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Le décret wallon du 22 novembre 2018 relatif à la procédure d’expropriation

Par Thomas Hazard & Dominique Vermer

Vendredi 04.01.19

Depuis l’entrée en vigueur de la sixième réforme de l’Etat, il revient aux Régions de fixer la procédure judiciaire applicable en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique d’un bien situé sur leur territoire respectif.

C’est déjà chose faite en Flandre avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, du décret sur l’expropriation et son arrêté d’exécution.

Le 18 décembre dernier, la Région wallonne lui a emboité le pas en publiant au Moniteur Belge le décret du 22 novembre 2018 relatif à la procédure d’expropriation (cf. Note 1). Ce décret entrera en vigueur à une date à fixer par arrêté du Gouvernement wallon (cf. Note 2) et est appelé à régir l’expropriation pour cause d’utilité publique des biens situés en Région wallonne.

Soulignons toutefois d’emblée que, conformément à l’article 6quater de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique restera d’application dans l’hypothèse où l’expropriant est l’autorité fédérale ou une personne morale habilitée par ou en vertu de la loi fédérale à recourir à des expropriations (cf. Note 3).

Unification des phases administratives et judiciaire. La phase administrative de la procédure d’expropriation (aboutissant à l’adoption d’un arrêté d’expropriation) et la phase judiciaire (qui entraîne l’expropriation proprement dite ainsi que la fixation de l’indemnité), qui sont actuellement régies par trois lois distinctes (la loi ordinaire relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique du 17 avril 1835, la loi instituant une procédure d'urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique du 10 mai 1926 et la loi relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique du 26 juillet 1962) sont intégrées dans le décret. L’organisation des deux phases dans un seul instrument normatif doit, selon le législateur, participer à instaurer une procédure d’expropriation efficiente et adaptée aux besoins actuels.

Tentative de conciliation obligatoire. Le lien entre les phases administrative et judiciaire est par ailleurs assuré par une tentative de conciliation amiable obligatoire entre l’expropriant et l’(les)exproprié(s) (cf. Note 4). Cette étape intermédiaire peut déboucher soit sur un accord total sur les modalités de l’expropriation qui rend inutile l’introduction d’une procédure judiciaire par l’expropriant, soit sur la conclusion d’une convention de prise de possession anticipée du bien à exproprier par l’expropriant (cf. Note 5).

Principales nouveautés du décret - généralités. Outre cette unification dans un seul texte des phases administrative et judiciaire, le décret du 22 novembre 2018 consacre un certain nombre de nouveautés.

De manière générale on retiendra en particulier que le décret étend le type de droits pouvant faire l’objet d’une expropriation (cf. Note 6), consacre la possibilité de n’exproprier qu’un volume en sous-sol (cf. Note 7) et permet l’octroi, par l’arrêté d’expropriation, d’un droit d’occupation temporaire du bien à exproprier aux expropriants (cf. Note 8).

Il est également désormais expressément prévu que la procédure judiciaire peut être initiée même si l’expropriant ne dispose pas de toutes les autorisations administratives requises pour la réalisation du but d’utilité publique (par exemple le permis d’urbanisme nécessaire à la réalisation du projet) (cf. Note 9).

Principales nouveautés du décret - phase administrative. Pour ce qui concerne la phase administrative, les nouveautés les plus notables sont :

- l’attribution d’une compétence aux conseils communaux pour la délivrance de certains arrêtés d’expropriation (cf. Note 10) . Des tempéraments sont toutefois prévus afin d’assurer la primauté de l’intérêt régional sur l’intérêt communal (cf. Note 11) ;

- la mise en place de délais de rigueur dans le cadre de la procédure d’adoption de l’arrêté d’expropriation (cf. Note 12) . Ces délais commencent à courir à dater de l’accusé de réception de dépôt du dossier d’expropriation complet délivré par l’administration (cf. Note 13);

- la suppression de l’enquête publique et la mise en œuvre d’un système d’information des tiers reposant sur les titulaires de droits identifiés dans le dossier d’expropriation (cf. Note 14) ;

- la mise en œuvre d’un régime clair de péremption de l’arrêté d’expropriation (cf. Note 15).

Principales nouveautés du décret - phase judiciaire. La phase judiciaire est également profondément remodelée.

La principale modification tient sans doute dans la suppression de toute référence à la condition de l’extrême urgence, qui doit actuellement être remplie pour bénéficier du régime procédural de la loi du 26 juillet 1962 précitée, devenu au fil du temps la procédure ordinaire. Cette situation anormale était source d’insécurité juridique et d’innombrables litiges. Le décret prévoit désormais une procédure judiciaire unique quel que soit le degré d’urgence. Les délais de procédure peuvent toutefois être raccourcis si les délais de traitement ordinaire du dossier d’expropriation sont incompatibles avec les nécessités de l’utilité publique (cf. Note 16).

Par ailleurs, la procédure relève désormais de la compétence des tribunaux de première instance et non plus de celle des juges de paix (cf. Note 17).

Enfin, le système mis en place dissocie le traitement du débat relatif à la contestation éventuelle de la légalité de l’expropriation de celui relatif au montant de l’indemnité d’expropriation qui ne pourra avoir lieu qu’après que la question de la légalité de l’expropriation ait été définitivement tranchée. Il s’agit d’une des principales avancées du décret par rapport à la procédure applicable précédemment.

L’article 33 du décret prévoit désormais qu’à peine de forclusion, tant la partie citée que les parties intervenantes sont tenues de faire état de leur intention de contester la légalité de la procédure d’expropriation lors de la comparution sur les lieux.

Si aucune partie ne manifeste son intention de contester la légalité de l’expropriation, l’article 35 du décret s’applique et le tribunal de première instance statue sur la requête en expropriation dans les 8 jours (cf. Note 18) qui suivent la comparution. S’il fait droit à la requête de l’expropriant (cf. Note 19) , le tribunal fixe le montant de l’indemnité provisionnelle qui ne peut être inférieur à 90% du montant proposé par l’expropriant dans son offre d’acquisition amiable.

Par contre, lorsqu’au moins une des parties manifeste son intention de contester la légalité de l’expropriation, ce sont les articles 36 à 42 du décret qui trouveront à s’appliquer. L’affaire sera alors mise en état afin que soit définitivement tranchée la question de la légalité de l’expropriation entre parties et ce préalablement à la poursuite de la procédure en évaluation. Le débat sur le montant de l’indemnité est quant à lui remis à plus tard.

Dans le cadre de la procédure relative à la légalité de l’expropriation, toutes les parties disposent désormais d’un droit d’appel (cf. Note 20) alors que la loi actuelle du 26 juillet 1962 limite ce doit à l’expropriant débouté. Ce dernier demeure toutefois le seul recevable à se pourvoir en cassation (cf. Note 21).

Une fois la légalité de la procédure définitivement reconnue, l’expropriant peut prendre possession du bien sans autre formalité que la signification du jugement ou arrêt provisionnel, du certificat de dépôt de l’indemnité provisionnel et de l’état des lieux descriptif établi par un expert ou par ses soins (cf. Note 22). Le mécanisme de l’envoi en possession est supprimé par le décret (cf. Note 23).

Dans le même temps, la phase d’évaluation de l’indemnité peut se poursuivre (cf. Note 24).

Les principes d’indemnisation demeurent inchangés (cf. Note 25). Le décret impose cependant désormais la méthode des points de comparaison comme mode de calcul de la valeur vénale du bien à exproprier chaque fois que cela est possible (cf. Note 26).

Le droit de rétrocession voit également son champ d’application précisé et encadré par un double délai ayant trait à la naissance du droit et au délai dans lequel il doit être mis en œuvre (cf. Note 27). Les droits expropriés autres qu’un droit de propriété plein et entier ne sont pas susceptibles d’être rétrocédés (cf. Note 28).

On retiendra également que le décret qualifie expressément l’action en expropriation d’affaire évaluable en argent. L’indemnité de procédure sera par conséquent à présent aisément déterminable (cf. Note 29).

Un arrêté d’exécution à venir. Un certain nombre de dispositions d’exécution du décret doivent encore être adoptées par le Gouvernement wallon (cf. Note 30).

Le Gouvernement est également chargé de déterminer la date d’entrée en vigueur du décret (cf. Note 31).




Thomas Hazard
Dominique Vermer
Avocats au barreau de Bruxelles - Xirius



Notes:

(1) M.B., 18 décembre 2018, p. 100266

(2) Article 106 du décret du 22 novembre 2018 relatif à la procédure d’expropriation

(3) Article 21 du décret. Cette limitation du champ d’application du décret découle de l’article 6quater de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles qui dispose en ces termes :
« Les régions fixent la procédure judiciaire spécifiquement applicable en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique d'un bien situé dans la région concernée, moyennant une juste et préalable indemnité telle que visée à l'article 16 de la Constitution, à l'exception de la compétence fédérale de déterminer les cas dans lesquels et les modalités, y compris la procédure judiciaire, selon lesquelles il peut être recouru à l'expropriation pour cause d'utilité publique par l'autorité fédérale et par les personnes morales habilitées par ou en vertu de la loi à recourir à des expropriations pour cause d'utilité publique ».

(4) Article 26 du décret

(5) Article 27 du décret

(6) L’article 2, §1er, 2°, du décret prévoit désormais que l’expropriation peut avoir pour objet «la suppression d’un droit réel démembré, d’un droit indivis, d’un droit réel ou d’un droit personnel sur le bien en vue de permettre à l’expropriant de réunir en ses mains l’ensemble des droits sur le bien immobilier »

(7) Article 2, §1er, 2°, al. 2, du décret

(8) Article 3 du décret

(9) Article 25 du décret

(10) Article 6, §1er du décret

(11) Article 6, §2, du décret

(12) Notamment, articles 16 et 17 du décret.

(13) Article 9, §2 du décret

(14) Article 12 du décret

(15) Article 20 du décret

(16) Article 5, §3, du décret

(17) Article 28 du décret

(18) Et non plus dans les 48h comme le prévoyait l’article 7, al.2, de la loi du 26 juillet 1962.

(19) Comme le rappellent les travaux préparatoires, le tribunal reste en effet tenu de vérifier la légalité de l’expropriation même en l’absence de contestation de la légalité de l’expropriation (Cass., 8 mars 1979, Pas., 1979, I, p.814). Ce contrôle porte tant sur la légalité interne qu’externe de l’arrêté d’expropriation (Doc., Parl. W., 2018-2019, n°1170/1, p. 23).

(20) Article 39 et 40 du décret

(21) Article 42 du décret

(22) Article 45 et 46, § 2, du décret

(23) Article 47 du décret

(24) Articles 44 à 51 du décret

(25) Articles 53 à 58 du décret

(26) Article 53, al. 2, du décret

(27) Articles 59 à 62 du décret

(28) Article 59, § 2, al. 1, du décret

(29) Article 52, al. 3, du décret

(30) Cf. articles 1,5° ; 7, §3 ; 12, §2, al. 2 ; 17, §2, al. 3 ; 27, §2, al.2 ; 63, al.2 ; 64, al.2.

(31) Article 106 du décret.


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 04.01.19


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