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Concours d’acquéreurs



L’article 1er de la loi hypothécaire énonce que :

« Tous actes entre vifs à titre gratuit ou onéreux, translatifs ou déclaratifs de droits réels immobiliers, autres que les privilèges et hypothèques, y compris les actes authentiques visés aux articles 577-4, §er, et 577-13, §4 du Code civil, ainsi que les modifications y apportées seront transcrits en entier sur un registre à ce destiné, au bureau de la conservation des hypothèques dans l'arrondissement duquel les biens sont situés. Jusque là, ils ne pourront être opposés aux tiers qui auraient contracté sans fraude »

Seule la formalité de la transcription rend donc la vente d’immeuble opposable aux tiers.

Ce n’est pas pour autant que le vendeur est autorisé à revendre l’immeuble déjà vendu par un acte non transcrit.

Ce faisant, il agirait au mépris des droits effectifs du premier acquéreur (Note : Cass., 12 octobre 1990, Pas., 1991, I, p. 151.).


Au cas où, malgré cette interdiction, un propriétaire-vendeur vendrait plusieurs fois le même immeuble à des acquéreurs différents, les règles qui permettront à ceux-ci d’être départagés, et de déterminer lequel d’entre eux doit l’emporter, diffèrent selon les situations.


Dans l’hypothèse où un seul acte d’acquisition a fait l’objet d’une transcription, cet acte prime, dès lors qu’il est le seul à être devenu opposable aux tiers dans le respect des conditions posées par l’article 1er de la loi hypothécaire.

La solution est constante tant dans la doctrine que dans la jurisprudence.

Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle décidé, dans un arrêt du 9 octobre 1970, que :

« L'acte entre vifs constitutif d'un usufruit, établi sur un immeuble, n'est, à défaut de transcription sur le registre à ce destiné au bureau de la conservation des hypothèques, pas opposable au tiers qui, ayant ignoré l'existence de cet acte et ayant agi sans fraude, a acheté la pleine propriété dudit immeuble. » (Note : Cass., 9 octobre 1970, R.G.E.N., 1972, p. 37.)

Madame Verheyden-Jeanmart et Madame Durant n’affirment rien d’autre lorsqu’elles énoncent :

« Partons de l’hypothèse suivante : X vend son bien immeuble successivement à A puis à B. Deux compromis sont signés. Seule, toutefois, la deuxième vente – celle conclue avec B – fait l’objet d’un acte authentique qui est transcrit.

Partant du principe rappelé ci-avant, seul B dispose d’un droit réel immobilier opposable aux tiers, dont A, puisque seul B a fait transcrire son acte d’acquisition.

A, qui ne peut pas faire état d’un titre transcrit, ne peut opposer à B son droit de propriété sur l’immeuble
» (Note : N. Verheyden-Jeanmart et I. Durant, « La preuve de la bonne foi au regard de l’article 1er de la loi hypothécaire et l’application de l’article 1328 du Code civil », Droit de la preuve, C.U.P., octobre 1997, p. 4.).

Monsieur Van de Wiele abonde dans le même sens dans son ouvrage consacré à la vente d’immeubles (Note : Ph. Van de Wiele, La vente d’immeubles, De Boeck Université, 2001, 2ème édition, pp. 182 et s.
).

Cette solution est régulièrement appliquée par les juridictions de fond (Note : Civ. Liège, 26 novembre 1982, Jur. Liège, 1983, p. 431 ; Civ. Bruxelles, 9 avril 1991, J.T., 1991, p. 620 ; Mons, 14 septembre 1999, J.T., 13 novembre 2004, p. 839 ; Liège, 27 février 2002, J.T., 2003, p. 288.).

En pareil cas, la seule possibilité pour l’acquéreur évincé d’acquérir malgré tout l’immeuble consiste, si son achat est antérieur, à apporter la preuve que son concurrent a agi « avec fraude » (Note : Art. 1er, a contrario, de la loi hypothécaire ; Ph. Van de Wiele, o.c., pp. 184-185.).

Il convient donc :

- que l’acquéreur évincé ait acquis l’immeuble en premier lieu ;
- que le second ait agi en fraude de ses droits.

En vertu de l’article 1328 du code civil, en cas de ventes successives, doit être préféré celui des acquéreurs successifs dont le titre sous seing privé a le premier acquis date certaine.


Agir en fraude des droits du premier acquéreur signifie que le second connaissait ou à tout le moins devait connaître l’existence de la première vente et a, par des manœuvres frauduleuses, malgré tout convaincu le vendeur de lui céder l’immeuble au mépris des droits conférés antérieurement à l’acquéreur évincé (Note : Cass., 22 avril 1983, R.C.J.B., 1984, p. 359 et note Y. Merchiers ; Ph. Van de Wiele, o.c., p.181.).

C’est au moment de la naissance du droit, c’est-à-dire à la conclusion du contrat, que la bonne foi doit exister.

La Cour de cassation l’a confirmé très clairement dans ses arrêts des 21 février 1991 et 13 avril 1995 :

« Attendu qu'il apparaît des énonciations de l'arrêt attaqué que le 15 septembre 1986, la Bourse immobilière belge, mandataire de Roger Ballieu, avait vendu sous seing privé aux époux Paul Dumont et Claudette Gérard (ici les défendeurs) l'immeuble dudit Ballieu, que l'acte authentique de vente devait être passé le 3 février 1987, mais qu'il n'eut pas lieu, qu'à la même date du 3 février 1987, les époux Dumont-Gérard avaient fait enregistrer l'acte sous seing privé convenu avec la Bourse immobilière, que le 16 janvier 1987, le sieur Ballieu avait vendu personnellement le même immeuble au demandeur et que le 5 février 1987, l'acte authentique relatant cette vente fut passé entre Ballieu et Zinger, lequel fut le même jour transcrit à la conservation des hypothèques ;

Attendu que l'arrêt attaqué décide de l'inopposabilité aux époux défendeurs de l'acte authentique de vente passé le 5 février 1987 entre Roger Ballieu et le demandeur et transcrit le même jour, au motif, en substance, qu'à cette date du 5 février 1987, le demandeur avait connaissance de la vente convenue entre le mandataire de Ballieu et lesdits époux et qu'ainsi, il n'était pas de bonne foi au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 ;

Attendu que, pour être réputé avoir contracté avec fraude au sens de l'article 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, le tiers doit, en contractant, avoir eu connaissance de l'existence de la convention antérieure de transfert de propriété du bien immobilier; que cette connaissance doit être appréciée au moment de la naissance du droit de ce tiers, c'est-à-dire à la date du 16 janvier 1987 qui, d'après les constatations de l'arrêt attaqué, est celle à laquelle avait été convenue entre le demandeur et Ballieu la promesse synallagmatique de vente ;

Qu'en se fondant à ce sujet, non point sor cette date du 16 janvier 1987, mais sur celle du 5 février 1987 qui est celle de la passation de l'acte authentique de vente et de la transcription, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision
; » (Note Cass., 21 février 1991, Pas., 1991, I, p. 600 ; Cass. 13 avril 1995, Rev. Not., 2003, p. 278 – je souligne ).

Sans attendre l’enseignement de cet arrêt, le tribunal de première instance de Liège avait déjà, dans une décision du 26 novembre 1982, décidé que l’acheteur qui a acquis un immeuble dans l’ignorance de ce que le vendeur l’avait déjà vendu à un tiers et qui, apprenant l’existence de cette convention antérieure, avait fait transcrire immédiatement la sienne, précédant ainsi le premier acquéreur, doit être considéré comme étant de bonne foi au moment de la naissance de son droit (Note Civ. Liège, 26 novembre 1982, Jur. Liège, 1983, p.431.).

La jurisprudence de la Cour de cassation est régulièrement appliquée par les juridictions de fond (Note : P.-P. Renson, « Introduction à la publicité foncière et à la transcription », J.T., 2004, p. 833, §4 et les nombreuses références de jurisprudence qui y sont reprises ; J.-L. Ledoux, « Chronique de jurisprudence : la publicité foncière (1994-2001) », J.T., 2002, p. 780, 1.14.).

Enfin, c’est à l’acquéreur évincé de prouver que son concurrent a agi avec mauvaise foi en contractant, par application des articles 1315 du code civil et 870 du code judiciaire,

Cette mauvaise foi n’est en effet pas présumée (Art. 2268 du code civil.).


Quid si aucun acte n’est transcrit ?

Doit être préféré celui des acquéreurs successifs dont le titre sous seing privé a le premier acquis date certaine (Art. 1328 du Code civil.).

L’acquéreur évincé peut « renverser la vapeur » soit en convaincant son cocontractant de passer acte authentique, lequel sera transcrit (voir alors ce qui a été précisé plus haut) soit, si ce n’est pas possible, en démontrant la mauvaise foi de son concurrent, à savoir que celui-ci a acquis en connaissance de ce que le bien avait déjà été vendu (voir également ci-dessus pour ce qui concerne le moment auquel il convient de se placer pour déterminer si le concurrent est ou non de mauvaise foi).


Si aucun des actes d’achat n’est transcrit ni enregistré, le juge devra déterminer lequel des deux concurrents a acquis en premier lieu.


Il est bien évident que la nouvelle jurisprudence en matière de formation du contrat de vente aura un impact considérable sur le point de savoir si l’on est effectivement en présence de deux acquisitions et, dans l’affirmative, à quel moment elles ont été conclues.




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier


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