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Etat des lieux de l’acquisition scindée en matière successorale

François Collon

Vendredi 17.01.20


L’acquisition d’un bien immobilier fait l’objet, dans nos législations fiscales, d’une fiction de legs lorsque le bien a été acquis simultanément en usufruit et en nue-propriété. Depuis l’entrée en vigueur de la disposition anti-abus le 16 avril 2012, les administrations fédérales et flamandes ont émis diverses opinions changeantes sur cette opération. Un état des lieux nous paraît donc nécessaire.


La fiction de legs en cas d’acquisition scindée

L’article 9 du Code des droits de succession (pour les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale) et l’article 2.7.1.0.7 du Vlaamse Codex Fiscaliteit (ci-après « VCF ») prévoient que :

« Les biens […] immeubles qui ont été acquis à titre onéreux, par le défunt pour l'usufruit et par un tiers pour la nue-propriété, […] sont considérés, pour la perception des droits de succession et de mutation par décès exigibles du chef de l'hérédité du défunt, comme se trouvant en pleine propriété dans la succession de celui-ci et comme recueillis à titre de legs par le tiers, à moins qu'il ne soit établi que l'acquisition […] ne déguise pas une libéralité au profit du tiers »

Ces articles visent donc ce qu’il est convenu d’appeler les « acquisitions scindées » en immobilier par lesquelles les parents achètent l’usufruit d’un immeuble, tandis que les enfants en acquièrent la nue-propriété au moyen de fonds préalablement donnés par les parents aux enfants.

Ils établissent donc une présomption réfragable selon laquelle les tiers sont présumés avoir acquis la nue-propriété au moyen de fonds appartenant au défunt et présument dès lors que le bien immobilier se trouve en pleine propriété dans la succession et est recueilli à titre de legs par le ou les nus-propriétaires.

La loi précise néanmoins que cette présomption ne s’applique pas si les tiers peuvent prouver que l’acquisition ne constitue pas une libéralité déguisée à leur profit.

Pour renverser cette présomption, les nus-propriétaires doivent donc démontrer qu’ils disposaient des fonds pour acquérir la nue-propriété et qu’ils ont utilisé ces fonds à cet effet, et ce, par exemple, en démontrant qu’ils ont acquis la nue-propriété au moyen de fonds qu’ils avaient préalablement reçu du défunt. Dans ce cas, « l’acquisition ne déguise aucune libéralité » puisque celle-ci est intervenue préalablement à l’achat scindé.


Les position (annulée) de VLABEL

L’achat scindé en immobilier fait depuis de nombreuses années l’objet d’une attention particulière de la part de l’administration fiscale.

Selon l’administration fiscale fédérale (Numéro S 9/06-07 ; Numéro S 9/06-08, Décisions des 26 août et 17 octobre 2013 – déc. n° E.E./98.937, Décision du 18 juillet 2013 qui remplace celle 19 avril 2013 – déc. N° EE/98.937), l’acquisition scindée devait, pour être admissible et ne pas entraîner le paiement de droits de succession, répondre à l’une des deux conditions suivantes :

• soit la donation préalable devait avoir été enregistrée et soumise à la perception des droits d’enregistrement prévus pour les donations ;

• soit il devait être démontré que le bénéficiaire de la donation avait pu disposer librement des fonds (en d’autres mots, il devait être démontré qu’il n’existait pas de lien causal entre la donation et l’acquisition scindée).

Après que l’administration fiscale flamande (« VLABEL ») ait repris le service des droits de succession en Région flamande, son interprétation a été encore plus rigoureuse puisque, par une position n° 15004, elle a considéré qu’une donation non enregistrée n’était pas considérée comme une preuve contraire admissible. En Flandre donc, seule une donation enregistrée (et soumise aux droits de donation) était considérée par l’administration fiscale comme non « déguisée ».

Le 12 juin 2018, le Conseil d’État a fort justement annulé cette position de VLABEL. Dès lors que ni la loi, ni les travaux préparatoires, n'imposent l'enregistrement d’une donation en Belgique et qu'une disposition de fiction fiscale telle que l’article 9 ou l’article 2.7.1.0.7 du VCF doit être interprétée de manière stricte, il ne peut être déduit de que la donation préalable à l’acquisition scindée ne pourrait être admise en tant que preuve contraire que pour autant qu’elle ait été enregistrée en Belgique.

En d’autres termes, selon le Conseil d’Etat, la preuve contraire peut être apportée au moyen d’une donation pour laquelle aucun droit d’enregistrement n’a été payé.

Dans un communiqué du 15 juin 2018, VLABEL a confirmé que : « cet arrêt a des conséquences immédiates. Les autorités fiscales flamandes n'appliqueront plus la position annulée dans les futurs dossiers à traiter ».

Il restait encore à savoir quelle serait la position des deux autres régions.


La position de l’administration fédérale

Dans une nouvelle S 9/06-07 du 23 septembre 2019, l’administration fiscale fédérale indique que « lors d’une acquisition scindée, la preuve contraire sera établie si la preuve de la donation des fonds au tiers est apportée, pour autant que cette donation ait date certaine avant l’acquisition de la nue-propriété ».

Elle poursuit en précisant que « dès que l’acquéreur de la nue-propriété peut prouver qu’il était propriétaire des fonds avant l’opération visée à l’article 9 C. succ. et qu’il les a effectivement affectés au payement du prix de celle-ci, il est sans intérêt de savoir depuis combien de temps ces fonds lui ont été donnés par l’acquéreur de l’usufruit  : dans cette hypothèse, l’article 9 C. succ. ne s’applique pas. »

S’agissant de la nécessité d’établir un acte authentique, l’administration signale qu’ « il suffit de prouver, en dehors de l’acte d’acquisition lui-même, que les fonds ont le cas échéant été donnés (par acte authentique ou sous seing privé, par don manuel ou par donation indirecte) avant l’acquisition. »

Malgré l’exigence d’une date « certaine » qui semble faire référence à l’article 1328 du Code civil, qui exige pour ce faire l’établissement d’un acte authentique, l’administration admettrait donc la preuve par acte sous seing privé d’un don manuel ou d’une donation indirecte. Il y a là une question d’interprétation qui se pose et qui n’est, à l’heure actuelle, pas résolue. Dès lors qu’elle est source d’insécurité juridique, une nouvelle clarification de l’administration fiscale nous paraît nécessaire.

Quant au moment où la donation doit être intervenue, l’administration fiscale indique que « la preuve de la possession des fonds propres suffisants par l’acquéreur de la nue-propriété doit avoir lieu en tenant compte du moment du payement par le nu-propriétaire de sa part dans le prix. Lorsqu’il y a déjà un acompte qui est payé lors de la signature du compromis préalablement à l’acte authentique, c’est la date de l’acte sous seing privé qui est le moment déterminant. Si l’acquisition a lieu sous condition suspensive, le moment du payement reste le moment déterminant ».

En d’autres termes, la donation doit intervenir avant le paiement de toute somme.

Enfin, l’administration fiscale considère :

«

1. qu’en cas de simultanéité d’un don manuel avec l’acquisition, l’article 9 C. succ. reste applicable ;

2. qu’à défaut d’avoir prouvé l’antériorité de la donation, il y a lieu de présumer la simultanéité des opérations, laquelle renforce leur caractère libéral ».



Conclusion

Il résulte de ce qui précède que si l’enregistrement de la donation en Belgique n’est pas nécessaire afin d’apporter la preuve contraire dans le cadre de l’article 9 du Code des droits de succession, la prudence recommanderait d’établir un acte authentique disposant d’une date certaine si l’acquisition de la nue-propriété doit intervenir dans un court laps de temps suivant la donation. Pour éviter le paiement de droits de donation en Belgique, cet acte authentique pourrait être établi à l’étranger, en Suisse ou aux Pays-Bas, ce qui est parfaitement admis.

A défaut en effet, l’administration pourrait, sur la base de sa décision du 23 septembre 2019, soutenir qu’il y a simultanéité des opérations et que l’article 9 est applicable.

L’enregistrement de la donation en Belgique (et le paiement subséquent des droits de donation) ne nous semble devoir être recommandé qu’en cas de risque de décès des donateurs dans les trois ans.



François Collon
Avocat
Hirsch & Vanhaelst
(f.collon@hvlaw.eu)










Source : DroitBelge.Net - Actualités - 17.01.2020


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