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Livre V : La SRL (13) – l’émission d’actions nouvelles



En conséquence de la suppression du capital, les règles relatives à l’émission de nouvelles actions sont modifiées. En effet, la notion de capital étant supprimée dans la SRL, il n’est plus question d’augmentation de capital. On parlera désormais d’apports supplémentaires et d’émission d’actions nouvelles.

1. Les règles issues du Code des sociétés

Même si l’opération conclue en l’espèce n’est plus une augmentation de capital, on retrouve pourtant la plupart des règles applicables à cette opération dans le nouveau CSA.

Souscription des actions nouvellement émises

A ce titre, l’article 5:124, qui reprend la règle prévue à l’ancien article 304 du Code des sociétés en matière d’augmentation de capital dans une SPRL, prévoit que la société ne peut souscrire ses propres actions ou certificats nouvellement émis, ni directement, ni par une société filiale ou une personne agissant en son nom propre mais pour le compte de la société ou de la société filiale. Si la personne agit en son nom personnel mais pour le compte de la société ou de la filiale, cette personne est considérée comme ayant souscrit pour son propre compte. Cette règle n’est pas applicable à la souscription d’actions d'une société ou de certificats par une société filiale qui est, en sa qualité d'opérateur professionnel sur titres, une société de bourse ou un établissement de crédit (art 5:124, §2 CSA).

Libération des actions nouvellement émises

En outre, alors que l’ancien Code prévoyait que les parts souscrites en numéraire devaient être libérées d’un cinquième au moins et que les parts souscrites en nature devaient être entièrement libérées (art. 305 C. soc.), le CSA prévoit désormais un régime supplétif (c’est-à-dire applicable à défaut de dispositions contraires dans les statuts ou dans les conditions d’émission) selon lequel les actions nouvellement émises doivent être libérées (entièrement) à leur émission. Il peut ainsi être entièrement dérogé à ce régime dans les statuts ou conditions d’émission, de sorte que la SRL peut prévoir dorénavant que ses actions nouvellement émises ne seront pas libérées à leur émission (art. 5:125 CSA).

Il est également à noter que la règle prévue par l’ancien Code des sociétés (art. 308) selon laquelle la réalisation effective de l’augmentation de capital devait être constatée par un acte authentique publié au Moniteur belge dès l’instant où la réalisation de ladite augmentation n’était pas concomitante à la décision prise par l’assemblée générale d’augmenter le capital est maintenue par le CSA. Ainsi, moyennant une adaptation d’ordre technique, l’article 5 :126 du CSA prévoit que, lorsque la souscription d'actions nouvelles n'est pas concomitante à la décision de leur émission par l’assemblée générale, seule cette dernière doit être adoptée par l’assemblée générale. La souscription peut être constatée par un acte authentique publié au Moniteur belge dressé à la requête de l’organe d’administration ou d’un ou de plusieurs administrateurs ou mandataires spécialement délégués à cet effet, sur présentation des documents justificatifs de l’opération.

Responsabilité et garantie

En matière de responsabilité et de garantie, les règles sont aussi reprises du Code des sociétés. La seule différence notable est que le CSA fait désormais la part des choses entre les obligations de garantie (art. 5:138 CSA) et les obligations de responsabilités (art. 5:139 CSA) incombant aux membres de l’organe d’administration de la SRL. Cette distinction a, en effet, un impact dans la mesure où l’article 2:57, §3, 2° du CSA, qui limite la responsabilité des administrateurs, prévoit que cette limitation n’est pas applicable aux obligations de garantie prévues à l’article 5:138 du CSA.

Ainsi, en vertu de l’article 5:138 du CSA, les membres de l'organe d'administration sont tenus solidairement envers les intéressés:

1° des actions qui ne seraient pas valablement souscrites conformément à l'article 5:120, § 1er, alinéa 2 ; ils en sont de plein droit réputés souscripteurs ;

2° de la libération effective des actions dont ils sont réputés souscripteurs en vertu du 1° ;

3° de la libération d'actions souscrites, directement ou au moyen de certificats, en violation de l'article 5:124 du CSA ;

De plus, et nonobstant toute disposition contraire, les membres de l'organe d'administration sont responsables solidairement envers les intéressés du préjudice qui est une suite immédiate et directe soit de l'absence ou de la fausseté des mentions prescrites dans le rapport dressé par l’organe d’administration en cas d’apports en nature, soit de la surévaluation manifeste des apports en nature (5:139 du CSA).

2. Les apports de la nouvelle règlementation

Les nouveautés apportées par le CSA en la matière se concentrent essentiellement sur :

• La possibilité d’effectuer des apports supplémentaires sans émission d’actions nouvelles ;

• L’obligation pour l’organe d’administration de justifier dans un rapport spécial le prix d’émission des nouvelles actions ;

• La possibilité de limiter ou supprimer le droit de préférence en cas d’émissions d’actions nouvelles ; et

• La possibilité pour l’assemblée générale de déléguer à l’organe d’administration, dans certaines conditions, le pouvoir d’émettre de nouvelles actions.

Apports supplémentaires avec ou sans émission d’actions nouvelles

La décision d’émettre des actions nouvelles nécessite une modification des statuts, adoptée par une assemblée générale extraordinaire à la majorité des 3/4 des voix exprimées par les actionnaires, en respectant les conditions requises par l’article 5:100 du CSA. Cette décision devra, le cas échéant, se faire en appliquant l’article 5:102 du CSA qui concerne la modification des droits attachés aux classes d’action, si l’émission d’actions nouvelles entraîne une modification des droits attachés aux classes d’actions. Tout comme auparavant, les actions nouvellement émises doivent être intégralement souscrites (article 5:120 CSA).

L’article 5 :120, §2, du CSA prévoit cependant que les apports supplémentaires sans émission de nouvelles actions ne nécessitent pas de modification des statuts. En effet, une telle décision n’implique pas de procéder à une modification des statuts, dès lors que le montant des capitaux propres n’apparaît pas dans les statuts et que le nombre d’actions émises reste inchangé. Cette décision peut donc être prise par l’assemblée générale à la majorité simple et non à la majorité qualifiée, mais devra toutefois, alors pourtant qu’il n’y a pas de modification des statuts, être constatée par acte authentique à l’intervention d’un notaire.

Cette nouveauté se justifie, selon les travaux préparatoires, par le fait que l’opération présente moins de risques pour les actionnaires existants. Les équilibres entre actionnaires peuvent être bouleversés lorsque tous les actionnaires ne souscrivent pas à l’émission de nouvelles actions en proportion de leur participation. Dans le cas d’apports sans émission d’actions nouvelles au contraire, la valeur des actions augmente sans que les équilibres entre actionnaires soient modifiés. De tels apports sont presque toujours effectués lorsque les actionnaires font des apports de valeur égale, soit en numéraire, soit en nature, par exemple l’apport d’un immeuble dont ils sont copropriétaires à parts égales (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 54-3119/001, p. 170).

Justification de l’organe de gestion

L’article 5:121 introduit une nouvelle obligation au sein de la SRL, par analogie avec l’ancien article 582 C. Soc. applicable à la société anonyme. Désormais, lors de l’émission de nouvelles actions, l’organe d’administration a l’obligation de justifier le prix d’émission et de décrire les conséquences de l’opération sur les droits patrimoniaux et sociaux des actionnaires dans un rapport spécial écrit, soumis à l’assemblée générale appelée à se prononcer sur l’émission. Au sein des SRL où un commissaire a été nommé, celui-ci doit rédiger un rapport au sujet de ce rapport spécial de l’organe d’administration.

En l’absence de rapport(s), la décision de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur l’émission d’actions nouvelles est nulle (art. 5:121, § 1er, al. 4 CSA). Cependant, les actionnaires peuvent renoncer à ce(s) rapport(s) par une décision unanime de l’assemblée générale, pour autant qu’aucun apport en nature n’intervienne (§ 2), auquel cas tant l’organe d’administration que le commissaire (ou lorsqu’il n’y en pas, un réviseur d’entreprises ou un expert-comptable externe) doivent établir un rapport, conformément à la procédure prévue en matière d’apports en nature par l’article 5:133 du CSA.

Apports en numéraire : Limitation et suppression du droit de préférence

Le nouveau CSA maintient, à l’article 5:128, le principe édicté à l’ancien article 309 du Code des sociétés, selon lequel les actions à souscrire en numéraire doivent être offertes par préférence aux actionnaires existants, proportionnellement au nombre d’actions qu’ils détiennent. Auparavant en effet, les augmentations de capital dans la SPRL ne pouvaient pas se faire en dérogeant au droit de préférence des associés. Chaque associé pouvait, individuellement, renoncer à son droit de préférence, mais l’assemblée générale n’avait pas le pouvoir de limiter ou de supprimer le droit de préférence des associés.

C’est désormais chose possible pour la SRL. Les articles 5:130 et 5:131 sont nouveaux et font référence à la limitation et à la suppression de ce droit de préférence à l’occasion de l’émission d’actions nouvelles. L’article 5:130 introduit la possibilité pour l’assemblée générale de limiter ou de supprimer le droit de préférence dans l’intérêt social, ce qui existait déjà auparavant pour la SA (articles 595 et 596 C. Soc.).

Une limitation ou une suppression du droit de préférence dans les statuts n’est pas autorisée. Une telle limitation ou suppression doit être décidée par l’assemblée générale lors de l’émission d’actions nouvelles.

La proposition de limiter ou de supprimer le droit de préférence doit être annoncée dans la convocation à l’assemblée générale et doit être prise à la majorité requise pour la modification des statuts. Dans un rapport préalable à l’assemblée générale, l’organe d’administration justifie expressément « les raisons de la limitation ou de la suppression du droit de préférence et indique quelles en sont les conséquences sur les droits patrimoniaux et les droits sociaux des actionnaires » (art. 5:130, § 3, al. 2, CSA). De plus, le commissaire évalue si les données financières et comptables contenues dans le rapport que l'organe d'administration a établi et dans lequel il justifie les raisons de la limitation ou de la suppression du droit de préférence, sont fidèles et suffisantes dans tous leurs aspects significatifs pour éclairer l'assemblée générale appelée à voter sur cette proposition. Lorsqu'il n'y a pas de commissaire, cette déclaration est faite par un réviseur d'entreprises ou un expert-comptable externe désigné par l'organe d'administration (art. 5:130, §3, al. 3 CSA).

En outre, lorsque le droit de préférence est limité ou supprimé en faveur d’une ou plusieurs personnes déterminées qui ne font pas partie du personnel (cf. Note 1), l’article 5:131 du CSA prévoit que des mentions supplémentaires doivent être indiquées par l’organe d’administration. L’identité du ou des bénéficiaires de la limitation ou de la suppression du droit de préférence doit être mentionnée dans le rapport établi par l’organe d’administration ainsi que dans la convocation. Le rapport de l’organe d’administration devra de plus, justifier « l’opération et le prix d’émission au regard de l’intérêt social, en tenant compte en particulier de la situation financière de la société, de l’identité des bénéficiaires et de la nature et l’ampleur de leur apport » (art. 5:131, al. 2 CSA). Ensuite, le commissaire (ou lorsqu’il n’y en a pas, un réviseur d’entreprise ou un expert-comptable externe) devra rendre une « évaluation circonstanciée de la justification du prix d’émission » (art. 5:131, al. 3 CSA).

Lorsque le bénéficiaire de la suppression du droit de préférence détient des titres de la société auxquels sont attachés plus de 10 % des droits de vote, ce dernier ne peut participer au vote lors de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur l’opération (art. 5:131, al. 5 CSA). Cela signifie que l’opération ne se fera que si les autres actionnaires considèrent qu’elle est dans l’intérêt de la société.

Délégation à l’organe d’administration

Les articles 5:134 à 5:137 du CSA permettent désormais, par analogie avec le système du capital autorisé dans la SA (art. 7:198 et 7:203 CSA), d’inclure dans les statuts une clause autorisant l’organe d’administration à émettre des actions, des obligations convertibles ou des droits de souscription (art. 5:134 CSA) et à modifier les statuts en conséquence (art. 5:137, § 1er, al. 4 CSA).

Ces nouveaux articles déterminent les modalités de cette délégation. Ils prévoient notamment, de manière analogue à la SA, que cette délégation de pouvoirs n’est valable que pendant cinq ans à compter la publication de l’acte constitutif ou de la modification des statuts. L’assemblée générale peut toutefois décider, dans le respect des conditions requises pour la modification des statuts, de renouveler cette délégation à une ou plusieurs reprises, pour un délai qui ne peut excéder cinq ans (art. 5:134 CSA). Cette habilitation statutaire devra faire l’objet d’un rapport spécial des fondateurs ou de l’assemblée générale exposant les circonstances particulières dans lesquelles cette prérogative peut être exercée, ainsi que les objectifs visés. À défaut de rapport, la décision des fondateurs ou de l’assemblée générale est nulle (art. 5:134, al. 2, CSA).

Il existe cependant des limites à ce pouvoir délégué à l’organe d’administration. Certaines limitations sont prévues de manière supplétives par le Code, de sorte que l’autorisation visée dans les statuts peut prévoir que ces limitations ne s’appliquent pas à l’organe d’administration. Ainsi, le Code indique que l’organe d’administration ne peut émettre (art. 5:135 CSA) :

• des actions, des obligations convertibles ou des droits de souscription avec limitation ou suppression du droit de préférence conformément à l’article 5:130 du CSA ;

• des actions, des obligations convertibles à l’occasion desquelles le droit de préférence des actionnaires est limité ou supprimé en faveur d’une ou plusieurs personnes déterminées, autres que les membres du personnel. Dans ce cas, les administrateurs qui représentent en fait le bénéficiaire de l’exclusion du droit de préférence ou une personne liée au bénéficiaire ne peuvent participer au vote.

En revanche, certaines opérations sont toujours interdites (art. 5:136 CSA). Ces règles étant prévues de manière impératives. Par conséquent, l’organe d’administration ne pourra jamais émettre sur base de la délégation visée à l’article 5:134 du CSA :

• des droits de souscription réservés à titre principal à une ou plusieurs personnes déterminées autres que des membres du personnel ;

• des actions à droit de vote multiple ou des titres donnant droit à l’émission de ou à la conversion en actions à droit de vote multiple ;

• des actions ou des obligations convertibles à réaliser principalement par des apports en nature réservés exclusivement à un actionnaire de la société détenant des titres de cette société auxquels sont attachés plus de 10 % des droits de vote ;

• une nouvelle classe d’actions.

Dans l’exercice des compétences qui lui sont confiées, l’organe d’administration doit suivre les mêmes règles que celles applicables aux émissions de titres par l’assemblée générale (art. 5:137, § 1er, al. 1er CSA lequel prévoit que les articles 5:120, § 1er, et 5:121 à 5:133, à l'exception de l'article 5:130, § 2 sont d’application). L’émission d’actions nouvelles et la modification des statuts qui en résulte seront constatées par acte authentique reçu à la requête de l’organe d’administration (art. 5:137, § 1er, al. 4 CSA), soit consécutivement à l’opération, soit, si les statuts le permettent, à la fin de l’exercice social en cours (art. 5:137, § 2 CSA). Lorsque l'organe d'administration a exercé le pouvoir qui lui a été conféré conformément à l'article 5:134, il en fait rapport lors de la première assemblée générale qui suit (art. 5:137, § 1er, al. 3 CSA).




Caroline Kempeneers
Avocate - Médiatrice agréée en matière civile et commerciale
Solis Law Firm


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Notes:

(1) Le CSA définit largement la notion de personnel. Ainsi, l’article 1 :27 du CSA définit le personnel comme :
1° « toute personne physique engagée dans les liens d'un contrat de travail, d'un contrat de management ou d'un contrat similaire avec la société ou sa/ses filiale(s) » ;
2° « toute personne morale engagée dans les liens d'un contrat de management ou d'un contrat similaire avec la société ou sa/ses filiale(s), en vertu duquel cette personne morale n'est représentée que par une seule personne physique qui en est également l'associé ou l'actionnaire de contrôle » ;
3° « les membres de l'organe d'administration de la société ou de sa/ses filiale(s), en ce compris les personnes morales dont le représentant permanent est également l'associé ou l'actionnaire de contrôle ».

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