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La réserve de liquidation comme réponse satisfaisante vis-à-vis des PME ?

Par Jessica Labaisse

Lundi 13.07.15


INTRODUCTION

La loi-programme du 19 décembre 2014 du gouvernement Michel contient plusieurs dispositions fiscales intéressantes. La réserve de liquidation est une de ces nouvelles mesures phares à l’impôt des sociétés, ce régime étant néanmoins réservé aux PME.

Le 1er octobre 2014, le taux du précompte mobilier sur les bonis de liquidation a subi une augmentation sensible en passant de 10 % à 25 %. Pour pallier cette difficulté, la précédente législature avait introduit une mesure transitoire laquelle permettait aux sociétés de distribuer les réserves acquisses précédemment au taux de 10 % à la condition que ces réserves soient immédiatement reprises dans le capital. Cependant, les réserves nouvellement constituées tout comme les réserves pour lesquelles la mesure transitoire ne peut plus être appliquée reste soumises à un taux de 25 % en cas de liquidation.

La réserve de liquidation constitue-t-elle une réponse satisfaisante par rapport aux indépendants mécontents exerçant leur activité en société qui avaient espéré pouvoir distribuer leurs réserves au taux de 10 % en cas de liquidation ?


PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES

Il importe, dans un premier temps, de se livrer à quelques précisions terminologiques.

La liquidation d’une société peut se définir comme l’ensemble des opérations consistant à transformer l’ensemble des éléments de l’actif de celle-ci en liquidités qui vont être utilisées pour apurer entièrement le passif, c’est-à-dire procéder au remboursement des actionnaires, salariés, etc.

Quant à lui, le boni de liquidation est défini par l’article 18, alinéa 1er,2° ter, j° du CIR 92 comme étant toute somme ou valeur excédant la valeur revalorisée du capital libéré d’une société résidente ou étrangère, attribuée aux actionnaires à l’occasion du partage total ou partiel de l’avoir social.


EVOLUTION HISTORIQUE ET MESURE TRANSITOIRE INTRODUITE PAR LE GOUVERNEMENT DI RUPO

Antérieurement à la loi du 10 décembre 2002, la distribution d’un boni de liquidation échappait à toute imposition dans le chef des personnes physiques. Cela s’expliquait par le fait que ce bénéfice distribué n’était pas considéré comme un dividende.

La loi de 2002 a rétabli l’ordre et prévu un précompte mobilier de faveur au taux de 10 %.

En quête de moyens financiers, le législateur a par le biais de la loi du 28 juin 2013, porté ce précompte à un taux de 25 % tout en prévoyant un régime transitoire dans le but d’éviter des liquidations prématurées avant l’entrée en vigueur de cette loi.

Plus précisément, ce régime transitoire complexe inséré à l’article 537 du CIR 92 permettait, sous le respect de diverses conditions, de bénéficier du taux de 10 % sur une partie des fonds propres imposables, sans pour autant mettre la société en liquidation.

Afin de bénéficier de ce taux de 10 %, le dividende net perçu par les actionnaires devait faire l’objet d’une incorporation immédiate au capital de la société par le truchement d’une augmentation de capital. Les réserves ainsi incorporées étaient assimilées à du capital fiscal qui, après une période d’attente (4 ans pour les PME et 8 ans pour les grandes entreprises) pouvaient être versées nettes d’impôt.

La possibilité de recourir à cette mesure transitoire a expiré depuis le 1er octobre 2014.

En réaction aux plaintes d’indépendants exerçant leurs activités sous la forme de société et désireux de distribuer à l’avenir leurs réserves en cas de liquidation à un taux de 10 %, il était stipulé dans l’accord de gouvernement de rendre permanente cette mesure transitoire (doc. parl., Exposé des motifs, Chambre, 2014-2015, n° 54-0672/001, p. 13).


LA RÉSERVE DE LIQUIDATION EN RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS CRÉÉES PAR LE GOUVERNEMENT DI RUPO

Il ressort des articles 41 et suivants de la loi-programme du 19 décembre 2014 que les PME – et uniquement les PME- peuvent, chaque année, inscrire leurs bénéfices comptables après impôt, entièrement ou de manière parcellaire, à un compte distinct du passif du bilan. En pratique, l’on peut raisonnablement penser à la rubrique « autres réserves indisponibles ».

Une cotisation anticipative de 10 % sera due par la société lors de la constitution de cette réserve.

La réserve de liquidation ne sera plus soumise à aucun impôt lors de la liquidation de la société.

Cependant, cette réserve de liquidation est soumise à une condition d’intangibilité, avec pour conséquence, que si elle est entamée pour procéder à la distribution de dividendes, un précompte mobilier complémentaire de 5 ou 15 % sera dû, selon que le montant conservé l’aura été dans cette réserve de liquidation pendant une période de moins de cinq ans ou d’au moins cinq ans.

Le délai de cinq ans est calculé à compter du dernier jour de la période imposable durant laquelle la réserve de liquidation a été constituée.

En revanche, si la distribution de cette réserve de liquidation se fait dans le cadre d’une liquidation de la société, il n’y a pas de condition de délai particulier à respecter.

Afin de bénéficier de la mesure, un formulaire devra être joint à la déclaration mais il n’est, à ce jour, pas encore établi. Il est cependant vivement recommandé de conserver le tableau 328 R des réserves qui permet d’assurer un suivi dans le temps.

Il est clair que, comparée à la mesure du Gouvernement Di Rupo, la réserve de liquidation apparaît comme une mesure simplifiée en ce qu’elle ne nécessite plus une augmentation de capital. Seule une assemblée générale annuelle sera nécessaire afin de décider si elle souhaite mettre en œuvre une telle réserve.
Une autre différence réside dans le fait que cette mesure concerne uniquement les PME, c’est-à-dire les sociétés qui, sur base de l’article 15 du Code des sociétés, sont considérées comme telles.

Est considérée comme une PME, la société dotée de la personnalité juridique qui ne dépasse pas plus d’une des limites suivantes :

- 50 travailleurs occupés en moyenne annuelle ;
- 7.300.000 € à titre de chiffre d’affaires annuel hors TVA ;
- 3.650.000 € pour le total bilantaire de la société.

Si le nombre de travailleurs occupés, en moyenne annuelle, dépasse le nombre de 100, la société sera considérée automatiquement comme une grande société.

Afin de mieux comprendre ce que recouvre cette réserve, un exemple chiffré est intéressant. Prenons une PME qui tient sa comptabilité par année civile. Elle réalise pour la période imposable 2015, après imposition, un bénéfice de 1.000 €. Début mars, l’assemblée générale décide d’approvisionner la réserve à concurrence d’un montant de 500 €. Une cotisation de 10 % est donc prélevée sur ce montant, soit 50 €. Les 500 € seront repris dans leur entièreté à la réserve de liquidation et non 450 € au motif que cette cotisation s’analyse comme une imposition exceptionnelle à l’impôt des sociétés que la société entend supporter (et non les actionnaires).

Ultérieurement, si une liquidation devait intervenir, le montant de 500 € pourra être distribué net d’impôt (sous le bénéfice des réserve émises ci-après concernant l’application de la mesure anti-abus). Si une distribution de dividende intervient endéans le délai de 5 ans, un précompte mobilier de 15 % sera retenu. A partir du 1er janvier 2021, le précompte sera ramené à 5 %.


LOI-PROGRAMME DU 19 DÉCEMBRE 2014 : LACUNAIRE SUR CERTAINS POINTS ?

Cette mesure, qui n’a pas encore fait l’objet de commentaires de la part de l’administration fiscale sous la forme de circulaire, soulève d’emblée plusieurs interrogations, auxquelles l’Institut des Experts-comptables (en abrégé IEC) tente, notamment, de répondre par la publication d’une FAQ concernant cette nouvelle réglementation.

A titre d’exemple, une question est de savoir si la réserve peut être alimentée par des bénéfices reportés provenant d’un exercice antérieur à celui clôturé à partir du 31 décembre 2014 ?

On ne peut que regretter la rédaction de la loi, laquelle vise simplement « le bénéfice comptable après impôt », sans précision supplémentaire.

En théorie, il semblerait que seuls les bénéfices comptables de l’année pourront être destinés à cette réserve de liquidation. Les bénéfices reportés ou réservés ne pourraient pas bénéficier de cette mesure.

En d’autres mots, cela signifierait que le régime de la réserve de liquidation ne concernerait pas les bénéfices réalisés au cours des années antérieures, une interprétation stricte des termes de la loi amène à le croire. La mesure n’entrant en vigueur qu’à dater de l’exercice d’imposition 2015 et ne s’appliquant aux revenus attribués ou mis en paiement à partir du 1er janvier 2015.
Cependant, la loi-programme du 1er juin 2015 contient une disposition qui intéresse notre propos (Doc. Parl. 54, 1125/001, disponible sur le site www.lachambre.be).

Il y est prévu une mesure de « rattrapage » pour les exercices comptables 2012 et 2013. Il sera nécessaire de reprendre tout ou partie des bénéfices concernés de l’exercice comptable 2012 et de l’exercice comptable 2013 (ou de l’un de ces deux exercices comptables) dans une réserve de liquidation spéciale et que la société s’acquittera respectivement en 2015 et en 2016, d’une cotisation spéciale de 10 % sur ces bénéfices dans la mesure où ils seront repris dans une réserve de liquidation spéciale pour l’exercice comptable au cours duquel le paiement de la cotisation distincte sera versé.

La controverse est donc enfin tranchée.

Une autre interrogation réside dans la question de savoir si les dividendes provenant d’une réserve de liquidation constituée par une société étrangère peuvent également bénéficier de la mesure instaurée par la loi-programme.

L’exposé des motifs ne donne aucun élément de réponse.

La doctrine autorisée estime que cela est pourtant le cas, notamment eu égard au risque de remise en cause de ce régime pour contrariété aux libertés instaurées par le Traité européen en matière de liberté.

Nous précisons simplement, sans entrer dans les détails car cela dépasse l’objet de notre étude, que l’on ne peut que regretter que cet élargissement aux dividendes distribués par des sociétés étrangers établies dans l’Espace Economique Européen ait engendré plusieurs difficultés d’interprétation.


CONCLUSION

La réserve de liquidation telle qu’instaurée par la loi-programme du Gouvernement Michel a le mérite de la simplification.

Elle a donc mis en place un mécanisme permettant de distribuer des dividendes à des taux réduits ce qui rend la mesure fiscalement intéressante. Evidemment, il faudra néanmoins tenir compte du prélèvement immédiat de 10 % lors de la constitution de cette réserve ainsi que de la condition d’intagibilité. Cependant, les capitaux propres de la société diminueront à due concurrence, ce qui aura pour conséquence, entre autres, un impact négatif sur la déduction des intérêts notionnels.

L’on ne peut que regretter les incohérences présentes dans le texte probablement due à la hâte avec laquelle la loi-programme de 2014 a été rédigée.

Dans tous les cas, il convient d’attendre que l’administration fiscale s’exprime par le biais d’une circulaire quant à cette réserve de liquidation, ce qui permettrait de mieux circonscrire son point de vue quant aux opérations futures.




Jessica Labaisse
Avocat
Hirsch & Vanhaelst




Source : DroitBelge.Net - Actualités


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