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Bien être des travailleurs



Deux lois récentes, des 10 janvier et 6 février 2007, ont sensiblement modifié les dispositions de la loi du 4 août 1996 relative au bien être des travailleurs, et plus précisément les dispositions relatives à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail.


Principes généraux

La loi du 4 août 1996 prévoyait déjà la prise de mesures nécessaires au bien-être des travailleurs, parmi lesquelles des mesures ayant trait « à la charge psycho-sociale occasionnée par le travail ».

La nouvelle loi précise expressément que la notion de « charge psycho-sociale » englobe la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail.

De manière générale, il incombe à l’employeur de prendre des mesures ayant pour objet de prévenir toutes situations au travail qui créent une charge psychosociale, telles que le stress, le harcèlement moral ou sexuel.

Par ailleurs, les mécanismes de contrôle, et notamment le rôle du conseiller en prévention, sont redéfinis.

Les mesures de protection des travailleurs victimes de comportement visés par la loi sont quant à elle renforcées.

L’obligation pour l’employeur de prendre des mesures préventives avant même qu’un incident ne survienne, implique entre autres une phase préalable d’analyse de risques.

Les définitions des notions de violence, harcèlement moral et sexuel ont été quelques peu modifiées.

Violence au travail : chaque situation de fait où un travailleur ou une autre personne à laquelle le présent chapitre est d'application, est menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors de l'exécution du travail »;

Harcèlement moral au travail : plusieurs conduites abusives similaires ou différentes, externes ou internes à l'entreprise ou l'institution, qui se produisent pendant un certain temps, qui ont pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l'intégrité physique ou psychique d'un travailleur ou d'une autre personne à laquelle le présent chapitre est d'application, lors de l'exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant et qui se manifestent notamment par des paroles, des intimidations, des actes, des gestes ou des écrits unilatéraux. Ces conduites peuvent notamment être liées à la religion ou aux convictions, au handicap, à l'âge, à l'orientation sexuelle, au sexe, à la race ou l'origine ethnique.

Harcèlement sexuel au travail : tout comportement non désiré verbal, non verbal ou corporel à connotation sexuelle, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Remarque : l’ancien texte visait tout comportement à connotation sexuelle dont celui qui s’en rend coupable savait ou devait savoir qu’il affecte la dignité de femmes ou d’hommes sur le lieu de travail. Le nouveau texte vise tout comportement non désiré, ayant pour effet de porter atteinte à la dignité de femmes ou d’hommes : peu importe donc la conscience (ou l’absence de conscience ) de l’auteur de l’atteinte à la dignité causée par son comportement. Un bémol est cependant logiquement intégré : encore faut-il que le comportement ne soit pas désiré.



VIOLENCE - HARCELEMENT MORAL OU SEXUEL AU TRAVAIL


Ce chapitre développe les modifications apportées au chapitre Vbis de la loi du 4 août 1996 et le contenu de la section IV du nouvel arrêté royal.


Statut de la personne de confiance

(art. 32 sexies, § 2 et art. 16 de l'arrêté royal)

La présence d'une personne de confiance reste facultative. Sa procédure de désignation reste identique mais son écartement doit désormais suivre la même procédure que celle prévue pour sa désignation.

Elle devra obligatoirement faire partie du personnel de l'entreprise si le conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psychosociaux du travail fait partie d'un service externe de prévention et de protection au travail dès lors que l'entreprise occupe plus de 20 travailleurs.

La personne de confiance ne peut pas exercer en même temps la fonction de conseiller en prévention-médecin du travail.

La personne de confiance ne peut pas subir de préjudices en raison de ses activités de personne de confiance. On ne peut exercer de pressions sur elle. Elle est tenue au secret professionnel.

Dans le cadre de sa fonction de personne de confiance, elle fait partie fonctionnellement du SIPPT. Cela signifie que lorsqu'elle exerce cette fonction elle ne se trouve plus sous l'autorité des membres de la ligne hiérarchique de son travail quotidien.

L'employeur doit veiller à ce qu'elle dispose du temps nécessaire pour exercer sa fonction et d'un local adéquat.

La personne de confiance a des objectifs à atteindre en terme de connaissances et de compétences, qui sont définis dans l'annexe de l'arrêté royal. En fonction de ses acquis elle doit suivre les formations qui lui sont nécessaires pour atteindre ces objectifs. L'employeur doit lui donner la possibilités de les suivre et prend les frais à sa charge.


Accès à la fonction de conseiller en prévention spécialisé

Les conditions d'accès à la fonction de conseiller en prévention spécialisé dans les aspects psychosociaux du travail sont désormais identiques pour les conseillers en prévention spécialisés des services internes (désignés après l'entrée en vigueur de l'arrêté royal) et les conseillers en prévention des services externes.


Rôle de l'inspection Contrôle du Bien-être au travail

(art. 11nonies - article 3, 10° de la loi du 16 novembre 1972 concernant l'inspection du travail)

Les inspecteurs examinent si l'employeur respecte la législation. Si un conseiller en prévention spécialisé a été désigné, c'est lui qui fera l'examen de la plainte motivée. S'il n'y a pas de conseiller en prévention compétent, l'inspection peut choisir de mettre en demeure l'employeur d'en désigner un dans le délai qu'elle détermine ou d'examiner la situation individuelle et de proposer des mesures individuelles ou organisationnelles.

L'inspection aura un rôle de conciliation lorsque l'accord au sein du CPPT n'est pas obtenu sur le déroulement et les modalités de la procédure interne ou lorsque l'accord des membres représentant les travailleurs n'est pas obtenu sur la désignation du conseiller en prévention spécialisé faisant partie du service interne (dans le passé cette procédure existait uniquement pour la désignation de la personne de confiance).


Protection du travailleur contre les représailles

(art. 32 tredecies)

L'employeur ne peut pas licencier le travailleur ou modifier unilatéralement un des éléments du contrat de travail en représailles du dépôt d'une plainte motivée au sein de l'entreprise, d'une plainte à l'inspection, d'une action en justice ou d'un témoignage. La modification unilatérale des autres conditions de travail du travailleur qui a entrepris ces démarches ne sont admissibles que si l'employeur peut les justifier.

Désormais est également protégé le travailleur qui dépose une plainte à la police, auprès du Ministère public (auditorat, procureur du Roi) et en mains du juge d'instruction pour les faits dont il estime être l'objet dans son entreprise. Les témoins judiciaires et les témoins directs de la procédure interne sont également protégés.

La demande de réintégration après licenciement ou modification unilatérale des conditions de travail n'est plus obligatoire.

La loi spécifie qui doit prévenir l'employeur de la protection et à partir de quel moment elle prend cours. Le montant de l'indemnité est inchangé.


Protection des travailleurs vis-à-vis des tiers

Plusieurs dispositions mettent l'accent sur les situations qui impliquent des tiers c'est-à-dire des personnes qui entrent en contact avec les travailleurs lors de l'exécution de leur travail:

- dans sa politique de prévention, l'employeur doit porter une attention particulière à la situation des travailleurs qui entrent en contact avec des tiers (art. 32 quater, § 1er, al. 3, 3° et art. 4 de l'arrêté royal);

- le registre des faits des tiers est un document de prévention (et non une demande d'intervention pour un cas individuel) qui va aider l'employeur à prendre les mesures de prévention les plus adéquates dans son entreprise pour les faits de violence ou de harcèlement moral ou sexuel d'origine externe (art. 12 de l'arrêté royal);

- le travailleur d'une entreprise extérieure qui estime être l'objet de violence ou de harcèlement de la part d'un travailleur de l'employeur dans l'établissement duquel il exécute de façon permanente des activités peut faire appel à la procédure interne de cet employeur (art. 32 bis,al. 3 de la loi et art. 31 de l'arrêté royal);

- l'employeur doit supporter la charge financière du soutien psychologique des travailleurs qui ont été victimes de violence de la part de tiers sans préjudice de l'application d'autres dispositions légales (article 32 quinquies de la loi).


Procédures judiciaires

(art. 32 decies de la loi)

Si le travailleur envisage d'agir en justice, il peut demander à l'employeur copie du rapport du conseiller en prévention (à l'exception des propositions de mesures de prévention générales). Ainsi, il pourra analyser l'opportunité d'une telle action.

Le centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme ainsi que l'institut pour l'égalité des femmes et des hommes peuvent agir en justice lorsque le harcèlement au travail est lié à un critère de discrimination comme l'origine ethnique, le sexe, le handicap…

L'action en cessation, par laquelle on demande au juge d'ordonner à l'auteur de cesser les actes, se fera selon la procédure comme en référé c'est-à-dire plus rapidement que la procédure judiciaire normale.

L'action par laquelle le travailleur demande au juge d'ordonner à l'employeur de prendre des mesures provisoires se fera également selon cette procédure plus rapide.

Si le travailleur s'est rendu directement devant le juge sans passer par la procédure interne à l'entreprise, le juge peut ordonner au travailleur d'appliquer d'abord cette procédure interne (en déposant une plainte motivée en mains du conseiller en prévention de l'entreprise). La procédure judiciaire est suspendue jusque la fin de la procédure interne.


Procédure interne

Les changements les plus importants apportés à ce niveau sont les suivants:


1. Plus grande égalité entre les parties

o On ne stigmatise plus les personnes en tant qu' "auteur" ou "victime". Ces termes sont remplacés par les termes suivants: "personne mise en cause", "personne qui déclare être l'objet de", "personne qui s'estime victime de" et "plaignant".

o L'accent est mis sur la nécessité d'obtenir l' accord de la personne mise en cause pour engager le processus de conciliation.

o La personne mise en cause doit se voir communiquer les faits qui lui sont reprochés dans les plus brefs délais.

o La personne mise en cause reçoit également copie de ses déclarations.

o L'employeur ne reçoit plus copie de la plainte motivée car elle ne contient que le point de vue du plaignant. Seul le rapport du conseiller en prévention qui contient un compte rendu des faits et une analyse lui sera remis. Par contre il sera toujours averti de l'identité du plaignant et de sa protection contre le licenciement.


2. Précision du contenu du rapport du conseiller en prévention

Le contenu du rapport du conseiller en prévention est désormais détaillé. Il est demandé au conseiller en prévention d'établir un compte rendu des faits et d'en analyser les causes.

Dans la mesure où il dispose des éléments nécessaires, il doit émettre un avis sur la nature des faits (harcèlement, violence, autres comportements qui créent une charge psychosociale) et proposer des mesures de prévention tant pour mettre fin au faits que pour éviter qu'ils se reproduisent par la suite entre les parties ou plus généralement dans l'entreprise.


3. Eviter l'abus de la procédure de plainte

Cet objectif est atteint d'une part en obligeant un entretien personnel préalable avec la personne de confiance ou le conseiller en prévention avant d'introduire une plainte motivée et d'autre part en définissant le contenu de la plainte motivée (description
des faits, constitutifs selon le plaignant, d'un comportement abusif, du moment et de l'endroit où ces faits ont eu lieu, identité de la personne mise en cause, demande explicite à l'employeur de prendre des mesures pour mettre fin aux faits (art. 27 de l'arrêté royal).


4. Fixation de délais

La législation fixe désormais des délais au cours de différentes étapes de la procédure interne: l'idée est de voir prendre en considération rapidement ces situations dans lesquelles il y a souvent souffrance:

o Le travailleur doit être entendu et recevoir une première information par la personne de confiance ou le conseiller en prévention dans un délai maximum de 8 jours après le premier contact.

o L'entretien personnel obligatoire avant le dépôt d'une plainte motivée doit avoir lieu dans un délai de 8 jours à partir du moment où le travailleur a exprimé sa volonté de déposer une plainte motivée.

o Le conseiller en prévention doit remettre l'avis à l'employeur dans un délai maximum de 3 mois à partir du dépôt de la plainte motivée. Il peut prolonger ce délai maximum 4 fois mais chaque fois en justifiant cette prolongation à l'employeur et au plaignant.


5. Information et accès aux documents

La législation précise les documents et informations qui peuvent être transmises par le conseiller en prévention et la personne de confiance lors de la phase informelle et lors de la phase formelle.

Elle précise les circonstances dans lesquelles l'employeur peut transmettre aux parties certaines parties du rapport du conseiller en prévention rédigé à la suite du dépôt de la plainte motivée (voir point 6).


6. Communication des suites données à la plainte

Il appartient à l'employeur d'informer le plaignant et la personne mise en cause des mesures qu'il envisage de prendre.

Si ces mesures modifient les conditions de travail, le travailleur visé aura accès au rapport du conseiller en prévention (à l'exception des mesures de prévention générales) pour pouvoir faire valoir ses droits.





Pierre Beyens
Avocat au barreau de Bruxelles - van Cutsem Wittamer Marnef & Partners




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