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Les mesures provisoires en référé



Introduction

Les dispositions sur l’exclusion et le retrait, sont des procédures « comme en référé », où l’urgence est présumée. Elles bénéficient dés lors de la rapidité d’un référé.

Le Code des sociétés prévoit également des recours en référé, comme la suspension des décisions de l’assemblée générale irrégulières (prévue par l’article 179 C. soc), ou la désignation d’un administrateur provisoire dans les sociétés en commandite (article 208 et 660 C. Soc).

Au delà de ces procédures légales, les parties peuvent recourir au régime de droit commun du référé. En outre des règles de droit commun du référé, il faut tenir compte des règles spécifiques du référé pour le droit des sociétés.


1. Le référé en droit des sociétés


1.1. L’urgence


L'urgence (article 584, alinéa 1er du Code judiciaire) est à la fois une condition de compétence du Juge des référés et de fondement de la demande dont il est saisi.

La condition de compétence matérielle est purement formelle : elle est établie des lors qu'elle est alléguée (sans être spécialement étayée) dans l'acte introductif d'instance, indépendamment de l'objet réel de la demande.

Elle ne doit pas explicitement être invoquée dans l'acte introductif d'instance. Il suffit qu'elle le soit implicitement, eu égard a la nature de la demande. Si elle l’est, mais qu’elle n’est pas établie au jour de la décision du juge des référés, la demande sera rejetée. L’urgence est donc également une condition de fondement de la demande.

L’urgence est établie dés que la crainte d'un préjudice d'une certaine gravite, voire d'inconvénients sérieux, rend une décision immédiate souhaitable .

La cour d’appel de Bruxelles rappelle dans son arrêt du 4 mai 2001, concernant une demande de suspension d’une décision du conseil d’administration et la nomination d’un mandataire ad hoc, que « la voie du référé - qui doit demeurer un recours exceptionnel pour le justiciable - n'est légitimement entreprise par celui qui se prévaut de droits apparents menacés que lorsqu'il démontre qu'a défaut d'obtenir aujourd'hui la mesure efficace qu'il sollicite, ses droits seraient, sinon irrémédiablement compromis, du moins gravement menaces en telle sorte qu'il lui serait intolérable d'attendre l'issue d'une procédure au fond » .

La condition d'urgence implique que la voie du référé n'est ouverte que « lorsque la procédure ordinaire serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu ».

A cet égard, la procédure ordinaire présente des possibilités d'accélération lorsque les parties démontrent l'impuissance à apporter une solution à leur litige dans un délai utile :

- l’article 708 du Code judiciaire permet aux parties d’obtenir des délais abrégés par ordonnance présidentielle,

- l’article 735 du Code judiciaire et l’article 19, al. 2 du Code judiciaire permettent aux demandes d’être traitées sous le bénéfice des débats succincts. Dés lors, même si elle est complexe, la demande devra être traitée en procédure accélérée . L’article 19, alinéa 2 du Code judiciaire limitera la saisine du Juge des référés lorsqu’il en permettant d’obtenir une décision rapidement.

Ceci peut être critiqué puisque cela créé une confusion entre l’urgence de la cause et sa simplicité : le juge des référés connaît des demandes urgentes, en ce compris les questions complexes qui par définition ne peuvent faire l’objet de débats succincts .

L’urgence est une question de fait laissée à l’appréciation du juge, qui dispose en la matière d'un pouvoir quasi discrétionnaire.

L’urgence est souvent présentée comme la mise en balance des intérêts des parties. Le Présidents recherchent et déterminent si l’absence de suite donnée à la demande aurait pour effet d’entraîner une perturbation plus grande que le préjudice que créerait le fondement de l’action L'appréciation de l'urgence procède ainsi d'une confrontation de deux préjudices éventuels : celui du demandeur si la situation reste en l'état et celui du défendeur s'il est fait droit à la demande.

Ceci revient cependant à confondre urgence et bien fondé de la demande en référé. La mise en balance des intérêts en jeux ne devrait pas être réalisée pour vérifier si la demande est urgente, mais afin de déterminer si, une fois que la condition d’urgence est remplie, les mesures demandées sont fondées .

L’urgence ne peut résulter de l’inertie du demandeur, à moins qu’il ne justifie d’un motif légitime, comme la recherche d’une solution amiable .

L’extrême urgence, soit celle qui existe lorsque même la procédure de référé serait impuissante à résoudre le différend en temps voulu permet au demandeur de demander en vertu de l’article 1036 du Code judiciaire une introduction et une instruction accélérée, tout en étant contradictoire. Ceci ne doit pas être confondu avec l’introduction d’une requête unilatérale, sur pied de l’article 584, al. 3 du Code judiciaire, qui est unilatérale.


1.2. La subsidiarité


1.2.1. Subsidiarité procédurale


Le recours au référé en droit des sociétés présente un caractère subsidiaire. Cela signifie qu’il ne peut être introduit que si les modes de résolution des conflits prévus par le Code des sociétés ou par des dispositions statutaires ou conventionnelles sont impuissants à résoudre le conflit. Le recours au référé de droit commun est donc nécessaire .

Ce principe sera à garder à l’esprit pour les praticiens, notamment dans les exemples suivants :

- l’absence de convocation d’une assemblée générale par l’organe de gestion ne pourra donner lieu en référé à une injonction de ce faire ou à la nomination d’un administrateur provisoire, dans la mesure où elle peut aussi résulter de l’initiative du commissaire ou d’un cinquième au moins des associés (articles 268, §1er et 532 du Code des sociétés),

- un associé ou actionnaire qui se plaint d’un manque d’information ne pourra pas porter sa demande auprès du juge des référés mais devra faire usage de son droit d’investigation individuel prévu par les articles 166 et 167 du Code des sociétés

- une situation de blocage au sein du conseil d’administration pour cause de conflit d’intérêts ne pourra pas donner lieu à la désignation d’un administrateur provisoire par le juge des référés, dans la mesure où l’assemblée générale est dans ce cas compétente pour prendre la décision en lieu et place de l’organe de gestion . Le tribunal de commerce de Bruxelles a même considéré l’assemblée générale comme « tribunal naturel de la société », imposant aux parties un délibéré (presque obligatoire) sur les griefs formulés, avant toute demande de désignation d’un administrateur provisoire en référé .

Ce ne sera qu’en cas d’impuissance de ces mesures préalables que le référé pourra être introduit.

1.2.2. L’immixtion minimale du juge des référés dans la vie de la société


En outre de la subsidiarité procédurale, la subsidiarité de l’intervention du juge du référé s’exerce également sur le fond. Il doit toujours veiller à ce que son intervention soit exceptionnelle au regard de l’autonomie de la société et de ses associés.

Il faut distinguer si son intervention concerne la régularité du fonctionnement de la société (au point de vue formel) ou si il lui est demander d’apprécier la légitimité de la politique menée par les organes de la société.

Dans le premier cas, le Président du tribunal de commerce ne s’immisce pas dans l’autonomie de la société et de ses associés. Il en vérifie le respect et en est dès lors le garant. Son appréciation est limitée à la légalité et au respect des règles. Son immixtion n’est pas problématique.

Dans le second cas par contre, l’intervention du juge du référé doit garder un caractère marginal , au motif que le fonctionnement autonome des sociétés doit être privilégié dans la mesure du possible et que son intervention ne peut revêtir qu’un caractère exceptionnel . Il ne pourrait pas se substituer à l’organe de gestion pour apprécier le bien-fondé ou l’opportunité d’une décision en fonction de l’intérêt social, dans la mesure où ses appréciations sont par nature postérieures aux décisions ou actes attaqués en référé, et que le juge ne dispose pas de compétences lui permettant de juger ceux qui à priori en ont.

Le juge des référés ne pourra dès lors limiter son intervention aux hypothèses ou les décisions litigieuses sont manifestement abusives. Dans le cas d’une mésintelligence grave entre associés, celle-ci devra être caractérisée et présenter une gravité suffisante.


1.3. Le provisoire


La condition du provisoire comme limite au pouvoir d’intervention du Juge des référés implique que celui-ci ne peut pas statuer sur le fond de l’affaire. Cette interdiction est absolue et d’ordre public .

En pratique cela signifie que l’ordonnance de référé ne peut être constitutive ou déclarative de droit.

La cour de cassation a dans son arrêt du 9 septembre 1982, précisé que la défense faite par l' article 1039 du Code judiciaire aux ordonnances de réfère de porter préjudice au fond n'interdisait pas au juge d'examiner les droits des parties, sous réserve de ne point ordonner des mesures qui porteraient a celles-ci un préjudice définitif et irréparable.

Dans un arrêt du 14 juin 1991, elle étend la compétence du juge des référé en précisant que la seule limite à son intervention était de ne pouvoir modifier la situation juridique des parties de manière définitive et irréversible rendant inutile ou sans intérêt une décision du juge du fond en sens opposé.

Si le juge des référés ne peut prendre une décision constitutive ou déclarative de droit, il peut fonder sa décision sur une situation juridique lorsque les droits sont évidents ou ne peuvent être sérieusement contestés. Il pourra fonder son ordonnance sur le droit d’une des parties lorsqu’il n’est pas sérieusement contestable .

Quant aux mesures qui peuvent être adoptées par le juge des référés, une distinction est faite entre

- les mesures d’anticipation :

o elle peut mettre fin à une voie de fait, sans pour autant préjuger du fond du litige. La voie de fait est définie comme étant un acte d’une illégalité flagrante, ou qui empêche l’exercice d’un droit évident ,
o être fondée sur des « droits évidents et non sérieusement contestés » ,

- des mesures conservatoires, qui règlent provisoirement la situation des parties de manière à sauvegarder leurs intérêts en conflit : ces mesures impliquent la reconnaissance d’apparences de droit suffisantes, l’examen du juge des référé consistant en une appréciation provisoire et superficielle des droits en conflits : la cour de cassation a considéré notamment dans son arrêt du 29 septembre 1983, que « la défense faite par l’article 1039 du Code judiciaire aux ordonnances de référé de porter préjudice au principal n’interdit pas de prendre des mesures conservatoires s’il y a des apparences de droit suffisantes pour justifier une décision » . Dans l’éventualité où une contestation sérieuse serait développée par le défendeur et que la mesure demandée porte sur l’objet du litige, le Juge des référés pourra substituer au besoin « des dispositions moins radicales mais plus respectueuses des valeurs ou des intérêts en présence » .

En tout état de cause, le caractère provisoire de l’ordonnance du juge des référés n’a aucune autorité de chose jugée auprès du juge du fond. Celui-ci pourra contredire l’opinion du premier et dés lors il faudra remettre les choses dans leur pristin état, en nature ou par équivalent si cela s’avère impossible.


1.4. La proportionnalité


Les mesures ordonnées par le Juge des référés doivent être proportionnées aux griefs invoqués.

Cela suppose l’examen de trois conditions :

- la condition d’efficacité : la mesure sollicitée est-elle appropriée pour résoudre le litige dénoncé par le demandeur en référé. A titre d’exemple, la cour d’appel de Liège eut à connaître de la demande de travailleurs licenciés suite à un concordat par abandon d’actifs, en désignation d’un administrateur provisoire dont la mission serait de recherche toutes formules leur permettant d’obtenir une indemnisation pour le préjudice moral qu’ils invoquaient, notamment au moyen du boni de liquidation existant à la fin de la liquidation. La cour rejeta cette demande au motif qu’une mesure conservatoire permettait de remplir ce but tout à fait adéquatement ;

- la condition de nécessité : consiste à vérifier que les demandes en référé ne puissent pas être atteintes par des mesures plus respectueuses de l'autonomie de la société et des autres intérêts en présence. A titre d’exemple, une demande de désignation d’un administrateur provisoire a été rejetée au motif que la désignation d’un expert chargé de vérifier la comptabilité de la société, mesure moins drastique compte tenu du fonctionnement autonome de la société et des intérêts en question dans le cadre du litige . Le juge des référés veillera également à définir l’ampleur de la mission et sa durée à ce qui est nécessaire par rapport aux griefs invoqués ;

- la condition de proportionnalité : consiste à vérifier que l’avantage résultant de la mesure ordonnée par le juge des référés ne cause pas un préjudice disproportionné au défendeur, à la société ou aux intérêts autres en jeux. Cette condition rejoint la mise en balance des intérêts que certains juges font lorsqu’ils vérifient la condition de l’urgence (v. supra) .


2. Les mesures portant sur les titres de la société


2.1. Mesures portant sur l’exercice des droits sociaux attachés aux titres


La suspension du droit de vote est une mesure qui peut être demandée au juge des référés dans les exemples suivants :

- lorsque le paiement du prix conditionne le transfert de la propriété de titres cédés, que le cessionnaire n’en a pas encore payé l’intégralité et qu’il procède aux conditions d’opposabilité afin d’exercer le droit de vote. Les cédants demanderont la suspension de son droit de vote afin de pouvoir exercer le leur, étant encore propriétaire des actions ,

- afin d’éviter de rompre indument l’équilibre entre deux groupes d’actionnaires dans une société, dont l’importance de la participation est contestée ,

- en cas de contestation d’une augmentation de capital entachée selon les minoritaires d’abus de majorité ,

2.2. Mesures portant sur l’exercice du droit de propriété sur des titres


2.2.1. Une interdiction de céder les titres : si par exemple deux cessionnaires se prétendent propriétaires des mêmes titres dans une société, le juge des référés pourra ordonner l’interdiction de les céder jusqu’au moment où le juge du fond aura déterminé qui en est le propriétaire ;

2.2.2. Dans le même ordre d’idée, le juge des référés pourra ordonner la mise sous séquestre de titres, afin d’en assurer la conservation jusqu’à ce que le litige portant sur leur propriété ou possession soit résolu.


L’article 1961, 2° du Code civil prévoit que le Juge « peut ordonner le séquestre d’un immeuble ou d’une chose mobilière dont la propriété est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes ».

Dans cette hypothèse, un mandataire ad hoc doit être absolument désigné pour exercer celui-ci. Les parties au litige peuvent également désigner de commun accord une personne qui exercera le droit de vote . A défaut, il existe une controverse quant à la possibilité pour le séquestre de faire usage de ce droit de vote .

La suspension du droit de vote sur les titres peut également être ordonnée par le juge des référés.

La mission du séquestre, sa durée, la nature des actes qui pourront être posés par lui (qui sont des actes de conservation des titres, et exceptionnellement, en vue de leur sauvegarde, des actes d’administration ou de disposition), le sort des dividendes si le droit de vote n’a pas été suspendu, etc. sont à définir par le juge des référés dans son ordonnance. Il peut prévoir que le séquestre fera rapport sur la possession des titres à intervalles réguliers, afin d’apprécier l’opportunité de la mesure compte tenu de la vie de la société et des conséquences sur les différents intérêts en jeux (la mise sous séquestre devant bien entendu répondre à la condition de proportionnalité).

2.3. Les mesures portant sur des actifs de la société


Dans le même but de préserver les actifs de risques d’excès, de détournement, etc. le juge des référés ordonne des mesures restreignant la libre disposition des actifs de la société par elle-même.

2.3.1. Interdiction de céder un actif social


Les statuts d’une société peuvent prévoir que la cession d’un actif important de la société soit subordonnée à l’approbation préalable de l’assemblée générale. Dans l’hypothèse où le demandeur sentirait ou se méfierait d’un excès de pouvoir de la part de l’organe de gestion, qui déciderait de céder cet actif sans respecter ce recours à l’assemblée générale, le juge des référés pourrait ordonner celui-ci et interdire la cession de l’actif en question tant que cette étape n’est pas respectée.

L’interdiction de céder un actif est subordonnée à la menace ou à la commission d’un excès ou d’un abus de pouvoir. Si la cession entre dans le cadre d’une stratégie décidée de la société, aux conditions normales et usuelles, le juge des référés ne pourra pas interdire la cessibilité .

2.3.2. Mesures d’investigation sur les actifs de la société


2.3.2.1. Demande de désignation d’un expert vérificateur


L’article l68 du Code des sociétés prévoit que « s'il existe des indices d'atteinte grave ou de risque d'atteinte grave aux intérêts de la société, le tribunal de commerce peut, à la requête d'un ou de plusieurs associés possédant au moins 1 % des voix attachées à l'ensemble des titres existants, ou possédant des titres représentant une fraction du capital égale à 1.250.000 € au moins, nommer un ou plusieurs experts ayant pour mission de vérifier les livres et les comptes de la société ainsi que les opérations accomplies par ses organes ».

Cette procédure, qui était également appelée « l’expertise minoritaire » est devenue caduque depuis la possibilité pour le juge des référés de nommer un administrateur provisoire, un expert-gardien ou un expert ad futurum.

On notera cependant les quelques particularités suivantes :

- la demande peut se fonder sur des indices d’atteinte grave ou de risque d’atteinte grave aux intérêts de la société. La demande ne doit dont pas être étayée par des preuves formelles et sous réserve d’avoir quelques indices, les demandeurs pouvaient obtenir la désignation de l’expert vérificateur qui fouillerait en la société pour trouver les fautes, manquements, risques d’atteintes aux intérêts, etc. ;

- cette mesure d’enquête est complémentaire par rapport aux autres mesures que le juge des référés peut ordonner et par rapport au mandat du commissaire aux comptes, du réviseur d’entreprise, etc. La demande peut être introduite tout à fait indépendamment d’une procédure au fond et n’est pas subordonnée à l’existence d’un litige potentiel ou existant.

- les pouvoirs de l’expert vérificateur sont larges puisqu’il peut avoir accès à la comptabilité et aux opérations accomplies par les organes : organe de gestion, assemblée générale, commissaires aux comptes, le liquidateur. Le juge des référés peut dans son ordonnance définir plus ou moins précisément les questions et sujets sur lesquels la mission portera en particulier ;

- la doctrine majoritaire considère que la mission de l’expert vérificateur peut ne pas seulement être technique, mais peut être également juridique , afin que les demandeurs puissent exercer de manière éclairée leurs droits sociaux. Elle pourrait par exemple consister à apprécier l’existence d’une faute de gestion, à déterminer si le capital de la société était oui ou non suffisant pour développer deux ans d’exercice social (hypothèse de responsabilité des fondateurs), etc. Cette doctrine n’est pas unanimement suivie cependant.

2.3.2.2. L’expertise ad futurum de droit commun


Lors de la réforme du Code judicaire en 1967 a introduit le nouvel article 962 du Code judiciaire qu prévoit que « le juge peut, en vue de la solution d’un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d’un litige, charger des experts de procéder à des constatations ou de donner un avis d’ordre technique ».

Il est donc possible de demander hors litige existant la désignation d’un expert de droit commun. Il n’y a plus de condition de seuil de participation comme pour la demande de nomination d’un expert vérificateur. Cette dernière procédure devient donc caduque.



2.3.2.3. La demande de nomination d’un administrateur provisoire ou d’un expert gardien


Le juge des référés peut désigner un administrateur provisoire chargé de contrôler la gestion de la société, lorsque le demandeur (associé , créancier social , créancier d’un associé ) fait valoir des craintes sérieuses de gestion abusive du patrimoine social de nature à lui porter préjudice.

Au point de vue terminologique, l’« expert gardien » est l’expert nommé à la demande d’un créancier de la société ou d’un associé. L’administrateur provisoire est nommé à la demande d’un associé.
Dans le cadre de sa mission, il sera notamment amené à dresser l’état de la situation de la société : contrôler la gestion, notamment de certains actifs, dresser des inventaires, etc. L’ordonnance peut prévoir qu’il devra donner son accord pour certains actes (notamment des cessions d’actifs, toujours en respectant le principe de proportionnalité), de telle sorte qu’il peut décider de l’incessibilité de ceux-ci.

2.3.3. Les mesures relatives à la comptabilité de la société


La comptabilité est un élément maître dans de nombreux conflits entre actionnaires, que ce soit pour que le pouvoir de contrôle prévu par l’article 166 du Code des sociétés puisse s’exercer, pour assurer sa conservation en vue de mesures de contrôle et d’investigation, ou pour désigner un mandataire charger de la contrôler.

Différents cas de figures se présentent en pratique au juge des référés :

- il peut faire injonction à l’organe de gestion de communiquer les pièces qui sont demandées par les actionnaires dans le cadre de leur droit de contrôle et d’investigation individuel sur pied des articles 166 et 167 du Code des sociétés . Le refus de l’organe de gestion de faire droit à la demande de l’actionnaire peut constituer un juste motif fondant le rachat de ses titres .

- il peut ordonner la mise sous séquestre de la comptabilité, s’il y a un risque de disparition, d’altération ou de destruction,

- il peut ordonner une expertise sur la comptabilité, afin d’en vérifier la régularité, la justesse et la conformité à la loi, sur une période de temps définie ; ou parfois de manière plus spécifiquement définie par l’ordonnance, afin de vérifier si une caisse noire n’existe pas, si des détournements d’actifs ne sont pas opérés au profit de certains actionnaires, si des dépenses privées ne sont pas mises à charge de la société, si tous les revenues ont bien été déclarés au fisc, etc.


2.3.4. Les mesures relatives au fonctionnement de la société


Le juge des référés peut, dans les limites du référé, assurer la sauvegarde des droits d’un ou de plusieurs actionnaires, ou régler provisoirement une situation de conflit entre actionnaires. Il pourra :

- ordonner la suspension de la convocation à la réunion d’un organe de la société, par exemple :

o si cette réunion a pour but de tenter de faire passer une décision qui a té refusé lors d’une réunion précédente, lorsque les personnes ayant refusé ont annoncé qu’ils seraient absents à la date de la nouvelle réunion ,
o si l’ordre du jour de l’assemblée générale excède les compétences de celle-ci ,
o si l’assemblée générale n’a pas été convoquée par une décision régulière du conseil d’administration ,
o si la réunion prévue vise l’exécution d’une décision qui a été suspendue ,

Certains considèrent que les mesures ne pourraient sanctionner qu’une convocation irrégulière. Le tribunal de commerce de Liège a notamment considéré qu’ « il n’appartient pas au pouvoir judiciaire, serait-ce au juge des référés statuant au provisoire, de s’immiscer dans la vie sociale en préjugeant des décisions de l’assemblée générale, est susceptible de prendre et en anticipant sur la suspension ou l’annulation de ces décisions qui viendraient à tomber sous le coup des (…) dispositions précitées » .

- interdire de convoquer un organe, de délibérer sur certains points ou d’adopter une décision, comme par exemple interdire de convoquer une assemblée générale tant qu’un litige relatif à l’exclusion d’un actionnaire n’est pas terminé ,

- désigner un mandataire ad hoc chargé de convoquer la réunion d’un organe, en cas par exemple de défaillance de l’organe chargé de la convocation, ou de mauvaise volonté de sa part. L’ordre du jour peut être défini dans l’ordonnance,

- donner injonction à l’organe de gestion de convoquer une réunion d’un organe de la société, sous peine d’astreinte,

- donner injonction de voter dans un sens déterminé, ou nommer un mandataire ad hoc chargé de ce faire. Cependant cette injonction peut être considéré comme contraire au principe du provisoire, en outre du fait qu’elle revient pour le juge des référés à se substituer à l’organe chargé de prendre une décision . Des mécanismes curatifs existent en outre pour solutionner une décision frappée d’abus de majorité par exemple, qui devraient être préférentiellement utilisés plutôt que se substituer à l’organe délibérant.
- donner injonction de permettre à un associé devant participer à une assemblée générale de se faire accompagner d’un conseil ,

- ordonner la suspension d’une décision frappée d’abus de majorité, de minorité ou d’égalité,

- désigner un expert avec pour mission d’investigation sur le fonctionnement de la société,

- interdire le dépôt aux fins de publication aux Annexes du Moniteur belge d’une décision irrégulièrement adoptée ,

- désigner un administrateur provisoire ou un expert gardien :

Il s’agit d’un mandataire de justice qui a pour mission d’assurer tout ou partie de la gestion de la société dans l’intérêt exclusif de celle-ci. L’ordonnance du juge des référés défini l’ampleur de la tâche : soit il se substitue complètement aux organes de gestion, soit il se limite à l’accomplissement d’un ou plusieurs actes de gestion déterminés.

Il s’agira d’un avocat (souvent curateur de faillite) ou d’un réviseur d’entreprise, parfois les deux accompagnés d’un expert-comptable (formant dès lors un collège). Les ordonnances prévoient dans la plupart des cas qu’il pourra se faire assister de toute personne de son choix.

La demande de désignation de l’administrateur provisoire doit être faite par toute personne ayant un intérêt au sens de l’article 17 du Code judiciaire. Ce sont les actionnaires ou associés, les dirigeants de la société (en cas de blocage de l’organe de gestion ou d’abus de majorité, de minorité, ou d’égalité), le ministère public, l’Etat belge. La possibilité pour les créanciers de ce faire est controversée. La demande est dirigée contre la société (qui sera défenderesse).

La nomination (avec la définition de l’étendue des pouvoirs, ainsi que la manière d’exercer ceux-ci) et la fin du mandat de l’administrateur provisoire doivent être publiés aux Annexes du Moniteur belge (article 74, d) du Code des sociétés).

La demande de désignation doit répondre aux conditions du référé (article 584 du Code judiciaire), qui sont développées supra : urgence, provisoire, immixtion minimale, proportionnalité, subsidiarité.

La condition de subsidiarité est à garder particulièrement à l’esprit, en ce qu’elle commande que tous les moyens mis à disposition par le Code des sociétés, des conventions d’actionnaires ou des dispositions statutaires aient été mises en œuvre sans succès, avec de pouvoir demander la nomination de l’administrateur provisoire. A titre d’exemple :

o avant d’introduire la demande de désignation de l’administrateur provisoire, les parties doivent au moins avoir délibéré en assemblée générale sur les griefs qu’elles formulent ,

o les difficultés de convocation d’une assemblée générale ne pourront donner lieu à une demande en désignation d’administrateur provisoire que si tous les autres moyens ont été tenté, comme la convocation par le commissaire aux comptes ou par un cinquième au moins des associés,

La condition de l’immixtion minimale exige que le juge des référés veille, dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel, à maintenir un caractère exceptionnel à son intervention. Dans une mésentente entre actionnaire entraînant une situation de blocage de l’activité de la société, la désignation de l’administrateur provisoire ne se justifie que si cette mésentente soit caractérisée et présente une gravité suffisante. Le Juge des référés ne peut ordonner des mesures de pure opportunité en mettant sous tutelle judiciaire la société, qui doit rester entre les mains de ses organes, sauf pour ce qui concerne restrictivement le conflit entre actionnaire ayant nécessité la désignation du mandataire de justice.

Les hypothèses dans lesquelles la désignation d’un administrateur provisoire est accordée, peuvent être résumées en trois grandes catégories :

o l’impossibilité pour un organe social de fonctionner régulièrement. Ce seront notamment les hypothèses suivantes :

- disparition de l’organe social : son remplacement selon toutes les autres voies prévues par le Code des sociétés doivent être impuissantes avant de demande la désignation de l’administrateur provisoire. Les cas sont donc limités.

- la non-convocation des organes,

- la paralysie de la société suite à une mésintelligence grave et caractérisée entre actionnaires qui sont également administrateurs. Nous renvoyons au chapitre concernant les justes motifs à ce sujet,

o le dysfonctionnement des organes. Ce sont notamment les hypothèses suivantes :

- la gestion manifestement abusive : détournements d’actifs, abus de droits, gestion au détriment des intérêts de la société, lorsque des investissements nécessaires ne sont pas réalisés , etc.

- la gestion manifestement défaillante : par exemple dénuée de tout professionnalisme , la comptabilité est inexistante , désintéressement de l’organe social des activités de la société ,

- l’entreprise est menacée : il s’agit de la nomination d’ « administrateur de crise » lorsque la société est au bord de la faillite et que la société elle-même, ses actionnaires ou dirigeants demandaient au Juge des référés de tenter par le biais d’un administrateur au regard et aux compétences nouvelles, un redressement de la société avant sa faillite. Cela se justifiait factuellement (puisque juridiquement, cette nomination constituait une immixtion totale dans la vie de la société et violait le fonctionnement autonome du droit des sociétés). La loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises, prévoit à présent la possibilité de demander au tribunal de commerce, dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire, la nomination de quatre mandataires de justice :
- le médiateur d’entreprise (article 13), à la demande de la société, afin de notamment organiser le dialogue entre la société et ses créanciers dans la préparation d’un accord amiable,
- le mandataire de justice visé à l’article 14, désigné par le président du tribunal de commerce, comme en référé, sur demande de tout intéressé lorsque des manquements graves et caractérisés menacent la continuité de l’entreprise,
- le mandataire de justice visé à l’article 27, afin d’aider le débiteur dans sa réorganisation judiciaire,
- l’administrateur provisoire (article 28) désigné sur demande du ministère public ou de tout intéressé, chargé d’administrer l’entreprise en cas de manquements graves et caractérisés ou de mauvaise foi manifeste de la société ou de ses organes, etc.

o la remise en cause de la légitimité d’un organe :

- contestation de l’organe de gestion : un administrateur provisoire peut être nommé lorsque la composition de l’organe est contestée et qu’il est à craindre qu’il prenne des décisions ou pose des actes préjudiciables pour la société ou pour le demandeur (cession d’actifs importants de la société ,
- contestation de l’assemblée générale : par exemple lorsque la propriété des titres donnant le contrôle de la société est contestée.

La mission de l’administrateur provisoire, ainsi que sa durée sont définis par l’ordonnance du juge des référés :

- il peut se voir confier la gestion journalière de la société ,
- la mission peut être limitée à un contrôle de la gestion ou de certains actes définis,
- il peut être chargé de mesures d’instruction : dresser l’inventaire exact des actifs, l’évolution de la société depuis une date déterminée au niveau de la gestion et/ou de l’actionnariat, examiner la situation financière de la société, sa gestion, etc. L’administrateur provisoire pourra faire rapport au Président, à date fixer ou à différentes échéances prévues,
- il pourra tenter de concilier les parties , etc.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans




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