parties (5) .

Partant, la clause de transfert différé de la propriété figurant dans la plupart des compromis de vente ne peut s’analyser comme une condition suspensive de la vente, en sorte que les droits sont dus en tout état de cause sur l’opération (à moins bien entendu qu’elle soit affectée d’une ou de plusieurs autres conditions suspensives non encore levées) (6) .

Le délai de quatre mois pour la présentation de l’acte à la formalité de l’enregistrement et pour le paiement des droits prend donc cours au jour de la convention, et non à celui du transfert de la propriété.


Deux seuls cas de restitution

La loi ne prévoit que deux hypothèses bien précises de restitution des droits d’enregistrement dans le cas qui nous occupe (7) .

Elle utilise le terme « restitution » dès lors que les droits sont en principe payables à l’expiration du délai de quatre mois à dater du compromis, pour être remboursés le cas échéant par la suite (8) .


Annulation de la vente

La première possibilité d’obtenir la restitution des droits d’enregistrement consiste en l’annulation, par le juge, de la vente (9) .

La nullité d’un acte juridique ne peut être prononcée qu’en cas d’irrégularité de cet acte au moment de sa formation (10) .

A l’inverse de la deuxième hypothèse que nous examinerons ensuite, la demande en annulation n’est soumise à aucun délai particulier pour donner lieu à la restitution.


Résolution de la vente

La deuxième possibilité d’obtenir la restitution des droits consiste en la résolution judiciaire du compromis (11) .

A la différence de la nullité qui frappe une irrégularité présente lors de la signature de l’acte juridique, la résolution sanctionne un manquement ultérieur, et plus précisément dans l’exécution de cet acte.

En d’autres termes, l’opération juridique est née régulièrement cette fois – il n’y a donc aucune cause de nullité -, mais c’est dans l’exécution des engagements contractuels de l’une ou des parties que le problème surgit.

L’exemple le plus significatif est le non-paiement par l’acquéreur du prix convenu.

A nouveau, la restitution des droits n’est accordée que suite à un jugement définitif, et ce même si le compromis renferme une condition résolutoire applicable au cas de l’espèce rencontré.

En outre, à la différence de l’annulation, il est exigé par le législateur que la demande en résolution soit introduite dans l’année du compromis, sous peine de déchéance définitive du droit à restitution.


Un acquéreur défaillant…

Les faits de la cause ayant donné lieu au jugement du tribunal de première instance d’Anvers du 8 novembre 2004 sont les suivants.

En sa qualité de vendeur d’une ferme sise à Ranst, le demandeur avait présenté à l’enregistrement, en date du 1er février 1990, la convention de vente sous seing privé (compromis) datant du 31 mai 1989, au bureau territorialement compétent ; à cette occasion, il avait payé les droits d’enregistrement (11.465,08 EUR) et l’amende en raison du retard dans la présentation de l’acte à la formalité (1140,31 EUR), soit un montant total de 12.614,81 EUR.

Il avait ensuite agi en résolution de cet achat-vente, son acquéreur manquant à son obligation de passer l’acte notarié.

Cette action avait été déclarée non fondée par jugement du 27 février 1991 du tribunal de première instance d’Anvers, dès lors que le vendeur avait omis de mettre son acquéreur en demeure de passer l’acte avant d’engager la procédure judiciaire ; la demande reconventionnelle de l’acquéreur en passation de l’acte notarié ( !) avait quant à elle été déclarée fondée.

Ce jugement avait été réformé, et l’achat-vente résolu aux torts de l’acheteur par un arrêt de la cour d’appel d’Anvers du 17 mars 1993.

Cet arrêt avait ensuite été cassé par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mars 1995, au motif, déjà soulevé par le premier juge, que l’acheteur n’avait pas été préalablement sommé (mis en demeure) selon l’exigence de l’article 1656 du code civil.

La cause avait ensuite été renvoyée à la cour d’appel de Gand, laquelle avait confirmé, par son arrêt du 2 février 1999, le jugement du tribunal de première instance d’Anvers en toutes ses dispositions.

Le vendeur avait alors mis en demeure son acquéreur de passer l’acte, par lettres recommandées des 9 et 22 mars 1999 (soit près de dix ans après la conclusion de l’accord initial !), en vain.

Il avait alors engagé une nouvelle procédure en résolution de la vente, par citation du 4 juin 1999.

Cette action avait (enfin…) été déclarée fondée par jugement du 24 novembre 2000 du tribunal de première instance d’Anvers, jugement qui avait été « coulé en force de chose jugée » (c’est-à-dire rendu définitif) le 12 février 2001 après sa signification le 11 janvier 2001 à l’acquéreur défaillant et l’absence de recours dans les délais légaux par ce dernier.


Une administration fiscale et un juge inflexibles…

Le vendeur avait ensuite réclamé la restitution de la somme de 12.614,81 EUR indiquée plus haut, majorée des intérêts, à l’administration de l’enregistrement, qui l’avait refusée pour non-respect de la condition de délai.

Elle estimait en effet que seule la seconde demande en résolution de la vente pouvait être prise en considération ; or, elle avait été formée devant le tribunal largement au-delà du délai d’un an exigé par la loi.

Le tribunal de première instance d’Anvers, saisi du litige, lui donna gain de cause par son jugement du 8 novembre 2004.

Pour le tribunal, la résolution de l’achat-vente en 2000 avait été fondée sur le refus par l’acheteur de consentir à la passation de l’acte en 1999, à la suite des mises en demeure qui lui avaient été adressées cette année par le vendeur.

En d’autres termes, le jugement du 24 novembre 2000 qui avait prononcé la résolution n’avait pas été rendu sur la demande introduite par citation du 9 mars 1990, mais bien sur celle engagée par citation du 4 juin 1999, soit plus d’un an après la convention.

Le vendeur ne peut dès lors revendiquer le remboursement des droits initialement versés.



Conclusions

Le jugement analysé doit, si vous vous trouvez dans une situation similaire à celle rencontrée par le vendeur en l’espèce, vous inciter à redoubler de vigilance.

Pour échapper aux droits d’enregistrement (rappelons qu’ils sont solidairement dus par l’acheteur et par le vendeur …), les conditions posées par la loi doivent être strictement respectées.

Il s’agit en premier lieu de la condition de délai imposée par la législation en matière de droits d’enregistrement.

Il s’agit ensuite des règles de droit civil qui permettent d’obtenir effectivement la résolution judiciaire de la vente.

En l’espèce, le vendeur (ou son avocat …) avait certes en tête le délai fiscal, mais avait perdu de vue qu’avant d’engager l’action en résolution de la vente, il s’imposait à lui de mettre son acquéreur en demeure de passer l’acte authentique dans un certain délai, comme l’exige le code civil, et comme l’exigeait très probablement le compromis de vente.

Lourde en fut la conséquence : après moult palabres, l’action en résolution fut déclarée non fondée au motif que cette formalité de la mise en demeure n’avait pas été respectée.

Il s’en suivit une conséquence dramatique pour le vendeur : le délai d’un an exigé par le code des droits d’enregistrement s’en trouvait dès lors dépassé …

Le vendeur ne put donc obtenir le remboursement des droits d’enregistrement versés ; l’histoire ne dit pas s’il put en fin de compte en obtenir le remboursement auprès de son acquéreur …



Laurent Collon
Xirius – Avocats
Spécialiste agréé en droit immobilier




Notes:

(1) Art. 1583 du C. civ.
(2) Art. 32, 4° du C. enreg.
(3) Cf. notamment Anvers, 7 juin 1999, Actualités Fiscales, 10 novembre 1999, 39/6 et s. avec note L. Collon.
(4) Cass., 5 juin 1981, R.W., 1981-1982, col. 245 et conclusions de l’Avocat général Leenaerts.
(5) P. Van Ommeslaghe, Cours de droit des obligations, P.U.B., 1985, p. 765.
(6) Cfr. notamment Bruxelles, 6 décembre 1954, R.G.E.N., 1955, p. 347 ; Mons, 12 novembre 1979, R.G.E.N., 1980, p. 117 ; Civ. Malines, 19 novembre 1992, R.G.E.N., 1993, p. 182 ; Civ. Charleroi, 20 juin 2001, Rev. not. b., mars 2003, pp. 151 et s., note L. Collon.
(7) En réalité, il y a une troisième hypothèse : celle d’un acte qui serait déclaré faux – Art. 209, 2 °, C. enreg.
(8) Cependant, dans la pratique, il convient de constater que l’administration fiscale admet souvent, pour ne pas dire généralement, dans l’hypothèse où les droits n’ont pas été payés dans le délai indiqué, de surseoir à leur recouvrement jusqu’à l’issue de l’action judiciaire.
(9) Art. 209, 2°, C. enreg.
(10) Les irrégularités peuvent affecter soit le consentement, soit la capacité des parties, soit l’objet de la convention, soit la cause de celle-ci.
(11) Art. 209, 3°, C. enreg.



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