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Responsabilité et rémunération de l’agent immobilier




A. Responsabilité


A l’égard de son commettant


Les agents immobiliers sont très fréquemment amenés à rédiger l’offre d’achat qu’ils soumettent ensuite à la signature du candidat.

Ils sous-estiment généralement l’importance de ce document, qui reste d’actualité malgré la nouvelle donne jurisprudentielle. Il a en effet été vu que l’offre acceptée donne lieu à un pré-contrat, générateur de droits et obligations dans le chef des parties.

Un manquement de leur part dans cette tâche peut en effet engager leur responsabilité tant à l’égard des tiers que de leur client.

La responsabilité à l’égard des tiers sera examinée plus loin.

La rédaction de l’offre peut également être lourde de conséquences pour son client.

Pour ce qui concerne les clauses qui ne seraient reprises ni dans l’offre, ni dans les conditions d’acceptation de cette offre par le propriétaire, les dispositions du Code civil sont en principe d’application.

Sauf accord des parties, il ne pourra plus ensuite être dérogé à ces clauses de droit commun, ni dans l’acte sous seing privé, ni dans l’acte notarié.

Or, l’application du droit commun de la vente peur se révéler particulièrement défavorable, voire catastrophique, pour le vendeur, et ce sur plusieurs plans :


Dans la grande majorité des cas, les actes de vente prévoient une exonération de garantie des vices cachés dans le chef du vendeur.

Celui-ci n’est donc pas responsable des vices cachés affectant l’immeuble, à moins qu’il en ait eu connaissance au moment de la vente.

Cette exonération de responsabilité dans le chef du vendeur n’est toutefois pas prévue par le droit commun.

Celui-ci ne prévoit une telle exonération que pour les vices apparents, mais non pour les vices cachés (Art. 1642 et 1643 du Code civil.).

Par conséquent, si l’offre établie par l’agent immobilier est muette sur ce point, et que le vendeur l’accepte telle quelle, il sera responsable des vices cachés affectant l’immeuble, à moins que l’acquéreur accepte au compromis ou à l’acte notarié de décharger le vendeur de cette responsabilité.

Il n’y est toutefois nullement contraint.

Une négligence au stade de la rédaction de l’offre peut donc être extrêmement lourde de conséquences pour le vendeur s’il s’avère qu’ultérieurement l’acquéreur venait à découvrir des vices cachés.

Le vendeur en sera en effet responsable, même s’il n’en avait pas connaissance au moment de la vente !


Dans la plupart des compromis de vente, une indemnité forfaitaire est prévue en faveur de la partie qui subit la défaillance de son cocontractant.

Cette indemnité est généralement fixée à 10 ou 15% du prix de vente.

Si cette clause ne figure pas dans l’offre ni dans les conditions d’acceptation par le vendeur, cette indemnité forfaitaire ne sera pas d’application.

Par conséquent, si l’acquéreur venait ensuite à se rétracter de son offre, le vendeur devra inévitablement recourir au droit commun et établir, dans sa demande de réparation, non seulement la réalité mais également l’importance de ce préjudice.

Cette double preuve ne sera pas toujours aisée à rapporter. En outre, le préjudice que le vendeur pourra, le cas échéant, établir, sera généralement inférieur à l’indemnité forfaitaire habituellement prévue.

En pareil cas, le vendeur est donc à nouveau victime du manquement de l’agent immobilier dans la rédaction de l’offre.

Partant, il pourra lui réclamer l’indemnisation du préjudice ainsi subi suite à cette négligence.

Pour éviter de tels désagréments, il doit être vivement recommandé aux agents immobiliers d’apprécier à sa juste valeur l’importance de l’offre qu’ils sont amenés à rédiger.

Ils veilleront par conséquent à y insérer toutes les clauses dérogatoires au droit commun de la vente dont l’application serait souhaitée par les parties, ce qui présuppose bien entendu qu’ils les interrogent au préalable sur ce(s) point(s).


Il n’est pas rare non plus que l’agent soit amené à rédiger le compromis de vente qui sera signé par le vendeur et l’acquéreur.

Sa responsabilité est alors encore plus importante que celle qui est la sienne pour la rédaction de l’offre d’acquisition puisque, nous l’avons vu, la signature du compromis donne naissance à une vente pure et simple.

Cela signifie qu’« en tant que professionnel, l'agent immobilier qui rédige un compromis de vente sous seing privé est responsable de la portée juridique de ce compromis tant dans l'intérêt de l'acheteur que dans celui du vendeur. » (Note Gand, 20 novembre 2000, T. app., 2001, liv. 2, p. 18.).

Comme l’exprime en effet à ce propos A. Deliège, « le compromis de vente est primordial car il suffit à lier irrévocablement les parties. Pour ce qui n’y figure pas, les dispositions supplétives de la loi seront d’application. L’acte notarié ne pourra que constater la convention intervenue et en assurer, par sa transcription dans les registres des hypothèques, son opposabilité aux tiers. Seul le commun accord des parties pourra retrancher ou ajouter au compromis de vente. » (Note : Deliège A., « Les conditions générales et spéciales », La vente immobilière de A à Z, L’Echo Formation, journée d’études du 12 juin 2003, p. 42.).

Conscient de l’importance cruciale de l’acte sous seing privé, l’agent sera bien inspiré d’en confier la rédaction aux notaires désignés par les parties ou, à tout le moins, d’obtenir, avant la signature de ce document, sa ratification par les notaires, le cas échéant accompagnée de leurs remarques.

En outre, la communication du projet de compromis aux notaires devra se faire impérativement par écrit et, idéalement, en se réservant un accusé de réception.

La transmission par télécopie, le cas échéant confirmée par envoi postal, paraît la plus appropriée.

Il conviendra bien entendu de laisser un temps suffisant aux notaires pour leur permettre d’examiner le projet de compromis et d’exprimer leurs remarques éventuelles.

S’il procède de la sorte, « la faute éventuelle de l’agent immobilier peut ainsi être absorbée par celle du notaire si le rôle de celui-ci était prédominant » (Note : Louveaux B., La responsabilité professionnelle de l’agent immobilier, o.c., p. 71, n° 85.), ce qui est évidemment le cas pour ce qui concerne la rédaction d’un document à portée hautement juridique, tel un compromis de vente immobilière.


A l’égard du tiers


L’agent immobilier est régulièrement amené à rédiger et à présenter l’acte sous seing privé préalable à l’acte notarié à la signature des parties.

Auparavant, il se sera probablement vu réclamer par le candidat acquéreur le texte d’une offre d’achat qu’il n’aura plus qu’à signer.

La jurisprudence est constante à considérer qu’il entre dans les attentes légitimes du candidat de se voir soumettre un document qui respecte parfaitement sa volonté (cas de l’offre d’acquisition) ou les modalités précises et complètes de l’accord (cas du compromis de vente).

Plusieurs décisions ont ainsi été relevées qui retiennent une faute de l’agent immobilier dans ce contexte (Note : Bruxelles, 14 mars 1978, Rev. not. b., 1978, p. 430 ; Civ. Nivelles, 10 juin 1981, Res jur. Imm., 1982, p. 59 ; Gand, 21 octobre 1987, T.G.R., 1988, p. 15 ; Anvers, 5 janvier 1993, R.G.D.C., 1993, p. 240 ; Liège, 1er février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1112 ; Mons, 17 mars 1998, R.G.D.C., 1999, p. 197 ; Gand, 20 novembre 2000, T. app., 2001, liv. 2, p. 18 ; n’ont par contre pas retenu de responsabilité : Anvers, 22 mai 2000, T. app., 2000, liv. 4, p. 40 ; Civ. Liège (R.G. : 99/4129/A), 18 janvier 2002, inédit.).

Epinglons parmi elles l’arrêt particulièrement intéressant rendu par la Cour d’appel de Liège en date du 1er février 1996.

Dans cette espèce, la Cour a jugé que « tout vendeur professionnel, ou tout vendeur représenté par ou assisté des conseils d’un professionnel de la vente d’immeubles traitant avec un acquéreur profane lui indiquant son besoin d’obtenir un prêt hypothécaire pour acheter, a le devoir de rédiger le contrat de manière claire et conforme à la volonté des deux parties ;

Que l’indication que donne l’acquéreur profane qu’il achète avec un prêt – qui ne peut être sollicité et obtenu que sur le pied d’un compromis signé – est l’information claire, précise et non-ambiguë, qu’il ne consent à la vente que sous la condition suspensive de l’obtention de ce prêt ;

Qu’un vendeur professionnel ou un vendeur assisté d’un professionnel de la vente d’immeuble, ne peut pas ignorer, sans faute inexcusable dans son chef, qu’un organisme financier prêtant sur hypothèque ne prend une décision d’octroi de crédit que sur la base d’un compromis de vente signé désignant l’immeuble qui constituera la garantie hypothécaire et une expertise de celui-ci ;

Qu’ils savaient en l’espèce que les acquéreurs ne se trouvaient pas dans la situation des très rares et très bons clients de banque (parce qu’extrêmement solvables) disposant d’un crédit sans vérification de garantie, pour un tel montant et qu’au contraire ils savaient que les époux S. devaient introduire une demande de crédit à l’organisme financier indiqué par la mandataire du vendeur ;

Que le vendeur professionnel ou vendeur assisté ou représenté par un professionnel, qui rédige le compromis soumis à la signature de l’acheteur profane, a le devoir de traduire en termes juridiques exacts l’engagement sous condition suspensive de l’acheteur ; qu’en omettant l’insertion de cette clause dans l’instrumentum, le vendeur et sa mandataire professionnelle, des fautes de laquelle il répond comme de sa faute propre, ont commis une faute grave dont ils ne peuvent s’emparer pour plaider que l’obtention du prêt hypothécaire n’était pas une condition suspensive et que la vente était parfaite
; » (Note : Liège, 1er février 1996, J.L.M.B., 1996, p. 1112. ).

Cette jurisprudence appréciant avec sévérité la responsabilité de l’agent immobilier qui s’autorise à rédiger un document contractuel nous semble sans conteste devoir être approuvée.

En réalité, peu d’agents immobiliers paraissent conscients de l’écrasante responsabilité qu’ils assument lorsqu’ils rédigent un document contractuel.

Un compromis de vente, en particulier, est truffé de pièges et de questions juridiques particulièrement complexes.

L’agent immobilier, qui n’est généralement pas un juriste, et qui, en tout état de cause, même s’il est juriste de formation, n’est pas un professionnel du droit, ne peut raisonnablement prendre le risque de diriger seul la procédure de rédaction et de signature d’un document à ce point capital et complexe.

S’il est prudent, il veillera donc soit à renvoyer les parties devant les notaires (ou les avocats) désignés soit, à tout le moins, à soumettre à ceux-ci le projet de compromis qu’il aura dressé, pour approbation.


B. Rémunération


Rappel des principe


L’article 1710 du Code civil dispose :

« Le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles. ».

Le contrat de courtage, qui est une catégorie de louage d’ouvrage, est donc conclu en principe contre rémunération.

Dans un arrêt du 26 novembre 1976, la Cour de cassation a énoncé le principe selon lequel la rémunération est due au courtier « dès que la convention due à son intervention a pris naissance » (Note : Cass., 26 novembre 1976, Pas., 1977, I, p. 339.).

Ce principe n’est cependant pas d’ordre public, et il peut donc y être dérogé.



Impact de la nouvelle jurisprudence en matière de formation du contrat de vente


Si le contrat de courtage prévoit un droit à rémunération en faveur de l’agent « en cas de vente », ce qui est souvent le cas, il n’aura donc droit à cette rémunération que si un compromis de vente est signé (et pour autant qu’il ne soit pas assorti d’une ou de plusieurs condition(s) suspensive(s) non levée(s)).

L’agent sera donc bien avisé de prévoir dans son contrat un droit à rémunération non seulement en cas de vente, mais également s’il obtient une offre égale ou supérieure au montant minimum souhaité par son commettant.




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier


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