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La CJUE étend la portée du droit de rétractation

Par Etienne Wery

Mercredi 24.04.19

Le droit de rétractation s’applique à un matelas dont le film de protection a été retiré après la livraison. Comme pour un vêtement, il peut être présumé que le professionnel est en mesure de rendre le matelas, au moyen d’un nettoyage ou d’une désinfection, propre à une nouvelle commercialisation, sans porter préjudice aux impératifs de protection de la santé ou d’hygiène.


Le droit de rétractation

Le droit de rétractation est prévu à l’article 9 de la directive 2011/83 : le consommateur dispose d’un délai de 14 pour se rétracter d’un contrat à distance ou d’un contrat hors établissement sans avoir à motiver sa décision et en principe sans coût (seuls les coûts prévus à l’article 13, paragraphe 2, et à l’article 14 de la directive sont tolérés).

Ce droit est malheureusement trop souvent confondu avec le droit de résiliation/résolution, alors que les deux n’ont rien à voir :

- La résiliation/résolution est liée à la question de savoir si le vendeur a correctement ou non exécuté son contrat : l’objet est rouge alors que celui commandé est bleu. Il faut donc impérativement établir l’inexécution d’une obligation contractuelle.

- Le droit de rétractation ne doit pas être justifié : il suffit de « ne plus avoir envie » et d’être encore dans les délais.


Pourquoi avoir créé un droit de rétractation?

Ce droit particulier a été conçu comme une compensation pour combler le désavantage lié à la distance : quand le consommateur est en magasin, il voit, touche, sent, palpe, essaie, … tandis qu’à distance il prend sa décision sur la base d’informations lues sur le site et de photos. Pas exactement la même “expérience client”. C’est pour combler ce déficit que le consommateur reçoit le droit de se rétracter, sans motif, juste parce qu’il n’en a plus envie.

Cela ressort notamment du considérant 37 de la directive 20118 : « Étant donné qu’en cas de vente à distance le consommateur n’est pas en mesure de voir le bien qu’il achète avant de conclure le contrat, il devrait disposer d’un droit de rétractation. Pour la même raison, le consommateur devrait être autorisé à essayer et inspecter le bien qu’il a acheté, dans la mesure nécessaire pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement du bien. […] »

Pour autant, le droit de rétractation n’est pas un cadeau. C’est plus un calcul : s’il n’y avait pas eu ce droit, le commerce électronique n’aurait jamais eu la croissance qu’on lui connait. Le principe du droit de rétractation a donc été relativement vite accepté par professionnels qui y ont vu un risque acceptable par rapport aux avantages procurés en termes de confiance. Certaines sociétés ont même bâti leur succès sur le droit de rétractation : Zalando (qui a lui-même copié d’autres) en est l’exemple parfait.


Un droit qui n’est pas absolu

Ce droit n’est pas absolu. La directive prévoit une douzaine d’hypothèses dans lesquelles ce droit n’existe pas, soit parce que les parties le veulent, soit parce que la nature du produit ou du service ne s’y prête pas (il serait étonnant de pouvoir commander un journal en ligne, le lire, puis exercer son droit de rétractation).

L’article 16 stipule donc que les États membres ne prévoient pas le droit de rétractation pour ce qui est des contrats à distance et des contrats hors établissement en ce qui concerne ce qui suit:

« a) les contrats de service après que le service a été pleinement exécuté si l’exécution a commencé avec l’accord préalable exprès du consommateur, lequel a également reconnu qu’il perdra son droit de rétractation une fois que le contrat aura été pleinement exécuté par le professionnel;

b) la fourniture de biens ou de services dont le prix dépend de fluctuations sur le marché financier échappant au contrôle du professionnel et susceptibles de se produire pendant le délai de rétractation;

c) la fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés;

d) la fourniture de biens susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement;

e) la fourniture de biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison;

f) la fourniture de biens qui, après avoir été livrés, et de par leur nature, sont mélangés de manière indissociable avec d’autres articles;

g) la fourniture de boissons alcoolisées dont le prix a été convenu au moment de la conclusion du contrat de vente, dont la livraison ne peut être effectuée qu’après trente jours et dont la valeur réelle dépend de fluctuations sur le marché échappant au contrôle du professionnel;

h) les contrats dans lesquels le consommateur a expressément demandé au professionnel de lui rendre visite afin d’effectuer des travaux urgents d’entretien ou de réparation. Si, à l’occasion de cette visite, le professionnel fournit des services venant s’ajouter à ceux spécifiquement requis par le consommateur ou des biens autres que les pièces de rechange indispensables aux travaux d’entretien ou de réparation, le droit de rétractation s’applique à ces services ou biens supplémentaires;

i) la fourniture d’enregistrements audio ou vidéo scellés ou de logiciels informatiques scellés et qui ont été descellés après livraison;

j) la fourniture d’un journal, d’un périodique ou d’un magazine sauf pour les contrats d’abonnement à ces publications;

k) les contrats conclus lors d’une enchère publique;

l) la prestation de services d’hébergement autres qu’à des fins résidentielles, de transport de biens, de location de voitures, de restauration ou de services liés à des activités de loisirs si le contrat prévoit une date ou une période d’exécution spécifique;

m) la fourniture d’un contenu numérique non fourni sur un support matériel si l’exécution a commencé avec l’accord préalable exprès du consommateur, lequel a également reconnu qu’il perdra ainsi son droit de rétractation. »



La problématique spécifique du bien descellé

Le considérant 47 expose que « certains consommateurs exercent leur droit de rétractation après avoir utilisé les biens dans une mesure qui excède ce qui nécessaire pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement du bien. Dans ce cas, le consommateur ne devrait pas perdre son droit de rétractation, mais devrait répondre de toute dépréciation des biens. Pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement des biens, le consommateur devrait uniquement les manipuler et les inspecter d’une manière qui lui serait également permise en magasin. Par exemple, il devrait seulement essayer un vêtement et non pas le porter. Par conséquent, le consommateur devrait manipuler et inspecter les biens avec toute la précaution nécessaire au cours de la période de rétractation. Les obligations du consommateur en cas de rétractation ne devraient pas le dissuader d’exercer son droit de rétractation ».

Le considérant 49 poursuit dans le même sens : « Des exceptions au droit de rétractation devraient exister, tant pour les contrats à distance que pour les contrats hors établissement. Il se pourrait que ce droit de rétractation n’ait pas lieu d’être, par exemple compte tenu de la nature des biens ou des services particuliers. […] »

C’est dans ce cadre que l’article 16, e) reproduit ci-dessus exclut le droit de rétractation pour ce qui concerne « la fourniture de biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison ».

Le cas typique est le vêtement : celui qui reçoit une chemise ou un sous-vêtement peut-il le déballer, l’essayer et ensuite le renvoyer ?


Les faits soumis à la Cour

M. Sascha Ledowski a acheté un matelas sur le site Internet de l’entreprise allemande de vente en ligne slewo. À la réception du bien, il a retiré le film de protection qui recouvrait le matelas. Il a ensuite renvoyé le matelas à slewo en demandant le remboursement du prix d’achat d’environ 1.000 euros et des frais de renvoi.

Slewo est d’avis que M. Ledowski ne pouvait pas exercer le droit de rétractation dont dispose le consommateur normalement en cas d’achat en ligne pendant quatorze jours. En effet, selon elle, la directive relative aux droits des consommateurs exclut le droit de rétractation en ce qui concerne les « biens scellés ne pouvant être renvoyés pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène et qui ont été descellés par le consommateur après la livraison ».

Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), saisi du litige, demande à la Cour de justice d’interpréter la directive sur ce point.


L’arrêt de la Cour

La Cour de justice répond que le retrait du film de protection, par le consommateur, d’un matelas acheté sur Internet n’empêche pas celui-ci d’exercer son droit de rétractation.

La Cour rappelle que le droit de rétractation vise à protéger le consommateur dans la situation particulière d’une vente à distance, dans laquelle il n’a pas la possibilité de voir le produit avant la conclusion du contrat. Ce droit est donc censé compenser le désavantage résultant pour le consommateur d’un contrat à distance, en lui accordant un délai de réflexion approprié pendant lequel il a la possibilité d’examiner et d’essayer le bien acquis dans la mesure nécessaire pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement de celui-ci.

En ce qui concerne l’exclusion en cause, c’est la nature d’un bien qui est susceptible de justifier le scellement de son emballage pour des raisons de protection de la santé ou d’hygiène. Le descellement de l’emballage d’un tel bien fait donc disparaître la garantie en termes de protection de la santé ou d’hygiène. Une fois l’emballage descellé par le consommateur et n’offrant plus de garantie en termes de protection de la santé ou d’hygiène, un tel bien risque de ne plus être utilisé par un tiers et, de ce fait, de ne plus pouvoir être commercialisé.

Selon la Cour, un matelas, tel que celui en cause, dont la protection a été retirée par le consommateur après la livraison ne relève pas de l’exception au droit de rétractation en cause.

En effet, d’une part, un tel matelas, bien qu’ayant été potentiellement utilisé, n’apparaît pas, de ce seul fait, définitivement impropre à une nouvelle utilisation par un tiers ou d’une nouvelle commercialisation. Il suffit, à cet égard, de rappeler notamment qu’un seul et même matelas sert aux clients successifs d’un hôtel, qu’il existe un marché de matelas d’occasion et que des matelas qui ont été utilisés peuvent faire l’objet d’un nettoyage en profondeur.

D’autre part, au regard du droit de rétractation, un matelas peut être assimilé à un vêtement, catégorie pour laquelle la directive prévoit expressément la possibilité de renvoi après essai. Une telle assimilation est envisageable dans la mesure où, même en cas de contact direct de ces biens avec le corps humain, il peut être présumé que le professionnel est en mesure de rendre ceux-ci, après qu’ils ont été renvoyés par le consommateur, au moyen d’un traitement tel qu’un nettoyage ou une désinfection, propres à une nouvelle utilisation par un tiers et, partant, à une nouvelle commercialisation, sans porter préjudice aux impératifs de protection de la santé ou d’hygiène.

La Cour souligne toutefois que, selon la directive, le consommateur répond de toute dépréciation d’un bien résultant de manipulations autres que celles nécessaires pour établir la nature, les caractéristiques et le bon fonctionnement de celui-ci, sans qu’il soit pour autant déchu de son droit de rétractation.


Plus d’infos ?

Les conclusions de l’avocat général sont téléchargeables sur le site droit-technologie.org

L’arrêt est aussi téléchargeable sur le site droit-technologie.org.





Etienne Wery
Avocat aux barreaux de Bruxelles et Paris (cabinet Ulys)







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