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L'exclusion



La procédure d’exclusion consiste en une mesure « d’expropriation privée » , par laquelle un ou plusieurs actionnaires réclament en justice de pouvoir acheter les titres d’un des leurs, dans un but de préserver l’intérêt social.

Comme indiqué ci-dessus la procédure d’exclusion s’applique pour les SA et les SCA fermées et pour les SPRL. Les SCRL connaissent un mécanisme d’exclusion propre, prévu par l’article 370 du Code des sociétés (v. infra).


1.1. Les demandeurs

Les demandeurs sont les actionnaires représentant ensemble :

- soit 30% des voix attachés à l’ensemble des titres existants,
- soit 20% des voix attachés à l’ensemble des titres existants si la société a émis des titres non représentatifs du capital (donc les titulaires de parts bénéficiaires peuvent être demandeurs),
- soit 30% des actions dont la valeur nominale ou le pair comptable représente 30% du capital de la société (donc les titulaires d’actions sans droit de vote peuvent être demandeurs).

En cas de pluralités de demandeurs, il n’est pas nécessaire qu’ils agissent ensemble. Il faut seulement qu’ils atteignent l’un des seuils visés ci-dessus .

Ces seuils ont un caractère impératif et il n’est donc pas possible de les augmenter par des dispositions statutaires. Quant à la possibilité de prévoir des seuils plus bas, réfléchir sur base du principe selon lequel une disposition impérative a pour objet de protéger certaines catégories de justiciables, mènerait à la conclusion que seuls les actionnaires minoritaires sont protégés dans le cadre de cette procédure, ce qui est bien entendu inexact.

Les seuils sont une condition de recevabilité de l’action et non de son fondement. Ceci a pour conséquence que les demandeurs pourraient en cours de procédure ne plus remplir un des seuils, sans que la continuité de l’action soit menacée .

La preuve de l’atteinte d’un des seuils est à charge des demandeurs, soit par la production du registre des actionnaires , soit par tout autre moyen de preuve (le registre n’étant qu’une preuve de forme, non de fond), comme la production d’une liste de présente à l’assemblée générale par exemple, ou toutes conventions de cession de titres faisant apparaître une participation suffisante seule ou de concert. Pour les actions dématérialisées, l’inscription en compte .

Dans l’hypothèse d’une indivision, les deux copropriétaires devront introduire l’action ensemble.

En cas de démembrement des actions en nue-propriété et en usufruit, la jurisprudence a admis que le nu-propriétaire pouvait introduire seul l’action, l’article 642 du Code des sociétés visant à assurer la protection de l’actionnaire minoritaire au sens large, sans que celui-ci soit plein propriétaire des titres . L’usufruitier ne peut introduire l’action seul .


1.2. Le(s) défendeur(s)

Le défendeur doit être actionnaire de la société, en cette qualité. Ceci exclut les détenteurs de parts bénéficiaires et tout détenteur précaire, comme par exemple un créancier gagiste (qui possèderait les actions, mais en cette qualité seulement et non en qualité de réel actionnaire) .

Pendant toute la durée de l’action, à partir de la date de signification de la citation, le défendeur ne peut céder ses titres, sauf accord des parties ou autorisation du juge (article 638 C. Soc.).

En cours de procédure le défendeur devra produire une copie des statuts coordonnés et copie ou un extrait de toutes conventions restreignant la cessibilité de ses actions (art. 639, al. 1er. C. Soc). Le but est que le juge puisse les respecter, tout en restant in fine libre, en vertu des pouvoirs exorbitants qui sont les siens de ne pas les respecter : il peut écarter les clauses d’agrément, décider de la cession à un autre prix que celui fixé conventionnellement, etc.


1.3. La société elle-même doit être également citée à comparaître. Le but est que le juge puisse, en sa présence, s’informer adéquatement au sujet de l’intérêt social dont la préservation est le but de l’action en exclusion .

Il ne s’agit pas d’une condition de recevabilité de l’action. Le Président du tribunal de commerce peut remettre l’audience d’introduction afin que la société, puisse intervenir volontairement à l’action. La qualité de partie à la cause de la société est donc une question de fondement.

La société devra informer tous les actionnaires (même si le texte de l’article 637 C. Soc ne citent que les porteurs d’actions nominatives, les travaux préparatoires précisent qu’il s’agit de tous les actionnaires ) afin qu’ils puissent éventuellement se joindre à l’action (article 637 C. Soc.) pour, si l’exclusion est décidée par le juge, pouvoir acheter les actions de l’actionnaire exclu afin de préserver leur pourcentage de participation dans le capital.


1.4. Objet de l’action

L’action porte sur « toutes les actions ou parts et tous les titres que le défendeur détient et qui peuvent être convertis ou donnent droit à la souscription ou à l’échange en actions ou parts de la société » (article 636 du Code des sociétés).

Sont donc visés les actions, avec ou sans droit de vote, les obligations convertibles, les options, les droits de souscription, les scripts, warrants et les options. La doctrine complète la liste par les options purement contractuelles non encore matérialisées .

Par contre les simples droits de créance comme les obligations, ainsi que les certificats émis en application de la loi du 15 juillet 1998 relative à la certification des titres émis par les sociétés commerciales, sont exclus .

L’action ne peut avoir pour fondement que les articles du Code des sociétés concernant l’exclusion. Le demandeur ne pourra pas fonder sa demande sur des dispositions statutaires ou conventionnelles prévoyant l’exclusion. Dans cette hypothèse, le tribunal de droit commun sera compétent. Par contre, si la non-exécution d’une telle clause constitue un juste motif, parce que par exemple le défendeur refuse de l’exécuter (après avoir été invité de le faire) le demandeur pourra, selon les cas d’espèce fonder son action sur le Code des sociétés . Le juge appréciera dans quelle mesure l’inexécution de l’obligation contractuelle constitue l’élément principal où un des éléments complétant d’autres qui constituent le ou les justes motifs principaux.


1.5. Juridiction compétente et compétence d’exception

L’action est portée devant le Président du tribunal de commerce dans lequel la société a son siège social. Il faut rappeler ce concernant que la détermination du siège social est une question de fait. Il est situé à l’endroit où la société est effectivement gérée et administrée . Il a été jugé notamment que le siège social est fictif quand seulement 20% des membres du personnel y sont présents et que ce siège est un atelier .

La procédure est « comme en référé », ce qui signifie que le délai de citation est réduit à deux jours et que la cause sera traitée selon les modalités de l’urgence, celle-ci étant présumée. Le Président du tribunal de commerce statue sur le fond.

Cependant, étant une juridiction d’exception, le Président ne pourra pas trancher d’autres questions que celles liées directement à l’exclusion (comme des questions de détermination ou de paiements de comptes courants, la mise en cause de la responsabilité d’une des deux parties comme administrateur, la désignation d’un administrateur provisoire, etc.).

Le principe « le criminel tient le civil en état » suspend l’action en exclusion (comme l’action en retrait) si l’issue du procès pénal peut avoir des répercussions sur le litige entre actionnaires.

Les dispositions impératives sur l’exclusion et le retrait ne rendent pas une clause d’arbitrage non valable . Le Président du tribunal de commerce qui constate une clause d’arbitrage devra se déclarer incompétent.

Cette solution sera évidente si la clause se trouve dans les statuts ou que toutes les parties à la cause sont parties à la convention reprenant la clause d’arbitrage. Par contre, la solution inverse devrait être adoptée si la convention d’arbitrage ne lie qu’une partie des actionnaires à la cause. Ceci notamment lorsque les actionnaires (non parties à la clause d’arbitrage) ont été avertis par la société de la demande en exclusion (en vertu de l’article 637 C. soc) et qu’ils interviennent volontairement à la cause .


1.6. Notion de justes motifs

1.6.1. Le caractère absolu du droit de propriété en droit belge commande qu’il y soit dérogé qu’en cas de circonstances graves et exceptionnelles. L’exclusion est une mesure de ce que la doctrine qualifie d’expropriation privée .

Dans le cadre de la procédure d’exclusion, c’est l’intérêt social qui prédomine (dans la procédure de retrait, l’intérêt de l’actionnaire demandeur sera également pris en compte).

Le demandeur devra prouver l’existence de justes motifs, suffisamment graves et sérieux pour affecter le fonctionnement de la société.

Sous réserve des précisions et nuances ci-dessous, affecter le fonctionnement de la société ne signifie pas obligatoirement que son activité, ou que les organes soient dans une situation de blocage . Les justes motifs devront plutôt avoir créé un alourdissement considérable de la gestion de la société, justifiant la mesure exceptionnelle d’expropriation privée en vue de préserver l’intérêt social.

1.6.2. Catégories de justes motifs

Le caractère impératif des dispositions du Code des sociétés sur l’exclusion empêche que les justes motifs soient définis ou limités par des dispositions statutaires conventionnelles .

1.6.2.1. L’inexécution par un actionnaire de ses engagements ou autres manquements

Ce manquement d’un actionnaire à ses engagements peut certainement être invoqué pour fonder une action en exclusion.

Cependant, compte tenu de la nature exceptionnelle de la procédure, un manquement contractuel de l’actionnaire pourrait trouver plus naturellement sa sanction dans l’article 1184 du Code civil. Les(s) débiteur(s) de l’engagement violé pourront demander l’exécution forcée ou, si celle-ci est impossible ou n’est plus opportune, dans la résolution de la convention conclue (avec dommages et intérêts), plutôt que dans une exclusion de l’actionnaire fautif. Ce sont notamment les exemples suivants :

- la violation par un actionnaire d’une convention par laquelle il est désigné comme responsable de la gestion d’un client à titre exclusif pour la société ,
- le non-respect d’engagements d’achats minimums de l’actionnaire auprès de la société ,
- le non-respect d’une convention d’actionnaire prévoyant une augmentation de capital ,

Il faudra pour que l’exclusion soit prononcée que le manquement crée réellement une situation de blocage dans la société ou un manquement d’une telle gravité qu’il ne peut être question que l’actionnaire fautif reste dans la société, comme par exemple :

- le refus d’un actionnaire de libérer le capital appelé par le conseil d’administration, alors qu’il a été condamné, pour cause de manque de moyens financier ,
- la résiliation par un actionnaire d’un accord de licence conclu entre lui et la société, lorsque l’activité de cette dernière repose sur ce contrat, et qu’il introduit une nouvelle demande de brevet, dans le but manifeste de placer la société en difficultés, voir en causer la faillite ,
- le désintérêt complet pour la gestion de la société ,
- la résiliation de la ligne téléphonique de telle sorte que les clients ne pouvaient plus joindre la société et contactaient un des associés au lieu de la société,
- des actes de concurrence déloyale à l’égard de la société, le développement d’une activité concurrente ayant des conséquences néfastes et nuisibles pour la société, ou un acte de concurrence déloyale avec des circonstances inacceptables (comme l’usage des informations confidentielles de la société) ,
- l’incapacité de droit ou de fait d’un associé d’assumer son rôle, dans la mesure où l’activité de la société repose sur l’activité des associés ou à tout le moins, sur leur concours positif ,
- les manquements d’un associé en qualité d’administrateur ou de gérant peuvent être également retenus. Il faudra dans cette hypothèse que les qualités soient intimement liées, ce qui souvent le cas dans les sociétés de petites tailles (les deux associés sont également cogérants). A défaut, dans la mesure où les dispositions du Code des sociétés concernent les conflits entre actionnaires, les manquements en qualité de dirigeant ne pourront pas constituer des justes motifs.
- les hypothèses de divorce dans les sociétés où les époux étaient associés ne pourront ne pourront justifier une exclusion pour juste motif que dans l’hypothèse où la société devient le théâtre des scènes conjugales et que la collaboration au sein de la société devient impossible. La jurisprudence dispose d’un très large pouvoir d’appréciation .

1.6.2.2. L’abus de majorité, de minorité ou d’égalité

Un abus de majorité, de minorité ou d’égalité ne constituera pas automatiquement un motif d’exclusion. Il devra être aggravé par sa récurrence, son caractère systématique, qui rendent toute autre solution impraticable, comme l’annulation de la décision entachée d’abus ou l’octroi de dommages et intérêts .

Dans la majorité des cas, ce sera l’actionnaire majoritaire qui intentera une action en exclusion contre le minoritaire qui adopte un comportement abusif systématique. Les demandes venant des minoritaires étant majoritairement des demandes en retrait forcé.

Ont été considérés comme des justes motifs fondant l’exclusion d’un actionnaire :

- le refus de vote pour une augmentation de capital lorsque le but poursuivi est d’obtenir des avantages illégitimes tels que la renégociation d’accord de non-concurrence ou l’obtention d’un prix de cession (pour les actions du votant) à un prix supérieur que leur valeur réelles ,

- le fait pour un actionnaire de contrôle de sacrifier les intérêts d’une filiale à son profit, dans le but de rendre la filiale entièrement dépendante de la production et de la stratégie commerciale de la société mère et de réduire le rôle de la filiale à un simple bureau de vente, ce qui était contraire à la convention de coopération entre les deux sociétés, qui autorisait la filiale à développer sa propre gamme de produits ,

- le blocage répété d’une augmentation de capital pour des raisons liées à une mésentente persistante, sans tenir compte du caractère légitime ou non de l’augmentation de capital , etc. ;

1.6.2.3. La mésintelligence grave et permanente entre actionnaires

La mésintelligence grave et permanente entre actionnaire est le juste motif qui comprend tous les autres motifs d’exclusion que l’abus (de majorité, d’égalité ou de minorité) et le manquement de l’actionnaire.

Elle se distingue de la faute et résultera de circonstances objectives ou de divergences de vues trop radicales pour envisager la poursuite d’une activité en commun entre les parties en conflit, sans que l’une ne soit plus à critiquer que l’autre .

Selon la doctrine majoritaire, cette mésintelligence doit entraîner le blocage de l’activité sociale, ou à tout le moins que le conflit soit suffisamment sérieux pour qu’il soit de l’intérêt de la société d’y mettre un terme en expulsant un des actionnaires .

Exemples de mésintelligences graves et permanentes :

- des différences de vue stratégiques entre les actionnaires, étant à l’origine d’un désaccord durable nécessitant l’exclusion de l’un d’eux ,
- l’introduction de procédures judiciaires ou pénales par un des actionnaires, dans le but de nuire à la société , par méchanceté, ou pour rechercher des avantages que l’actionnaire veut obtenir sous pression d’un procès,
- le détournement d’actifs, le refus d’apurer un compte courant et de payer les charges sociales, la constitution d’une société concurrente ,
- limiter la communication entre les actionnaires par le biais de courriers recommandés, d’avocats et introductions d’actions judiciaires pour le recouvrement de sommes dues ,
- l’introduction d’une action en déclaration de faillite contre la société, en l’absence d’intérêt (parce que l’actionnaire n’est pas créancier) et de fondement (parce qu’il se basait sur un rapport d’un expert vérificateur nommé sur pied de l’article 168 du Code des sociétés, duquel il ressort que les conditions de la faillite ne sont pas remplies) ,
- le refus persistant d’un actionnaire de voter sur un point de l’ordre du jour ,
- limiter la communication entre les actionnaires par voie d’avocats et systématiquement ne pas respecter les règles statutaires régissant les délibérations de l’assemblée générale ,
- le dépôt de plaintes par chacun des actionnaires pour des malversations qui auraient été commises dans la gestion de la société ,
- la mauvaise tenue de la comptabilité, le refus du gérant statutaire de convoquer une assemblée générale malgré les demandes écrites d’un associé, l’absence d’assemblées générales annuelles durant deux exercices sociaux, le dépôt de comptes annuels non approuvés par l’assemblée générale, l’existence d’un compte courant important alors que la société est en difficultés financières ,

1.6.3. La preuve des justes motifs

L’actionnaire qui prépare l’introduction d’une action en exclusion sera avisé de constituer un dossier reprenant, à des fins probantes, la démonstration des justes motifs reprochés au futur défendeur.

En outre de la collecte d’e-mails, courriers, ou pièces traditionnelles de preuves, il pourra ce faire en demandant la nomination d’un expert vérificateur (qui en vertu de l’article 168 du Code des sociétés pourra vérifier les livres et les comptes de la société ainsi que les opérations accomplies par ses organes), la nomination d’un expert en référé, ou la désignation d’un administrateur provisoire.

Le rôle de l’expert se limitera à vérifier la véracité ou l’existence des griefs, sans pouvoir cependant se prononcer sur la qualification de juste motif de ceux-ci, qui n’appartient qu’au président du tribunal.

Dans l’examen des justes motifs, le juge pourra tenir compte du comportement du défendeur (actionnaire ou associé) en sa qualité de gérant ou administrateur, ou en toute autre qualité au sein de la société , à condition cependant que le comportement se rapporte au moins en partie à la qualité d’actionnaire du défendeur. Un comportement lié exclusivement à la qualité de gérant ne pourra pas constituer un juste motif .

Cependant, spécialement dans les sociétés familiales, les Présidents ont tendance à prendre en considération les comportements des défendeurs, sans opérer de distinction nette entre la qualité d’actionnaire ou de dirigeant. Certaines décisions sont même allées jusqu’à considérer un juste motif d’exclusion alors que le défendeur n’était pas associé dans la société concernée par le conflit.

Dans un litige porté à la connaissance du Président du tribunal de commerce de Malines, trois personnes étaient associées dans une SPRL et également actionnaires dans une SA. L’ultime objet de cette dernière était de mettre à disposition un immeuble au bénéfice de la SPRL. Un des associés sort de la SPRL et est assigné par celle-ci pour concurrence déloyale. Le Président du tribunal de commerce constate une mésentente entre les associés restant de la SPRL et l’associé sortant et fait droit à la demande d’exclusion de ce premier de la SA (qui n’est pas du tout concernée par la mésentente et dont le fonctionnement continue parfaitement) au motif que la SA n’existe que pour les besoins de la SPRL et qu’il pouvait considérer la mésentente existante dans la SPRL .

Dans un autre dossier, trois associés dans une SPRL fondent avec une quatrième une ASBL afin de lui apporter une partie des actifs de la SPRL. Ensuite deux des associés de la SPRL et cette quatrième personne ont constitué une à l’insu de demandeur une autre ASBL dans le même but. La demande de retrait a été acceptée par le Président au motif que dans ces conditions la confiance entre les associés était ruinée .

Indépendamment de la preuve des justes motifs, il arrive que les parties au litige se mettent d’accord sur l’existence de ceux-ci, et qu’elles demandent de commun accord au Président de désigner un expert pour déterminer le prix des titres à payer par les actionnaires restants dans la société .

Dans d’autres dossiers, les parties demandent avant dire droit la désignation de l’expert pour fixer la valeur des titres, sans aborder à ce stade la question de l’existence des justes motifs .

1.6.4. Gestion des demandes d’exclusions réciproques par le juge

Il est fréquent, dans le cadre de mésintelligences graves comme justes motifs, que des actionnaires introduisent des demandes réciproques d’exclusion (spécialement s’ils ont des participations d’importance comparable dans le capital de la société).

Si le Président peut déterminer qui est l’associé à l’origine de la mésintelligence, il devra, au-delà de la recherche de l’origine de la mésintelligence, dans un premier temps tenir compte de l’intérêt social (la continuation de la société), puis aura égard à l’intérêt des actionnaires, pour exclure celui qui se rend (le plus) « coupable » de la mésintelligence .

Si le Président constate que les torts sont partagés ou qu’il n’y a pas de faute à imputer à aucun des actionnaires, le juge devra prendre en compte l’intérêt social et la continuité de la société , en tenant compte de la capacité financière de chacune des parties à réinvestir dans la société , des compétences et des know-how respectifs des parties pour la société, etc. afin d’exclure l’associé qui présente le moins d’intérêt pour la société compte tenu de ces éléments .

1.6.5. Prix de rachat des titres de l’actionnaire exclu

La fixation du prix rachat des titres de l’actionnaire exclu est un sujet où il existe pratiquement autant de méthodes et de solutions que de litiges.

On peut cependant tirer de la jurisprudence et de la doctrine les principes suivants :

- le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation extrêmement large : le Code des sociétés ne prévoit aucune règle particulière à suivre. Le juge n’est pas tenu par les conventions d’actionnaires ou les dispositions statutaires, prévoyant des modalités d’évaluation des titres, mais il peut en tenir compte. Il n’est pas non plus tenu par les clauses de préemption ou d’agrément ;

- Il peut fixer lui-même (et sans recours à une expertise) le prix des titres ;

- Il peut nommer un expert (en vertu des articles 962 et suivants du Code judiciaire), pour déterminer la valeur des titres. Le Président ne sera pas tenu par le rapport de l’expert ;

Cette désignation d’expert peut être assez utilement faite par le Président avant d’examiner les justes motifs, afin pour lui de pouvoir vérifier les capacités financières des parties – en cas de demandes réciproques d’exclusions – pour pouvoir payer le prix de rachat ou pour si nécessaire pouvoir consentir des investissements nouveaux dans la société ;

- Le Président ou même les parties au litige peuvent donner ou convenir de certains critères qui seront à privilégier dans l’évaluation des titres. L’expert pourra également tenir compte d’éléments particuliers tels que la perte des compétences pour la société de l’actionnaire éventuellement exclu (s’il est actif, dirigeant ou employé, etc. également), sur le fait que le rachat procurera le contrôle de la société au demandeur en exclusion (prime de contrôle) ou d’une décote tenant compte du caractère minoritaire des titres acquis .

- Le moment auquel le Président se place pour déterminer le prix des titres a été sujet à des solutions multiples :

o selon la doctrine et la jurisprudence majoritaire, le prix devait être celui au jour où le Président statue ,
o la date du commencement du conflit entre actionnaires a été retenue dans certaines décisions
o la date d’introduction de la demande a été défendue dans de nombreux litiges ,
o la date de constitution de la société a été prise en compte , ou la date de la clôture de l’exercice social précédent la décision ,
o une thèse, acceptée par partie de la jurisprudence propose de fixer la valeur des titres selon l’équité, en considérant que l’apparition des justes motifs correspond à la naissance d’un droit subjectif à l’introduction de l’action . Cette solution se conçoit mieux dans l’hypothèse d’un retrait dans lequel le demandeur ne pourrait être pénalisé deux fois : la première en devant sortir de la société et la seconde en recevant un prix dévalorisé en raison d’agissements des défendeurs. Cette proposition présente l’avantage pour le demandeur de ne pas devoir introduire une action distincte au fond pour obtenir une indemnisation du préjudice causé par les défendeurs.

La cour de cassation a finalement tranché ce débat en énonçant le principe que « Dès lors que le droit au paiement du prix des parts naît au moment du transfert de propriété de celles-ci, c'est à la date du transfert ordonné par le juge que les parts doivent être évaluées » en ajoutant que « cette évaluation doit se faire dans une perspective de continuité, sans que puisse être prise en compte l'incidence du comportement des parties sur la situation qui a mené à l'introduction de la demande et sur le redressement de la société intervenu après celle-ci » .

Cette deuxième précision découle de la compétence restrictive du Président du tribunal de commerce, qui ne peut pas statuer que sur l’exclusion ou le retrait, sans pouvoir aborder les questions de responsabilité et/ou de décomptes liés aux justes motifs et/ou à l’activité dans la société. La valeur des titres à acquérir ne peut être influencée par les justes motifs ayant fondé la demande : les éventuelles fautes commises par les exclus ne pourront donner lieu qu’à une action en indemnisation devant le juge du fond.

- le prix défini par le Président du tribunal de commerce lie les parties au litige. Le demandeur ne dispose pas d’un droit de renoncer à l’acquisition des titres du défendeur parce que la valeur ne correspond pas à ses attentes .

1.6.6. Conséquences de mécanismes conventionnels ou statutaires de règlement des conflits entre actionnaires sur une demande judiciaire en exclusion

Pour rappel, des dispositions conventionnelles ou statutaires ne peuvent pas déroger aux dispositions impératives du Code des sociétés concernant l’exclusion et le retrait, en prévoyant des seuils différents pour l’introduction de l’action, en définissant, restreignant ou élargissant la notion de justes motifs, etc.

Par contre, quel sera le sort de l’action judiciaire en exclusion si des mécanismes conventionnels et statutaires étaient prévus entre les parties ?

L’action en exclusion ne sera pas irrecevable et le juge disposera de son pouvoir d’appréciation. S’il estime que les mécanismes statutaires ou conventionnels pouvaient, compte tenu du litige, solutionner celui-ci adéquatement, il considérera l’absence de juste motif et/ou l’absence de blocage irrémédiable, pour déclarer non fondée la demande.

La doctrine insiste sur le caractère exceptionnel et de dernier recours de l’action en exclusion, en rappelant qu’elle est une mesure grave qui ne peut être utilisée qu’en cas d’inefficacité de tout autre remède, pour éviter la dissolution judiciaire. La procédure revêt de ce fait un caractère subsidiaire .

1.6.7. Le jugement

1.6.7.1. Le jugement condamne le défendeur à la cession des titres à la date de la signification du jugement. Il vaut donc titre de cession et pour la réalisation des formalités de publicité de la cession : pour les titres nominatifs (article 640, alinéa 2 C. Soc pour les SA, ou article 338, alinéa 2 C. Soc pour les SPRL). La société devra donc retranscrire la cession dans le registre des actionnaires (ou des associés). Pour les titres dématérialisés, le jugement vaudra titre pour le virement de compte à compte .

1.6.7.2. Le jugement fixe les modalités de paiement du prix de cession.

Le plus souvent celui-ci sera déterminé par une expertise dont le rapport interviendra des semaines ou des mois après le jugement.

Le jugement peut prévoir de dissocier le transfert de propriété du paiement du prix, pour éviter dans des cas d’urgence, par exemple, que l’exclu ne profite du délai de paiement (s’il est différé) pour porter atteinte aux intérêts de la société (s’il en a le contrôle ou une influence). Le prix sera fixé dés lors par la suite, par expertise. Le Président veillera à assurer au cessionnaire des garanties de paiement, le simple fait de constater l’existence de justes motifs ne justifiant pas un transfert immédiat de la propriété sans accorder au cédant des garanties de paiement .

Les demandeurs cessionnaires sont tenus solidairement au paiement du prix (article 640, alinéa 4 ou article 338 du Code des sociétés). Le Président pourra accorder des termes et délais pour le paiement du prix.

Le Président peut ordonne le paiement d’un prix à titre provisionnel (un incontestablement dû), qui devra être affiné ensuite sur base de l’expertise à réaliser. Ce montant sera soit versé au cédant, soit déposé auprès de la caisse des dépôts et consignations, ou sur un compte commun, en déclarant que ce paiement aura les mêmes conséquences juridiques qu’un paiement à dater du virement ou du crédit du compte .

1.6.7.3. La répartition des titres se fait le cas échéant (si le Président décide de leur application) en tenant compte des clauses de préemption conventionnelles ou statutaires, ou prévues par le jugement, proportionnellement au nombre de titres détenus par les cessionnaires.

1.6.7.2.4. Un extrait de la décision judiciaire passée en force de chose jugée ou exécutoire par provision doit être déposée au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société a son siège social, pour publications aux Annexes du Moniteur belge. Cette publication fait courir le délai de six mois dans lequel une tierce opposition contre la décision sera recevable (art. 1128, al. 3, 8° du Code judiciaire).



Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans




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