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Valorisation de l'usufruit : la formule du SDA

Par Geoffroy VANDER CAMMEN

Jeudi 17.11.16

La valorisation de l’usufruit en matière d’impôt sur les revenus est une question régulièrement abordée par la jurisprudence et la doctrine.

La problématique est connue : un dirigeant d’entreprise achète un bien immeuble avec sa société, il en acquiert la nue-propriété et sa société l’usufruit.

L’avantage de cet achat scindé est évident : une partie des coûts d’acquisition sera supportée par la société qui amortira l’usufruit. En outre, les coûts d’entretien, certains travaux et le précompte immobilier seront à sa charge. La société réduit ainsi sensiblement sa base imposable et au terme de l’usufruit, le dirigeant d’entreprise deviendra plein propriétaire de l’immeuble.

Si l’immeuble n’est pas mis à disposition du dirigeant mais destiné à l’activité économique de l’entreprise, aucune taxation pour mise à disposition gratuite d’un logement ne se justifie.

Le fisc contrôle régulièrement ces opérations et lorsque qu’il estime que la valorisation de l’usufruit est trop élevée, il attaque cette évaluation en considérant soit qu’il y a un avantage de toute nature dans le chef du dirigeant (article 32 CIR 92), soit qu’il a un avantage anormal ou bénévole dans le chef de la société (article 26 CIR 92).

Afin d’éviter ces écueils, une valorisation correcte de l’usufruit est primordiale. Cependant, le Code des impôts sur les revenus ne prévoit aucune méthode pour valoriser l’usufruit.

La pratique a donc développé des méthodes alternatives qui sont régulièrement examinées par la jurisprudence. Le Tribunal de Louvain a récemment rendu deux jugements en la matière (8 avril 2016 et 13 mai 2016). Par ailleurs, le Service des décisions anticipé (SDA) a publié un « projet » de décision anticipée, sorte de canevas pour introduire une demande, reprenant les renseignements et annexes qui doivent être communiqués et les justifications possibles de l’opération (voir www.ruling.be).

Nous nous limiterons ici à exposer les aspects relatifs à la valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété.

Dans un premier temps, le SDA rappelle que la valorisation d’un usufruit temporaire doit être effectuée à sa valeur réelle et qu’en matière d’impôts directs, les méthodes de valorisation forfaitaire utilisées en matière de droits d’enregistrement et de droits de succession ne sont pas appropriées.

Ces méthodes ont d’ailleurs été rejetées à plusieurs reprise par le SDA et la jurisprudence, notamment le Tribunal de Louvain dans un jugement du 8 avril 2016.

Le SDA rappelle également que la valorisation doit être examinée au cas par cas et tenir compte de l’état dans lequel se trouve le bien immeuble, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit (frais de notaire, droits d’enregistrement,…) ainsi que de l’affectation effective donnée par la société au bien immobilier (utilisation propre, mise en location, usage intensif, usure,…).

Si une demande de décision anticipée est introduite, elle devra être accompagnée d’un rapport de valorisation rédigé par un expert indépendant (agent immobilier, un bureau comptable, une institution financière, un cabinet de révision, etc.) qui mentionnera les éléments pris en considération et mentionnés ci-dessus.

Lorsque la valeur de l’usufruit est déterminée en fonction de la valeur locative nette actualisée du bien immobilier pendant la durée de l’usufruit, le taux d’actualisation employé devra correspondre à la réalité. Le SDA estime que le taux d’actualisation peut être déterminé en divisant le rendement locatif net annuel par la valeur de la pleine propriété du bien.

Pour illustrer son propos, le SDA donne l’exemple suivant :

- Valeur locative brute : 18.000 EUR
- Valeur locative nette : 15.000 EUR
- Valeur de la pleine propriété : 250.000 EUR
- Taux d’actualisation à utiliser dans la formule : 6% (= 15.000 / 250.000 x 100).

La valeur de l’usufruit d’une durée de 20 ans est de 172.048,82 € (cf. Note 1) ou 68,82% de la valeur de la pleine propriété.

Ce résultat est donc obtenu sur base de la formule suivante :

(Valeur locative nette/ taux d’actualisation) X (1- (1/1+taux d’actualisation) durée usufruit)

Par ailleurs, le SDA estime que lorsque le bien est loué pendant la durée de l’usufruit, le demandeur doit pouvoir démontrer, au moyen d’un plan financier, que l’opération offre à la société un rendement annuel conforme au prix du marché dans les circonstances données.

En outre, le demandeur doit pouvoir démontrer que l'opération offre une rentabilité comparable dans le chef du nu-propriétaire et de l’usufruitier de manière à confirmer qu’ils se sont comportés comme le feraient deux tiers parfaitement indépendants.

Cette formule proposée par le SDA diffère de la méthode généralement utilisée pour valoriser l’usufruit et qui tient compte d’un taux d’inflation attendu pendant la durée de l’usufruit :

[Valeur locative nette/ (taux d’actualisation – taux d’inflation)] X [1-(1+taux d’inflation) / (1/1+taux d’actualisation) durée usufruit].

Cette formule doit être préférée dès lors qu’elle tient compte d’un taux d’inflation et d’actualisation réel. La formule du SDA ne prend, par contre, pas en compte le taux d’inflation et fixe, de manière arbitraire, le taux d’actualisation en fonction du rendement net.

La formule du SDA apparaît donc au final assez théorique alors qu’il est désormais unanimement admis que seule la valeur économique réelle de l’usufruit doit être prise en compte, et ce, au regard des éléments spécifiques de l’opération.


On peut constater – et regretter – que le SDA essaie, une fois de plus, d’imposer son point de vue. La formule proposée (imposée) par le SDA, aboutit à des résultats moins favorables que les formules habituellement utilisées dans la pratique et largement acceptées par la jurisprudence.




Geoffroy VANDER CAMMEN
g.vandercammen@vanhaelst-avocats.eu
Avocat au barreau de Bruxelles
Hirsch & Vanhaelst



Note:

(1) = (15.000/0,06) x (1- (1/1,06)20)






Source : DroitBelge.Net - actualités - 17 novembre 2016


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