Imprimer cet article


Ordonnance hébergement touristique : problématique urbanistique

Par Dominique Vermer & Thomas Hazard

Lundi 17.09.18


L’obligation d’enregistrement

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 mai 2014 relative à l’hébergement touristique (cf. Note 1), toute personne désireuse de mettre en location, à titre onéreux (cf. Note 2), un logement à des touristes (cf. Note 3) pour une période inférieure ou égale à 90 jours en Région de Bruxelles-Capitale est tenue d’avoir préalablement sollicité et obtenu un numéro d’enregistrement de l’administration régionale (cf. Notes 4 et 5).

Pour obtenir l’enregistrement de l’hébergement touristique, l’exploitant doit introduire une déclaration préalable auprès du service compétent. Le numéro d’enregistrement est ensuite automatiquement délivré aux exploitants dont le dossier de déclaration préalable est complet. Ce numéro d'enregistrement confère au déclarant le droit immédiat d'exploiter l'hébergement touristique (cf. Note 6).

L’hébergement touristique soumis à ce régime légal très contraignant vise, dans la pratique, non seulement les hôtels et chambres d’hôte, mais aussi tous les hébergements ou chambres mis à disposition d’une personne qui ne compte pas y habiter, et ce pendant maximum 90 jours(accueil de touristes via AirBnb ou Booking.com, courts séjours professionnels ou culturels, etc.)


Contrôle ex post et régime de sanctions

Un contrôle in situ du respect des conditions exigées par l’ordonnance et son arrêté d'exécution a lieu dans les douze mois de la délivrance du numéro d’enregistrement (cf. Note 7).

En cas de constat de violation des dispositions de l’ordonnance par les exploitants, plusieurs mesures peuvent être prises par l’administration :

- La suspension du numéro d’enregistrement pour une durée allant d’une semaine à un an (cf. Note 8) ;

- Le retrait du numéro d’enregistrement (cf. Note 9) ;

- La prise d’un ordre de cessation immédiate de l’activité, et de toute mesure nécessaire afin de pouvoir exécuter l’ordre de cessation, y compris l’apposition des scellés (cf. Note 10)

Outre ces mesures, l’exploitant qui ne respecte pas les dispositions de l’ordonnance peut se voir infliger une amende administrative d’un montant de 250 à 25.000€ (cf. Note 11). Cette amende doit être payée dans les 60 jours calendriers de la notification de la décision du fonctionnaire désigné d’imposer une amende et ce nonobstant tout recours (cf. Note 12).


Problématique liée à l’obtention de l’attestation de conformité urbanistique

L’article 7 de l’arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 24 mars 2016 portant exécution de l’ordonnance du 8 mai 2014 relative à l’hébergement touristique énumère les documents qui doivent accompagner la déclaration préalable. Parmi ceux-ci figure l’attestation constatant que l’établissement d’hébergement touristique est conforme aux dispositions légales applicables en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme (cf. Note 13).

Cette attestation est délivrée par la commune sur le territoire de laquelle l’établissement touristique est établi (cf. Note 14).

Dans le cadre de la délivrance de cette attestation, la commune apprécie la légalité de l’établissement uniquement à l’aune des critères relevant de la police administrative de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, sans avoir égard aux catégories relevant de la police du tourisme (cf. Note 15).

L’obtention d’une attestation de conformité, si elle peut paraître anodine, constitue pourtant le principal obstacle à l’obtention d’un numéro d’enregistrement pour bon nombre de candidats exploitants.


Position des communes

Dans l’exercice de la compétence qui leur est confiée par l’ordonnance, les communes semblent systématiquement considérer que l’exploitation d’un immeuble en tant qu’hébergement touristique correspond à l’affectation d’ « établissement hôtelier » au sens du Plan Régional d’Affectation du Sol (ci-après PRAS) (cf. Note 16), sous réserve de certains types de chambre d’hôte.

En bref, pour les communes, un hébergement touristique ne constitue presque jamais un « logement » au sens du droit de l’urbanisme, mais bien un « établissement hôtelier ».

Du coup, de deux choses l’une : soit l’immeuble concerné dispose déjà d’une destination juridique d’établissement hôtelier, auquel cas la commune délivre en principe l’attestation de conformité, soit l’immeuble ne s’est pas (encore) vu attribuer la destination hôtelière, de sorte que la commune refuse nécessairement ladite attestation, au motif que l’exploitation projetée d’un hébergement touristique ne correspond pas à la destination légale de l’immeuble.

Bien sûr, le principal intéressé pourrait décider de changer l’utilisation actuelle de son immeuble et, partant, de le transformer en établissement hôtelier.

Toutefois, le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT) prévoit que toute modification de la destination de tout ou partie d'un bien nécessite un permis d’urbanisme préalable même si cette modification ne nécessite pas de travaux (cf. Note 17).

Dès lors, à suivre l’interprétation des communes, si la destination actuelle de l’immeuble n’est pas celle d’« établissement hôtelier », un permis d’urbanisme devra être sollicité et obtenu avant qu’une attestation de conformité urbanistique puisse être délivrée et, par conséquent, avant toute exploitation de l’immeuble en tant qu’hébergement touristique (cf. infra).

Si l’obtention de ce permis ne semble pas insurmontable pour des immeubles affectés par exemple à des fonctions productives ou de bureau, elle semble en revanche presque impossible pour des immeubles de logements.

En effet, afin de préserver la continuité du logement, la prescription générale 0.12. du PRAS prévoit ce qui suit :

« La modification totale ou partielle de l'utilisation ou de la destination d'un logement ainsi que la démolition d'un logement ne peuvent être autorisées en zone d'habitation à prédominance résidentielle, en zone d'habitation, en zone mixte, en zone de forte mixité, en zone d’entreprises en milieu urbain ou en zone administrative qu'à l'une des conditions suivantes et après que les actes et travaux auront été soumis aux mesures particulières de publicité:

1° maintenir au moins la même superficie de logement sur le site en zones d'habitat ou maintenir au moins la même superficie de logement dans la zone, en zones de mixité, en zone d’entreprise en milieu urbain et en zone administrative;

En cas d’impossibilité de maintenir au moins la même superficie de logement sur le site en zones d’habitat, créer au moins la même superficie de logement dans la zone ; en cas d’impossibilité de maintenir au moins la même superficie de logement dans la zone en zones de mixité et en zone d’entreprises en milieu urbain, créer au moins la même superficie de logement dans une zone limitrophe.

(…)
»

Autrement dit, le propriétaire d’un bien affecté au logement ne pourra obtenir le permis d’urbanisme lui permettant de modifier la destination de son immeuble et, partant, de l’exploiter en tant qu’hébergement touristique, qu’à condition qu’il maintienne la même superficie de logements dans le même site, dans la même zone, ou à tout le moins, dans une zone contiguë.

En pratique, cette exigence urbanistique rend quasiment impossible l’exploitation d’un hébergement touristique (relevant d’une catégorie autre que celle de l’«hébergement chez l’habitant») pour les propriétaires d’immeubles affectés au logement.

Il reste à voir si la position des communes est justifiée en droit. L’on relèvera à ce sujet que l’ordonnance ne fait aucune référence à la notion de service pour la définition de l’hébergement touristique. Un hébergement touristique pourrait dès lors, en principe, ne proposer aucun service de type hôtelier.

Il semble dès lors discutable qu’un hébergement touristique qui n’offrirait par hypothèse aucun service hôtelier à ses clients puisse être qualifié d’établissement hôtelier au sens du PRAS et se voir opposer la prescription générale 0.12. du PRAS comme motif de refus de délivrance de l’attestation de conformité urbanistique.


Position de l’administration

En vertu de l’article 8 de l’arrêté royal du 24 mars 2016, le Directeur chef de service Economie est chargé de statuer sur le caractère complet du dossier de déclaration préalable qui lui est soumis par l’exploitant.
S’il conclut au caractère incomplet du dossier, le cas échéant après avoir invité l’exploitant à lui transmettre les pièces manquantes, la déclaration est définitivement irrecevable.

Or, en pratique, le Directeur chef de Service qui reçoit un dossier de déclaration préalable auquel est annexée une attestation de non-conformité considère actuellement qu’il est tenu de constater qu’elle ne constitue pas l’attestation de conformité visée à l’article 5, 2°, b) de l’ordonnance. Il déclare par conséquent le dossier incomplet et, partant, le caractère irrecevable de la déclaration.

À l’heure actuelle, il semble permis de conclure que l’administration ne délivrera jamais le moindre numéro d’enregistrement à un exploitant dont le dossier de déclaration préalable ne contient pas une attestation de conformité urbanistique.


Position du Ministre-Président sur recours

En vertu de l’article 21 de l’ordonnance du 8 mai 2014, l’exploitant auquel est opposé un refus d’enregistrement dispose d’un recours administratif organisé auprès du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale.

Ce recours doit être introduit dans les 30 jours calendriers de la notification de la décision de refus.

Ce recours ne semble toutefois guère effectif pour l’exploitant auquel aura été notifiée une décision de refus fondée sur le caractère incomplet du dossier de déclaration préalable en raison de l’absence d’attestation de conformité urbanistique.

Le Ministre-Président semble en effet actuellement considérer qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne fonde l’autorité régionale à censurer ou à réformer le contenu d’un document d’une commune attestant de la régularité urbanistique de l’hébergement ou non.

Ce faisant, la Région refuse de statuer sur les critiques formulées par les candidats exploitants à l’égard de la décision prise par la commune de ne pas délivrer l’attestation de conformité.

En résumé, à suivre le raisonnement de la Région, un refus d’enregistrement sera toujours opposé au demandeur dont le dossier comporte une attestation de non-conformité délivrée par la commune, sans que la Région ne puisse réformer la décision pour ce motif.

Cette interprétation semble critiquable dans la mesure où elle revient à priver l’exploitant évincé d’un recours effectif.

Dans l’attente d’éventuels tempéraments jurisprudentiels, et sous réserve d’une modification législative, l’enregistrement d’un bien affecté au logement en tant qu’hébergement touristique dans une catégorie autre que celle de l’ « hébergement chez l’habitant » s’apparente à un véritable parcours du combattant pour le candidat exploitant.




Dominique Vermer
Thomas Hazard
Avocats au barreau de Bruxelles - Xirius



Notes:


(1) Conformément à l’article 52 de l’Arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 24 mars 2016 portant exécution de l’ordonnance du 8 mai 2014 relative à l’hébergement touristique, l’ordonnance est entrée en vigueur 10 jours après la publication de l’arrêté au Moniteur belge, soit le 24 avril 2016.

(2) La pratique du couch surfing ne rentre donc pas dans le champ d’application de l’ordonnance du 8 mai 2014 comme le précise les travaux préparatoires de l’ordonnance :
«Le « couch surfing » évoqué par M. De Bock n’est pas une prestation économique. Il échappe donc à l’application de l’ordonnance. De même, un étudiant ou un stagiaire ne peut être assimilé à un touriste; un logement pour étudiant n’est donc pas soumis à l’ordonnance » (Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques, chargée de la politique économique, de la Politique de l’Emploi et de la Recherche scientifique, Doc., session 2013/2014, A-501/2, p.15).

(3) L’article 3, 1° de l’ordonnance du 8 mai 2014 définit le touriste comme « toute personne qui, dans le cadre de ses activités privées ou professionnelles, séjourne au moins une nuit dans un milieu autre que son environnement habituel sans y établir sa résidence et pour une durée limitée à 90 jours ».

(4) L’article 4 de l’ordonnance du 8 mai 2014 dispose en effet en ces termes :
«Toute exploitation d'un hébergement touristique est soumise à déclaration préalable et à enregistrement dans le cadre de l'une des catégories définies à l'article 3, 4° à 9°, ou dans le cadre d'une catégorie complémentaire ou d'une sous-catégorie arrêtée par le gouvernement, ainsi qu'au respect des conditions fixées par ou en vertu de la présente ordonnance»


(5) Par « administration », il convient d’entendre : Bruxelles Economie et Emploi du Service public régional de Bruxelles (cf. art.2, 4°, de l’Arrêté du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 24 mars 2016 portant exécution de l’ordonnance du 8 mai 2014 relative à l’hébergement touristique)

(6) Article 16, §3, alinéa 1er, de l’ordonnance

(7) Article 16, §3, alinéa 3, de l’ordonnance

(8) Article 22, §1er, de l’ordonnance

(9) Idem

(10) Article 26 de l’ordonnance

(11) Article 23 de l’ordonnance

(12) Article 23, §4 de l’ordonnance

(13) Article 7, §1er, 7°, de l’arrêté

(14) Article 5, 2°, b), de l’ordonnance

(15) Ville et Communes de Bruxelles-Capitale, « Dossier : L’hébergement touristique à Bruxelles », Trait d’Union n° 100, Mars-avril 2017, p.20

(16) Le glossaire du PRAS définit l’établissement hôtelier comme « l’établissement d’accueil de personnes pouvant offir des prestations de services à la clientèle, tel qu’hôtel, auberge, auberge de jeunesse, motel, pension, appart-hôtel, flat-hôtel, … »

(17) Article 98, §1er, 5°, du CoBAT


Source : DroitBelge.Net - Actualités - 17 septembre 2018


Imprimer cet article (Format A4)

* *
*


Bookmark and Share