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Résiliation anticipée du bail et abus de droit



L’article 1184 du Code civil prévoit certes que la partie à un contrat synallagmatique envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté a le choix ou de forcer son débiteur à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec des dommages et intérêts. Encore convient-il que, ce faisant, le créancier n’abuse pas de son droit. Le juge de paix du 1er canton de Tournai vient de le rappeler très opportunément dans une espèce où le manquement consistait en une résiliation anticipée fautive du contrat de bail par le locataire (J.P. Tournai (1er canton), 25 mai 2005, J.T., 2005, p. 524).


Rappel des principes


Le choix du créancier

En vertu de l’article 1184, al. 2, du Code civil, « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Le créancier dispose seul de ce choix.

Le débiteur défaillant ne peut le contraindre à demander la résolution du bail.

C’est ainsi que le juge de paix de Grivegnée a, dans une décision du 12 décembre 1984, précisé à juste titre que le locataire ne peut réclamer au juge la résolution du bail en dehors des termes résultant de la convention ou de la loi et ne peut fonder son action sur le fait qu’il a unilatéralement quitté les lieux (J.P. Grivegnée, 12 décembre 1984, Jur. Liège, 1985, p. 344)

Le juge ne peut davantage contraindre le bailleur à opter pour la résolution :

« La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. Viole ce principe le jugement qui prononce d’autorité la résolution du bail en condamnant les locataires à payer l’indemnité forfaitaire alors que les bailleurs réclamaient la poursuite du bail et la condamnation des preneurs au paiement du loyer. Le jugement fondé sur la considération que l’exécution du bail causerait un préjudice plus grave que la résolution pour les preneurs qui, de bonne foi, ont donné congé à une date trop rapprochée doit être cassé. » (Cass. 5 septembre 1980, Pas., 1981, p. 17 ; Cass., 22 mai 1981, Pas., 1981, p. 1267, tous deux cités par B. Louveaux, « Le droit du bail. Régime générale », De Boeck Université, 1993, pp. 210-211).

D’aucuns considéraient également qu’autoriser un bailleur à poursuivre la condamnation de son locataire à exécuter ses engagements jusqu’au terme du contrat revenait à forcer ce dernier à demeurer dans les lieux, ce qui était contraire au principe constitutionnel de la liberté individuelle.

Dans un arrêt du 30 janvier 2003 (Cass., 30 janvier 2003, J.L.M.B., 2004, p. 673 et s.), la Cour de cassation a balayé cet argument d’un revers de la main :

« La partie à un contrat synallagmatique envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix ou de forcer son débiteur à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec des dommages et intérêts. Ce choix ne peut être dicté par le juge ou par le débiteur.

Le jugement qui refuse au bailleur le droit d’exerce cette option parce que l’exécution en nature serait impossible, aux motifs que la liberté individuelle exclut la possibilité d’imposer, le cas échéant sous astreinte, l’occupation d’un immeuble par un locataire qui s’y refuse, viole cette disposition
».


Abus de droit

La liberté dont jouit le bailleur créancier n’est toutefois pas sans limite.

En exerçant son choix, il peut en effet se rendre coupable d’un abus de droit.

Il y a abus de droit lorsqu’une partie agit dans son seul intérêt en vue de retirer un avantage disproportionné par rapport aux inconvénients que, ce faisant, il fait subir à son débiteur.

C’est donc le choix, sans avantage marquant, de la voie la plus préjudiciable à l’autre partie qui crée l’abus (B. Louveaux, o.c., p. 211)

Il appartient au juge du fond d’apprécier, au cas par cas, s’il y a ou non abus de droit dans le chef du bailleur qui sollicite la condamnation de son locataire à respecter ses engagements contractuels jusqu’au terme du bail (pour des exemples tirés de la jurisprudence, voir B. Louveaux, o.c., p. 212).


Les faits de la cause

Les faits qui ont entouré la décision du juge de paix du premier canton de Tournai du 25 mai 2005 sont les suivants.

Suivant un bail conclu le 19 janvier 2004, Monsieur B. a donné en location à Monsieur T. un appartement à Tournai, pour une durée d’un an prenant cours le 1er février 2004.

Monsieur T. ayant ensuite perdu son emploi, sa carte de séjour provisoire en Belgique est venue à expiration et il a alors été contraint de retourner en Tunisie en août 2004.

Il a vainement tenté de rencontrer Monsieur B. afin de l’informer de la situation en manière telle que le 25 août 2004, il lui a adressé un courrier pour lui signifier qu’il avait libéré l’appartement et qu’il avait déposé les clefs dans la boîte aux lettres.

Monsieur B. l’a assigné devant le juge de paix du premier canton de Tournai afin d’obtenir sa condamnation à exécuter ses engagements contractuels (le principal étant bien sûr le paiement du loyer) jusqu’au terme du contrat, soit jusqu’au 31 janvier 2005.

Le juge a considéré que cette demande était constitutive d’abus de droit, et qu’il convenait donc d’en débouter Monsieur B.

Les indices relevés par le juge étaient les suivants :

• le locataire n’a pas quitté l’immeuble pour un motif futile mais parce qu’il a perdu son emploi et n’a plus pu séjourner en Belgique ;
• il a informé rapidement son bailleur de la situation, par plusieurs courriers, après avoir vainement tenté de le rencontrer ;
• une proposition raisonnable d’indemnisation à été formulée à l’amiable au bailleur, qu’il a refusée ;
• et enfin (et non des moindres) le bailleur n’a, informé de la libération de l’immeuble, effectué aucune démarche en vue de trouver un nouveau locataire alors que, compte tenu du marché locatif dans la ville de Tournai, il aurait pu aisément trouver un nouveau locataire.

Le juge a alors accordé à Monsieur B. une indemnité de résiliation anticipée équivalente à trois mois de loyer, soit 1.305,00 EUR.


Recommandations pratiques

Le locataire qui, sur la base de ce jugement, estimerait qu’il peut en toutes circonstances imposer à son bailleur une résiliation anticipée du bail, accompagnée du paiement de l’indemnité prévue en pareil cas, commettrait une grosse erreur.

Pour pouvoir espérer échapper au respect de ses obligations contractuelles jusqu’au terme du bail, il doit agir de bonne foi et démontrer que c’est contraint et forcé qu’il est amené à mettre un terme anticipé à la convention, en proposant alors à son bailleur de lui payer les indemnités prévues.

De leur côté, les bailleurs ne doivent pas renoncer systématiquement et immédiatement à une demande d’exécution forcée des engagements de leurs locataires jusqu’au terme du contrat. Dans certains cas, une telle demande est totalement justifiée. Prenons l’exemple des immeubles de bureau à Bruxelles. Il est de notoriété publique qu’il y a, dans ce secteur, plus d’offres que de demandes, et qu’il n’est donc pas aisé de retrouver facilement un locataire. En pareil cas, il pourrait être parfaitement justifié pour le bailleur de refuser la résolution anticipée de son locataire et exiger que celui-ci respecte ses engagements jusqu’au terme du contrat.

En fait, pour les uns comme pour les autres, tout est question de circonstances, et il ne saurait leur être suffisamment recommandé de prendre conseil auprès d’un professionnel pour les guider opportunément dans leur choix.






Laurent Collon
Avocat spécialisé en droit immobilier (Xirius – Avocats)








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