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L’annonce de mise en vente est-elle une offre de contracter ?



Même si le texte de l’article 1583 du Code civil ne distingue pas selon que le bien vendu soit un immeuble ou un autre type de bien (bien mobilier, bien de consommation), il faut bien admettre qu’il existe de nettes différences entre ces opérations.

Contrairement en effet à la mise en vente de biens que l’on trouve dans le commerce, qui peuvent être régulièrement mis en vente par le biais d’une offre adressée au public, celle portant sur des biens immeubles est beaucoup plus complexe : le prix des transactions immobilières est nettement plus élevé que celui sur lequel porte la plupart des autres opérations de vente, ce qui justifie que le vendeur veuille légitimement s’assurer de la solvabilité de l’acquéreur ; la plupart des acquisitions immobilières se font sous le bénéfice d’une condition suspensive d’obtention d’un crédit, que le vendeur peut ne pas vouloir accepter ; la vente immobilière est soumise à des modalités beaucoup plus complexes que celles entourant les autres transactions commerciales (quant à la jouissance du bien, au transfert de propriété, aux délais de passation d’acte et de paiement du prix ; paiement d’un acompte ou d’une garantie ; exonération ou non de la responsabilité du vendeur en cas de survenance de vices cachés, urbanisme, …).

L’une et/ou l’autre partie peuvent parfaitement élever ces modalités et conditions au rang de conditions substantielles de la vente, sur lesquelles l’accord doit donc nécessairement porter pour que la vente soit parfaite.

Pour l’ensemble de ces motifs, la doctrine et la jurisprudence considèrent que les annonces de mise en vente d’un bien immobilier ne constituent pas une offre de vente.

Le Professeur De Page s’exprimait déjà comme suit :

« L’offre est, ainsi que nous l’avons dit (…) le premier pas décisif dans la conclusion du contrat. C’est l’émission définitive de l’une des volontés en présence, qui ne doit plus qu’être acceptée par l’autre pour que le contrat soit formé. Dans les propositions, pourparlers, etc., rien de semblable. On en est encore à la période de tâtonnements, où chacun cherche sa voie, sans qu’il en résulte, en principe, d’engagement quelconque, même à l’état virtuel. (…)

Ne constituent que de simples propositions de contracter, et non des offres :

a) L’envoi, par une compagnie d’assurance, de ses tarifs et d’un exemplaire de ses polices à l’un de ses futurs assurés : les bases du contrat ne seront définitivement précisées, et la manifestation de volonté de l’assureur ne sera possible que lorsque les risques à couvrir seront connus par le questionnaire, intitulé “proposition d’assurance” que le futur assuré doit remplir ;

(…)

L’insertion dans un journal d’une annonce formulant la demande d’un livre à un prix déterminé ne constitue qu’une proposition de contracter, un appel d’offres et non une offre proprement dite. (Ce qui obligerait l’annonceur à acquérir tous les livres qui se présenteraient).
» (Note : H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 1964, pp. 491-493, n° 499 et 499bis – souligné dans le texte ; dans le même sens : L. Simont et J. De Gavre, « Examen de jurisprudence. Les contrats spéciaux (1969-1975) », R.C.J.B., 1976, p. 388.).

Le Professeur Taymans abondait exactement dans le même sens dans sa remarquable étude relative aux aspects juridiques de la mise en vente d’un immeuble :

« Dans un arrêt du 23 septembre 1969, dont l’importance a été soulignée par la doctrine, la Cour de cassation a eu l’occasion de distinguer ces deux notions en rappelant que par l’offre de vente, le vendeur émet une volonté définitive de conclure le contrat, cette offre ne devant plus qu’être acceptée par l’autre partie pour que le contrat soit formé, situation qui doit être distinguée des pourparlers qui n’ont pas pour objet de former le contrat, mais simplement d’en faciliter ou d’en préparer la conclusion.

Examinons donc les différents éléments qui doivent être réunis pour qu’il y ait offre.

b) (…) il faut que l’expression unilatérale de volonté contienne des indications suffisamment complètes sur le prix, sur la chose, ainsi que sur toutes les conditions et les modalités essentielles de la vente (…).

c) Une deuxième condition pour qu’il y ait offre (…) est la volonté de s’engager juridiquement, ou plus exactement, pour s’exprimer comme M. Van Ommeslaghe, définitivement par la seule acceptation de l’autre partie. (…).

On peut faire application de ce principe dans deux situations beaucoup plus courantes :

- Un propriétaire fait paraître dans la rubrique “annonces immobilières” d’un journal un avis suivant lequel son immeuble est à vendre pour le prix de X. la notification par un candidat acquéreur qu’il accepte le prix demandé emporte-t-elle conclusion de la vente ?

- Après une longue négociation, vendeur et candidat acquéreur prennent rendez-vous pour la signature d’un compromis de vente, s’étant finalement entendus sur le prix. Si elles ne s’entendent pas sur les termes du compromis, l’acquéreur peut-il alléguer que la vente est néanmoins conclue ?

La volonté de s’engager définitivement est affaire d’appréciation souveraine du juge du fond. Notre avis, inspiré de la pratique, est que dans les deux cas visés, on se trouve bien davantage dans le cas de la préparation de la convention de vente, que dans celui où le vendeur se considère comme irrévocablement engagé. Comment, en effet, dans le cas des annonces par voie de presse, nouer la négociation sans communiquer le prix désiré ?

Et à quoi servirait de prendre rendez-vous chez le notaire pour la signature de la convention qui définira les conditions de la vente, si on ne s’est pas préalablement mis d’accord sur un prix ?

Ou encore, nous semble-t-il, dans la phase précontractuelle, (…). Si, après avoir fait état de son accord sur un prix, le vendeur rompait les pourparlers sans motif valable, l’octroi de dommages et intérêts ne nous paraît nullement exclu. Mais de vente par la seule notification de l’acceptation, point.
» (Note : J.-F. Taymans, « Aspects juridiques de la mise en vente d’un immeuble », Mensuel du Notariat et de la Fiscalité, 1993.3., pp.47 et s. – souligné dans le texte.).

Madame Delforge aboutit à la même conclusion :

« Il ressort de la jurisprudence que la seule précision des éléments essentiels du contrat ne suffit cependant généralement pas à qualifier la proposition d’offre puisqu’elle n’établirait pas à suffisance la fermeté de l’engagement de l’offrant. Ainsi, en faisant paraître une annonce ou en apposant une affiche, le propriétaire se bornerait le plus souvent à manifester sa décision de mettre son bien en vente, mais ne s’engagerait pas à vendre à la première personne qui souhaiterait acheter. En ce sens, de telles initiatives constituent uniquement des appels à l’offre. Il a par exemple été jugé que, pour constituer une offre, la proposition devrait en outre préciser “les modalités de paiement de l’acompte et [de la] soulte, les moments de transfert de la propriété et d’entrée en jouissance, l’exonération de certains risques … (…) ou à tout le moins le montant de l’acompte et la date de la signature du contrat” . » (Note : C. Delforge, « L’offre de contracter et la formation du contrat (1ère partie) », R.G.D.C., 2004, 10, p. 559 – souligné dans le texte.).

Enfin, Monsieur Jadoul a exprimé, dans un recyclage en hommage au Professeur Verheyden-Jeanmart consacré à la mise en vente d’un immeuble, exactement la même opinion :

« Il est généralement admis que l’offre (d’achat ou de vente) adressé “au public”, notamment par le biais d’annonces ou d’affiches ne satisfait pas à la condition de la volonté de s’engager juridiquement. » (Note : P. Jadoul, « La négociation immobilière », in « La mise en vente d’un immeuble », Bruxelles, Larcier, 2005, p. 59.).

Les cours et tribunaux sont eux aussi généralement d’avis que les annonces publiques de mise en vente d’un bien immobilier constituent davantage des appels à l’offre que des offres (Note : Bruxelles, 25 octobre 2001, J.T., 2002, p. 66 ; Civ. Bruxelles, 13 avril 2001, J.T., 2001, p. 416 ; Civ. Bruxelles, 31 mai 1995, R.G.D.C., 1996, p. 68 ; Civ. Bruxelles, 24 octobre 1991, Res. Jur. Imm., 1992, p. 63 ; Bruxelles, 16 juin 1970, Ent. et Dr., 1973, p. 154 et note Denève).

L’espèce tranchée par le tribunal de première instance de Bruxelles dans son jugement du 21 octobre 1991 est particulièrement intéressante, dès lors qu’elle est très similaire à la présente cause.

Le Tribunal débouta les « acquéreurs évincés » de leur demande en ces termes :

« Attendu que c’est également à raison que les parties défenderesses (c’est-à-dire les vendeurs et l’agence immobilière à laquelle ils avaient fait appel) soutiennent que l’annonce parue dans le journal Le Soir ne peut à elle seule constituer une “offre de vente” au sens du droit civil ; qu’il s’agit d’un préliminaire et d’un appel de pourparlers et d’offres (cf. De Page, t. II, nos499-515) ; que cette annonce ne constitue pas l’émission d’une volonté définitive de l’offrant qui n’attendrait que l’acceptation immédiate de l’autre partie pour former contrat (cf. Cass., 23 septembre 1969, Pas., 1970, I, 73) ;

Que l’ensemble des éléments essentiels du contrat doit être précisé pour que l’on puisse parler d’offre ; que parmi ces éléments il y a, outre le prix, les modalités de paiement de l’acompte et du solde, les moments de transfert de propriété et d’entrée en jouissance, l’exonération de certains risques … ; que tous ces éléments ne figuraient nullement dans l’annonce et n’ont fait l’objet d’aucun pourparler entre l’offrant et les parties demanderesses ;

(…).
».

Manifestement, la jurisprudence actuelle est bien établie sur la question (Note : Civ. Bruxelles (Réf.), 10 novembre 2005, inédit ; Civ. Bruxelles (Réf.), 3 février 2006, inédit ; Civ. Bruxelles, 21 mars 2008, inédit ; Civ. Bruxelles, 6 mai 2008, inédit ; Bruxelles, 10 mars 2011, inédit.).




Laurent Collon
Avocat au barreau de Bruxelles - Xirius.
Spécialiste agréé en droit immobilier


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