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La faute de droit commun (1382 du code civil)



1. A côté des règles particulières de responsabilité attachées à ses fonctions professionnelles, le dirigeant de société est, comme tout sujet de droit, également soumis au régime de responsabilité de droit commun, prévu par l’article 1382 du Code civil, au terme duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel est arrivé à le réparer ».

2. La faute : le critère d’appréciation de la faute sera celui du dirigeant d’entreprise normalement prudent et diligent.

La délimitation de la faute de droit commun par rapport aux sources spécifiques de responsabilité du dirigeants doit être examinée selon le cas d’espèce et sera soumise à appréciation. De manière générale, on peut relever les illustrations suivantes pour délimiter le champ des différentes sources de responsabilité du dirigeant :

2.1. Relation entre la violation aux statuts et le non respect de la norme générale de prudence : le manquement du dirigeant à une disposition statutaire ne constitue pas nécessairement un manquement à la norme générale de prudence : le gérant qui s’octroie une rémunération alors que les statuts prévoient un mandat à titre gratuit, ne cause pas de préjudice aux tiers.

2.2. Relation entre le manquement à la loi et le non respect de la norme générale de prudence : la violation de la loi (le Code des société ou d’une autre dispositon légale) est par nature fautive, et constituera une violation de critère du dirigeant normalement prudent et déligent. Dans certains cas, la violation sera même assortie de sanctions pénales : abus de biens sociaux, détournements de fonds au détriments de la société, poursuite d’une activité déficitaire, etc.

2.3. Relation entre la faute de gestion et le non respect de la norme générale de prudence :

- un acte de gestion tout à fait légitime et non-fautif eu égard aux intérêts de la société peut constituer un manquement à la norme générale de prudence causant un préjudice à des tiers ;

- le manquement au comportement du dirigeant normalement prudent et diligent coïncidera dans d’autres cas avec une mauvaise gestion du dirigeant : on visera par exemple le cas de dépenses exhorbitantes du dirigeant de la société dans des frais de représentation que la société n’est pas en mesure d’assumer compte tenu de ses richesses ou de ses priorités ;

- une faute de gestion ne causant à la société qu’un préjudice propre, ne cause pas obligatoirement de préjudice à des tiers.

3. Responsabilité acquilienne du dirigeant vis-à-vis des tiers

Comme expliqué ci-dessus, la théorie de l’organe a pour conséquence que la société est tenue par les actes pris par ses organes dans le cadre de leur fonction. La société est donc tenue également des fautes commises par l’organe qui, dans le cadre de ses fonctions, causent préjudice à un tiers.

Dés lors que les organes de la société « sont » la société, la question de savoir si les tiers préjudiciés peuvent également attaquer directement en responsabilité l’organe, a été longuement controversée. Cette question fait l’objet d’une jurrisprudence mouvante, qui adopte au fil des années des positions évolutives et même contradictoires, ce qui amène donc à une grande prudence dans l’examen des conditions de mise en cause de responsabilité.

A l’heure actuelle, le droit belge autorise qu’un tiers attaque un organe directement en responsabilité pour avoir commis une faute acquilienne lui ayant causé un préjudice, dans les conditions suivantes :

- si le tiers préjudicié est un créancier contractuel de la société, il pourra mettre en cause la responsabilité de l’organe, à condition que :

o la faute commise soit non seulement une faute contractuelle mais aussi un manquement à l’obligation générale de prudence qui s’impose à tous,

o le préjudice soit autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat, c’est-à-dire autre que la privation de l’avantage que le cocontractant devait normalement retirer si le contrat avait été correctement exécuté (cf. NOTE 1).

La responsabilité acquilienne doit donc exister à part entière à côté de la responsabilité contractuelle, ce qui amène en pratique à une quasi-immunté de l’organe. En effet, dans le cadre de l’exécution d’un contrat, l’hypothèse pour le tiers de subir un préjudice autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution contractuelle (la privation de l’avantage économique censé résulter du contrat), est pratiquement inexsitante.

- si le tiers préjudicié n’est pas un créancier contractuel de la société : le tiers pourra agir en responsabilité si la faute de gestion de l’organe est également une faute acquilienne ou une violation d’une norme légale (cf. NOTE 2). En d’autres termes, les tiers non-contractuels pourront engager la responsabilité du dirigeant s’il a pris un acte pour la société en traduisant « un mépris et une indifférence à l’égard des tiers » (cf. NOTE 3)

4. Responsabilité acquilienne du dirigeant vis-à-vis de la société

Les règles spécifiques en matière de responsabilité du dirigeant n’excluent pas la mise en cause de sa responsabilité de droit comme de l’article 1382 du Code civil : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La faute de droit commun est définie comme suit « tout manquement, si minimum soit-il, volontaire ou involontaire par acte ou par omission, à une norme de conduite prééxistante, dont la source peut se trouver soit dans la loi ou des les règlements édictant une obligations, déterminée ou indéterminée, soit dans une série de règles de la vie sociale, de morale, de convenance ou de technique, non formulée en texte législatifs : loyauté, bienséance, sang-froid, prudence, difigence, vigilence, déontologie professionnelle, etc.
».

Le dirigeant d’entreprise est cependant un débiteur contractuel de la société, puisque mandataire. Dés lors la mise en cause de sa responsabilité par la société elle-même sur base de l’article 1382 du Code civil ne pourra se faire que dans les conditions du cumul de responsabilité, énoncées ci-dessus : la faute doit être également un manquement à l’obligation générale de prudence qui s’impose à tous et le dommage doit être autre que celui dû à la mauvaise exécution du contrat. Il en découle une quasi-immunité de responsabilité sur cette base légale.

Cependant, la matière de la responsabilité n’étant pas d’ordre public, la société et son dirigeant peuvent contractuellement étendre le champ de la responsabilité de ce dernier en le soumettant également à l’article 1382 du Code civil. Dans l’arrêt précité du 26 novembre 2006, la Cour de cassation précise que « l’impossibilité de principe pour les parties contractantes, d’invoquer les règles de la responsabilité extracontractuelle dans le cadre de leurs relations contractuelles, découle de l’hypothèse que, sauf stipulation contraire, les parties au contrat ont voulu soumettre leur relation contractuelle et ses manquements aux seules règles de la responsabilité contractuelle » (cf. NOTE 4) .

5. Exception à la quasi-immunité du dirigeant au point de vue de sa responsabilité extracontractuelle : le faute reprochée est aussi une faute pénale

Le droit pénal étant d’ordre public, le dirigeant ayant commis une faute pénale ne peut échapper à l’action civile en découlant en raison du cadre contractuel existant entre la société et lui. Selon l’arrêt de la cour de cassation « la circonstance qu’une infraction est commise lors de l’exécution d’un contrat, ne fait, en principe, pas obstacle ni à l’application de la loi pénale ni à celle des règles relatives à la responsabilité civile résultant d’une infraction pénale » (cf. NOTE 5).

Si la faute de droit commun est également une faute pénale, le tiers comme la société auront intérêt à fonder leur action en responsabilité sur l’article 1382 du Code civil (notamment car l’indemnisation en matière contractuelle est limitée au dommage prévisible (sauf dol), alors que l’intégralité du préjudice doit être indemnisée en matière extracontractuelle).

La société aura également intérêt à fonder son action en responsabilité contre le dirigeant sur base de l’article 1382 du Code civil lorsque décharge a été accordée au à ce dernier pour l’exercice social pendant lequel la faute a été commise (v. chapitre sur la décharge).

Exemples de fautes pénales applicables au droit des sociétés : l’aveu tardif de faillite, l’escroquerie, l’abus de bien sociaux, le faux bilan, le non-paiement de salaire, etc.

6. Exemples de fautes extracontractuelles

6.1. La violation de la loi :

Partant de la définition précitée, il est évident que la violation de la loi est une faute civile et les exemples d’application sont innombrables.

Un manquement au Code des sociétés pourra donc engager la responsabilité du dirigeant (en outre de la responsabilité spécifique dont question supra) sur la base de l’article 1382 du Code civil.

6.2. Violation de l’obligation générale de prudence et de diligence

Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, il a été jugé que le dirigeant « ne pouvait ignorer que ses dépenses privées, somptuaires, abusives et indûment supportées par la société (importantes dépenses d’hôtel et de restaurant dans les lieux et en période de vacances, à la côte belge et dans le sud de la France, importantes dépenses de jeux au casino, etc., obéraient la situation de la jeune société (…). Ce comportement était fautif et sur pied de l’article 1382 du Code civil, entraîne sa responsabilité » (cf. NOTE 6).

6.3. Violation des règles de « bonne conduite »

Les règles de bonne conduite sont les règles adoptées au sein de l’entreprise, en outre des statuts, définissant de manière plus précise l’exercice du mandat du/des dirigeant(s), les du Code de Corporate Governance (pour les sociétés cotées) et le Code Buysse (pour les sociétés non cotées).

De manière générale, on retiendra que ces règles imposent au dirigeant un comportement adéquat impliquant par exemple d’assister avec assiduité aux réunions de l’organe de gestion (conseil d’administration), d’être intègres, éviter les conflits d’intérêts, être compétents et de respecter les obligations d’information des actionnaires dans certaines circonstances particulières édictées par le Code des sociétés.

6.4. La poursuite d’une activité déficitaire

La poursuite d’une activité déficitaire constitue une faute de gestion et une faute de droit commun, lorsque « le défaut de prévoyance et de précaution est, dans le contexte de la situation déficitaire de la société, de nature à cause un dommage aux tiers avec lesquels la société contracte ou a contracté, et que les administrateurs ne peuvent ignorer » (cf. NOTE 7).

En d’autres termes, l’organe de gestion manquera à l’obligation générale de prudence qui aurait commandé de mettre fin à l’activité sociale déficitaire, alors que les difficultés étaient irrémédiables.

Il n’y aura pas par contre de faute lorsqu’il y avait compte tenu des circonstances des chances étayées de redressement (si une procédure de réorganisation judiciaire pourrait redresser la situation avec succès, ou encore s’il y a des chances de reprises des actifs, du fond de commerce, d’une branche d’activité, etc.) (cf. NOTE 8).

Cette hypothèse de mise en cause de la responsabilité de l’organe de gestion englobe plusieurs cas spécifiques de mise en cause de la responsabilité du dirigeant et fait apparaître les interactions obligatoires entre l’organe de gestion et l’assemblée générale, tout au long des difficultés de l’entreprise :

- l’obligation prévue par l’article 9 de la loi sur la faillite de faire aveu de faillite dans le mois de la constatation de la cessation de paiement (v. infra) ;

- la faute consistant à avoir contracté en sachant ou ne pouvant ignorer que la société ne pourrait pas faire face aux engagements conclus,

- l’obligation de convoquer une assemblée générale lorsqu’à la suite de pertes, l’actif net de la société est réduit à la moitié, ou au quart, du capital social (article 633 du Code des sociétés). L’ordre du jour proposé à l’assemblée générale est de décider de la dissolution de la société ou de proposer des mesures de redressement.

Dans ces hypothèse, la décision de mettre fin à l’activité sociale appartient à l’assemblée générale, puisqu’elle s’apparente à une décision de dissolution de la société avec sa liquidation préalable (que ce soit volontairement ou par l’effet d’une décision de justice déclarative de faillite).

L’organe de gestion devra donc tout au long des difficultés de la société informer dûment l’assemblée générale sur la situation de l’entreprise. Si la situation devient irrémédiable et que les hypothèses de redressement, de reprise, etc. ont échoué, il devra proposer à l’assemblée générale (sur base de l’article 633 du Code des sociétés ou en convoquant une assemblée générale pour ne pas voir sa responsabilité engagée pour poursuite d’une activité déficitaire ou sur base des autres fondements ci-après) avec pour ordre du jour l’arrêt de l’activité sociale, la mise en liquidation et la dissolution de la société ou l’aveu de faillite. Une fois cette décision adoptée par l’assemblée générale, ce sera à l’organe de gestion de poser les actes d’excution (clôturer l’activité, terminer les contrats en cours, informer les fournisseurs, procéder aux licenciements, à la résiliation des contrats, etc., ou faire aveu de faillite)

6.5. Avoir contracté en sachant (ou ne pouvant pas ignorer) que la société ne pourrait pas faire face à ces engagements

Commet une faute acquilienne l’organe qui conclut un contrat alors qu’il sait ou qu’il devait savoir que la société ne pourrait pas faire face à ses engagements. Cette hypothèse rejoint souvent celle de la poursuite d’une activité déficitaire, développée ci-dessous.

6.6. L’aveu tardif de faillite

L’article 9 de la loi du 8 août 1997 sur la faillite prévoit que le commerçant doit faire aveu de faillite dans le mois de la date de cessation de paiement.

Pour que sa responsabilité soit engagée, il doit être démontré de manière certaine que l’organe pouvait et devait avoir conscience du fait que la société se trouvait en état de faillite (cf. NOTE 9).

Toute la difficulté sera de pouvoir déterminer la date à partir de laquelle le délai d’un mois commence à courir.

Pour rappel, l’état de faillite existe lorsque la société :

- la société est en état de cessation persistante de paiement : la condition de persistance de l’impossibilité de payer une ou plusieurs dettes exigibles et non contestées, écarte les difficultés passagères de liquidités comme constitutives d’un état de faillite,

- voit son crédit être ébranlé : ce qui signifie qu’une certaine méfiance s’est installée vis-à-vis du commerçant : la banque dénonce le crédit, les créanciers intentent des actions en justice ou des mesures conservatoires, le refus de contracter, de livraison de fournisseurs ou l’exigence de ceux-ci de recevoir le paiement intégral avant la livraison, le refus de termes et délais pour paiement des dettes, etc.

Il est premièrement difficile pour l’organe de gestion de déterminer quand ces conditions, mouvantes et évolutives, sont remplies à une telle date. Ensuite, du point de vue des créanciers qui voudraient intenter une action en responsabilité, il faudra examiner les pièces comptables, les circonstances relatives à la gestion de la société et tous les aspects pécuniers, humains, procéduriers, etc. pour tenter de déterminer une date à laquelle l’organe de gestion pouvait et devait savoir que la société était en état de faillite, faisant courir le délai d’un mois dans lequel l’aveu de faillite devait être fait.

Il est de l’intérêt des créanciers impayés de tenter de faire déclarer la date de la cessation de paiement le plus longtemps possible avant le jugement déclaratif de faillite (dont la date sera à défaut de précision autre la date de la cessation de paiement), afin de tenter de pouvoir exploiter le délai d’un mois pour engager la responsabillité de l’organe de gestion.

6.7. Démission du dirigeant portant préjudice à la société

S’il est admis que le dirigeant peut à tout moment renoncer à son mandat, il ne peut le faire dans des conditions qui seraient préjudiciables pour la société compte tenu des circonstances. Ce sera notamment le cas lorsque la démission cause une publicité préjudiciable à la société, ou lorsque suite à sa démission le nombre d’administrateurs au sein du conseil d’administration devient insuffisant (en vertu des statuts ou du code des sociétés) pour la prise de décision.

Dans cette hypothèse, le dirigeant devra rester en fonction, même s’il a démissionné, jusqu’à ce qu’un remplaçant (nommé ou coopté) soit nommé pour le remplacer.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles




Notes:

(1) Cass., 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, p. 376 et concl. Mahaux ; R.G.A.R., 1974, n° 9317 et note J.-L. Fagnart, R.W., 1973-1974, 1597 et note J. Herbots, R.C.J.B., 1976, 15 et note R.O. Dalcq et F. Glansdorff ; jurisprudence qui après des revirement et évolutions jurisprudentielles a été confirmée par Cass., 29 septembre 2006, R.W., 2006-2007, p. 1717 et Cass., 27 novembre 2006, R.A.B.G., 2007, p. 1257, Pas., 2006, 2485.

(2) P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, « Examen de jurisprudence, les sociétés commerciales », R.C.J.B., 1993, p. 639 et suivantes et spécialement 739 ; Civ. Gand, 26 mars 1993, RDC, 1993, p. 935.

(3) Ibidem, voir également Bruxelles, 15 mars 1992, R.W., 1991-1992, p. 575 ; Cass., 29 juin 1989, p. 178 ; T. TILQUIN, « La société privée et la société faisant appel à l’épargne publique, évolutions récentes », RDC, 1993, p. 138.

(4) Cass., 27 novembre 2006, R.A.B.G., 2007, p. 1257, Pas., 2006, 2485 ; v. P. Wery, « l’option des responsabilités entre parties contractantes », in S. Stijns et P. Wery, Les Rapports entre les responsabilités contractuelles et extracontractuelles, Bruxelles, la Charte, 2010, p. 244 – 245, cité par J.-P. Goffin, « les responsabilités des administrateurs en pratique », in Séminaire Van Ham et Van Ham du 15 mai 2012, L’administrateur de société, p. 13, n° 10.

(5) Cass., 26 octobre 1990, R.C.J.C., 1992, p. 497.

(6) Bruxelles, 28 avril 2004, J.T., 2004, p. 800.

(7) P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, « Examen de jurisprudence, les sociétés commerciales », R.C.J.B., 1993, p. 786 ;

(8) P. VAN OMMESLAGHE et X. DIEUX, « Examen de jurisprudence, les sociétés commerciales », R.C.J.B., 1993, p. 785 et Bruxelles, 17 avril 1987, JLMB 1987, 644, qui considère que la poursuite de l’activité est crédible s’il existe des chances de concordat ou de reprises ; cité par P. KILESTE et C. STAUDT, « La responsabilité des dirigeants d’entreprises », in Les Responsabilités d’entreprises, Ed. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2007, n° 56, p. 391.

(9) Cass., 7 septembre 1990, Pas, 1991, I, p. 17.

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