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La régularité des offres et les prix anormaux



1. L’article 95 (cf. Note 1) de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques (cf. Note 2) traite de la régularité des offres. Il s’agit d’une condition essentielle de la passation des marchés publics puisqu’elle va « déterminer quelles sont, parmi les offres déposées, celles qui pourront être comparées et évaluées » (cf. Note 3).

Pour être régulière, l’offre remise par un soumissionnaire doit être conforme aux prescriptions techniques et administratives du cahier spécial des charges ou aux exigences de régularité posées par la réglementation et il appartient au pouvoir adjudicateur de le vérifier systématiquement. Le contrôle de la régularité des offres est une véritable obligation, au même titre qu’il convient de sélectionner les candidats et soumissionnaires ou d’apprécier le contenu des offres.

Il est rappelé que l'attribution d'un marché public comporte trois étapes successives :

• la sélection qui consiste en l'examen du droit d’accès et de la capacité économique et financière et de la capacité technique ou professionnelle ;
• l'examen de la régularité des offres, à savoir de leur conformité aux documents du marché;
• l’appréciation sur la base du ou des critère(s) d'attribution.

2. Les offres sont présumées régulières, sauf décision contraire et dûment motivée du pouvoir adjudicateur conformément à l’article 5, 8°, de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services, qui impose de mentionner, dans la décision motivée, « les noms des soumissionnaires dont l'offre a été jugée irrégulière et les motifs de droit et de fait de leur éviction. Ces motifs sont notamment relatifs au caractère anormal des prix et, le cas échéant, à la décision de non-équivalence des solutions proposées par rapport aux spécifications techniques ou à leur non-satisfaction par rapport aux performances ou aux exigences fonctionnelles prévues ».

Il se déduit de ce qui précède que lorsque le pouvoir adjudicateur n’a pas soulevé une cause d’irrégularité, il n’est en principe plus fondé à l’invoquer ultérieurement, dès lors qu’il a estimé ne pas devoir s’y arrêter dans l’appréciation des offres. La décision d’attribution « couvre » en effet les irrégularités non déclarées.

3. L’article 95 de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 prévoit que le pouvoir adjudicateur doit apprécier tant la régularité formelle que la régularité matérielle des offres.

Selon le § 2 de cette disposition, une offre doit être considérée comme étant affectée, sur le plan formel, d’une irrégularité substantielle – qui entraîne sa nullité – lorsqu'elle déroge aux formalités prescrites par les articles 6, § 1er, 51, § 2, 52, 54, § 2, 55, 80, 81, 82, 90 et 91 de l’arrêté royal pour autant que ces formalités revêtent un caractère essentiel. Les documents du marché peuvent également consacrer d’autres formalités essentielles que celles prévues aux dispositions précitées. Le non-respect des formalités ne présentant pas un caractère essentiel entraîne également l'irrégularité de l'offre, mais pas nécessairement son irrégularité substantielle. Dans cette hypothèse, le pouvoir adjudicateur dispose d'un certain pouvoir d’appréciation pour déclarer nulle ou non l’offre affectée d’une telle irrégularité et, partant, pour la déclarer substantielle.

Le § 3 de l’article 95 précité précise qu’une offre est affectée, sur le plan matériel, d'une irrégularité substantielle – qui entraîne sa nullité – lorsque l’offre ne respecte pas les dispositions de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 ou celles des documents du marché relatives aux prix, aux délais ou aux spécifications techniques dans la mesure où ces dispositions sont essentielles et en cas de prix anormal au sens des articles 21 et 99 du même arrêté royal.

Il résulte de ce qui précède qu’en toute hypothèse, seule la méconnaissance de dispositions essentielles est de nature à constituer une irrégularité substantielle et donc à entraîner la nullité de l’offre. A cet égard, le Conseil d’Etat considère notamment que « sont essentielles les dispositions des documents du marché expressément présentées comme telles ou celles qui le sont par nature, parce que leur méconnaissance éventuelle aura pour effet de porter atteinte à l'égalité de traitement entre les soumissionnaires, d'affecter la comparabilité des offres ou de modifier le classement de celles-ci » (cf. Note 4).

4. Si les procédures d’adjudication et d’appel d’offres imposent – par le truchement de l’article 95 de l’arrêté royal du 15 juillet 2011 – au pouvoir adjudicateur de vérifier la régularité des offres avant de les comparer entre elles, la notion de régularité de l’offre « ne s’applique pas en principe en procédure négociée puisque, lors de la négociation, des modifications peuvent être apportées à l’offre pour la mettre en adéquation avec les besoins du pouvoir adjudicateur et, s’il y a lieu, avec les conditions décrites dans les documents du marché » (cf. Note 5). Mais rien n’empêche le pouvoir adjudicateur de procéder volontairement à l’analyse de la régularité des offres en procédure négociée, par exemple, en vertu d’une clause en ce sens dans les documents du marché.

5. L’anormalité d’un prix entraîne l’irrégularité de l’offre et, partant, sa nullité (cf. Note 6). Le pouvoir adjudicateur se doit de contrôler les prix poste par poste (cf. Note 7). A cet effet, le pouvoir adjudicateur bénéficie d’une certaine latitude, tant pour procéder au contrôle des prix que pour déterminer ceux à propos desquels il estime opportun de solliciter des justifications (cf. Note 8).

Il est à noter qu’un pouvoir adjudicateur ne doit pas interroger un soumissionnaire s’il n’estime pas devoir écarter l’offre de ce dernier pour cause de prix anormaux (cf. Note 9). Par ailleurs, lorsque le pouvoir adjudicateur estime nécessaire d’inviter un soumissionnaire à justifier ses prix, c’est à ce dernier qu’il incombe, en réponse à cette invitation, de fournir les justifications qui permettront utilement à l’autorité de considérer qu’en dépit des apparences, les prix proposés sont normaux. A cette fin, le soumissionnaire doit justifier les prix proposés de manière précise, concrète et soigneusement étayée (cf. Note 10).



Marie Vastmans
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius




Notes:


(1) En ce qui concerne les secteurs spéciaux, voy. l’art. 94 de l’arrêté royal du 16 juillet 2012 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux.

(2) Tel que modifié par l’article 21 de l’arrêté royal du 7 février 2014 modifiant plusieurs arrêtés royaux d'exécution de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services ainsi que de la loi du 13 août 2011 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services dans les domaines de la défense et de la sécurité (M.B., 21 février 2014, p. 13992).

(3) C.E., arrêt n° 194.625 du 24 juin 2009.

(4) C.E., arrêt n° 231.217 du 13 mai 2015.

(5) Y. CABUY et M. VASTMANS, « L’adjudication, l’appel d’offres et la procédure négociée », in Le nouveau droit des marchés publics en Belgique – De l’article à la pratique, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 624.

(6) L'article 21 de l'arrêté royal du 15 juillet 2011 détermine les exigences en matière de vérification des prix et, le cas échéant, des justifications présentées par les soumissionnaires à la demande du pouvoir adjudicateur .

(7) C.E., arrêt n° 226.447 du 17 février 2014.

(8) C.E., arrêt n° 222.635 du 26 février 2013.

(9) C.E., arrêt n° 226.235 du 28 janvier 2014.

(10) C.E., arrêt n° 229.457 du 3 décembre 2014.



Source: DroitBelge.Net > Fiches Pratiques > Droit Public



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