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L'enjeu européen de la « Green Finance »

Par Iris Taleb

Jeudi 28.02.19

Une dizaine d’années après la première émission de « Green Bonds » par la banque européenne d’investissements et après l’explosion, en 2017, de l’émission de Green Bonds pour un montant record de 100 milliards d’euros, un nouvel élan pour les investissements écologiques voit le jour, sous les auspices de l’accord de Paris.

Bien que la Chine soit en tête du palmarès des émetteurs d’obligations écologiques (on se rappellera l’émission obligataire de la Bank of China en 3 devises - euros, dollars et yuan - pour l’équivalent de 1,2 milliards d’euros en 2017 ou encore, aux Etats-Unis cette fois, l’émission d’un green bond Apple de 1.5 Milliard de dollars en 2017 à titre de mesure de rétorsion suite à l’annonce par le président Trump de son retrait de l’accord de Paris ) ; c’est aujourd’hui le tour de l’Union Européenne, qui se veut leader en la matière, de rattraper un tant soit peu son retard sur l’économie verte mondiale.

Les accords de Paris ont témoigné de la volonté du vieux continent de s’engager avec détermination dans la diminution de 40% de ses émissions de CO2 à 2030 et 80% à 2050 par rapport aux niveaux des années 90.

Mais cette ambition aura nécessairement un coût, d’ores et déjà estimé à 180 Milliards d’euros de déficit annuel, qui ne pourra se passer sans un stimulus d’injection de l’épargne privée (et non plus seulement étatique ou semi-étatique) dans les produits financiers (OG, 10 Décembre 2018, – Etats Généraux de l’ANC – Table Ronde –« L’intérêt Public Européen »).

Par ailleurs, afin d’arrondir la notion d’intérêt public Européen, la Commission européenne s’engage dans la difficulté majeure qui sera de déterminer ce qui est réellement « durable » ou ne l’est pas, se projetant ainsi au centre d’une labellisation de la « green finance » à portée européenne, si ce n’est, dans le futur, mondiale.

Partant, en mars 2018, la Commission européenne a annoncé son projet de finance durable, prévoyant la mise en place de 10 actions positives en vue d’orienter les investissements vers un marché favorisant l’écologie et la durabilité (indicateurs sociaux et de gouvernance).

En mai 2018, la Commission a dès lors adopté trois initiatives législatives en vue de la mise en œuvre des mesures clefs de son plan d’action :


1) L’adoption d’une taxonomie visant à établir un référentiel commun des activités économiques qui concourent à l’atteinte des objectifs climatiques européens :


Sans doute le point le plus ardu et l’enjeu le plus ambitieux est celui de définir ce qu’est un investissement « durable ».

Et c’est en effet, ce que se propose de faire la Commission Européenne.

Pour cela, elle a mis sur place un panel d’expert, chargé de livrer pour le premier trimestre 2019 un rapport proposant une première taxonomie ciblant les investissements dans les activités d’atténuation des changements climatiques et dans un deuxième temps, pour le deuxième trimestre 2019, une taxonomie axée sur les activités d’adaptation aux changements climatiques.

Le but est de mettre en place une grille d’évaluation soutenable et adaptable mais aussi intelligible afin :

1-D’une part, de créer un socle de définitions juridiques sur base desquelles l’on pourra tirer ou non des conséquences liées à l’affiliation d’un titre financier émis à la taxonomie. Ce rattachement des titres à la taxonomie européenne sera créateur de droits et potentiellement d’obligations. On attirera l’attention sur l’idée extrêmement audacieuse de la Commission européenne, qui est de pouvoir offrir aux institutions financières la possibilité d’abaisser leurs seuils de fonds propres (cf. exigences prudentielles du marché bancaire européen), si elles démontrent avoir investi - dans une certaine mesure non encore définie - en fonction de la taxonomie à venir.

Il s’agirait donc d’un enjeu colossal en termes juridiques mais aussi et surtout d’un point de vue de politique financière européenne, qu’il faudra suivre tout au long de son processus d’émergence.

2- Par ailleurs il s’agira de permettre aux intermédiaires financiers, les clients de détail et les professionnels de comprendre les enjeux des investissements qui les intéressent et leur rendement sur le plan écologique, social et de gouvernance quoique parfois moindres (par rapports à des investissements « classiques »), sur le plan du rendement économique.


2) Le renforcement des obligations de publication applicables aux investisseurs institutionnels et aux gestionnaires d’actifs afin d’améliorer l’information fournie aux épargnants :


En se basant entre autres sur une possible refonte des normes comptables IFRS 9 se révélant un frein possible à l’initiative européenne, la Commission va inciter à une comptabilité ajustée aux exigences de la durabilité.

Un levier est donc mis en place, afin d’avoir une visibilité plus accrue des retombées sociales, économiques et de gouvernance (ESG) mais aussi écologiques, des stratégies d’entreprises.

En plus d’encourager la publication spontanée et volontaire d’informations qualitatives sur les objectifs durables par les entreprises, le projet européen entrevoit le bilan comptable des sociétés comme un indicateur public du positionnement des entreprises en matière de développement durable.

Il va de soi que la réussite de ce dessein dépendra en grande partie de la performance des entreprises européennes à fournir des informations non-financières de grande qualité.

Un corollaire indubitable de cette plus grande efficience à la divulgation d’informations est la mise en place effective de projets écologiques et sociaux sur le long terme ; le but étant d’inciter à adopter un mindset financier nouveau, en encourageant des actions basées sur une vision « long-termiste », contrairement à la prévalence économique et financière actuelle rivée vers un rendement maximal en termes très courts.

Sans en mentionner la contre productivité extrinsèque, cette dernière politique d’investissement arrivera – selon la communauté scientifique – au bout du souffle de nos ressources naturelles et humaines.


3) La définition d’indicateurs visant à attester du niveau des émissions de carbone des entreprises afin de mieux orienter les flux de capitaux vers les entreprises faiblement émettrices de dioxyde de carbone :


Pour ce faire la Commission européenne proposera des normes et labels afin de juger de la qualité des produits financiers offerts aux investisseurs.

Restant en dessous du seuil des 1% des investissements, les green bonds labellisés comme tels pourraient être offerts à la connaissance des investisseurs de détail qui souhaiteraientccréer un portefeuille vert ou pourquoi pas, adopter un profil d’investissement « éco-conscient ».

Face aux limites des indicateurs traditionnels et des peu fiables indicateurs ajustés par les fournisseurs d’indices non transparents, l’Union européenne se proposera de créer des indices de durabilité de qualité afin notamment d’éviter le risque d’écoblanchiment.

Inciter à investir durablement :

Il n’est pas donné d’avance de voir se propager chez les investisseurs de détail une volonté d’investir dans des produits verts.

Les principaux facteurs de l’inaction déplorée étant certainement l’ignorance et la rareté de tels produits à ce jour ; et subsidiairement la forte probabilité d’un rendement moins accru.

Bien que la diversification d’un portefeuille puisse emporter l’achat de produits plus lents mais plus porteurs de sens à grande échelle, chacun garde sa propre sensibilité sur ce point.

Il existe néanmoins plusieurs pistes et axes d’action dans la propagation des investissements durables :

On mentionnera la plateforme d’investissement européenne EFSI 2.0 ayant pour objectif en 2019, la levée de 500 milliards d’euros d’investissements durables pour l’année à venir. Vu son succès, cette plateforme pourra s’avérer un intermédiaire privilégié et institutionnel entre l’épargne et l’investissement durable à grande échelle, si tant est que son action soit mieux connue et diffusée à l’avenir.

Autrement, de manière peut-être plus efficace dans un premier temps, au regard de l’obligation d’information à charge des intermédiaires financiers et d’assurances portés par les directives MIFID II et DDA ; le questionnaire de profil des investisseurs sera soumis à l’exigence pour les intermédiaires financiers, d’informer d’une part sur l’existence de produits financiers durables et rechercher si le client de détail souhaite intégrer dans la composition de son portefeuille et dans l’élaboration de son profil d’investisseur un éléments de durabilité tant sur le plan écologique que social dans ses investissements potentiels.

Cette porte d’accès semble encore la plus pertinente à un stade assez embryonnaire du projet des green finances.

Du reste, pourquoi ne pas intégrer cette même approche dans l’obligation d’information qu’ont la plupart des acteurs en conseil financiers et juridiques ?

Il apparaît qu’une sensibilisation à des questions de responsabilité ESG à des niveaux plus concrets que par le simple remplissage d’un formulaire ou lecture d’une brochure, pourrait être le chaînon manquant à l’explosion d’un marché financier durable.




Iris Taleb
Avocat – Lawyer
Altalaw






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