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LE RETRAIT



1. Les règles concernant l’exclusion sont applicables mutatis mutandis pour la procédure de retrait (l’article 642 C. Soc renvoie aux articles aux articles 637, 638 et 639 C. Soc, pour les SA et pour les SPRL, l’article 340 C. Soc aux articles 335, 336, al. 2 et 337 C. Soc), à l’exception des différences, nuances ou précisions suivantes :

- le Président tiendra compte en premier lieu de l’intérêt du demandeur en retrait, l’intérêt social venant en second lieu . Les justes motifs doivent être appréciés de manière plus souple que pour les procédures d’exclusion ,

- il n’y a pas de condition de seuil de participation au capital pour que l’action soit recevable. La société ou une filiale pourra même introduire l’action en retrait forcé ,

- l’action doit être dirigée contre l’actionnaire (ou les actionnaires) à l’origine des justes motifs. Le retrait s’apparente donc à la sanction d’un comportement (fautif ou non) rendant impossible la continuation de la relation entre le(s) demandeur(s) et le(s) défendeur(s).

2. Les justes motifs en matière de retrait

2.1. Exemples de Manquements du défendeur

- le refus de répondre à des demandes d’explication du demandeur, la conservation des documents sociaux au domicile privé d’un administrateur, le paiement par la société de dépenses privées de l’associé défendeur, ont été jugé comme des manquements justifiant le retrait .

- Le Président du tribunal de commerce de Charleroi a fait droit à une demande de retrait d’un associé au motif que le défendeur avait refusé d’exécuter une convention d’associé prévoyant la reprise des parts du premier par le second si la collaboration entre le demandeur et la société venait à prendre fin pour des motifs indépendants du demandeur .

Cette solution est selon nous critiquable dans la mesure où l’exécution de la convention prévoyant le rachat aurait du être demandée auprès du juge du fond et non dans le cadre d’une procédure de retrait, qui est une procédure subsidiaire. La Cour d’appel de Bruxelles a dans ce sens jugé que le non-respect d’un engagement de rachat des parts du demandeur ne constitue pas un juste motif mais devait faire l’objet d’une action en exécution forcée ou en résolution devant le juge du fond .

- le retrait a été accepté par le Président du tribunal de commerce de Namur afin de sanctionner le comportement blessant et dénigrant du groupe majoritaire d’une société à l’encontre du groupe minoritaire. Un des associés de ce dernier qui était directeur depuis trente ans avait été notamment licencié, privé de sa voiture de fonction immédiatement et s’est vu notifié par huissier l’interdiction de pénétrer au siège social, dont les serrures avaient été changées, causant une suspicion sur sa probité sans justification valable ,

- le fait pour un actionnaire d’abuser de sa position de pouvoir à l’encontre de son coactionnaire, dont il accepte le principe de racheter ses actions, mais à des conditions disproportionnées, dont l’éventuel refus par le cédant entraînerait la fin immédiate des discussions ,

- le fait pour un associé de faire rentrer un nouvel associé – plus jeune – dans son capital dans le but de reprendre à terme la société et les activités à son compte, en refusant par la suite toute proposition raisonnable de nature à concrétiser cet accord ,

- le fait pour un associé d’avoir révoqué le mandat de gérant de son coassocié qui avait apporté son fond de commerce à la société à condition de pouvoir gérer celui-ci au sein de la nouvelle structure. La cour d’appel de Gand a jugé que le fait de privé le demandeur en retrait de sa possibilité de contrôle sur son ancien fond de commerce apporté constituait un manquement à l’exécution loyale et de bonne foi du contrat de société ,

- la constitution par un associé d’une société concurrente

2.2. Exemples d’abus de majorité

La jurisprudence rappelle que le caractère subsidiaire des procédures d’exclusion ou de retrait exige que les mesures de droit commun (comme l’annulation de la décision de l’assemblée générale entachée d’abus, l’exercice du pouvoir de contrôle, le droit d’information des actionnaires, etc.) se soient révélées impuissantes, pour que le retrait puisse être demandé.

Exemples d’abus de majorité :

- deux associés décident de se liguer contre le troisième et révoquent son mandat de gérant, ses émoluments, son téléphone et l’accès à la société ,

- le refus d’un majoritaire de respecter une convention d’actionnaires prévoyant au profit du minoritaire un pouvoir votal plus important que sa participation, la révocation par le premier du mandat d’administrateur du second, et la constatation que la société était gérée au bénéfice du majoritaire, avec détournements d’actifs ,

- l’octroi à eux-mêmes par les administrateurs représentant le groupe majoritaire de management fees très importants, dont la véracité étai douteuse, et alors que la société connaissait des difficultés financières (rentrant dans les conditions de l’article 633 C. soc). Le Président constata que la société était géré au détriment des minoritaires qui étaient dans une situation intenable, sans que ceux-ci n’aient à prouver le préjudice concret qu’il subissaient ,

- l’utilisation des fonds de la société par et au profit exclusif de certains actionnaires ,

- le refus systématique des actionnaires majoritaires de verser des dividendes, en mettant en réserve les bénéfices distribuables, sans que ce soit justifié spécialement par l’intérêt social, et alors qu’ils s’octroyaient en leur qualité d’administrateurs des tantièmes importants. Les minoritaires craignaient en outre de voir la société vidée de sa substance au profit d’un autre groupe, dont les majoritaires faisaient partie ,

- le refus systématique d’accès à l’assemblée générale à un actionnaire ,

- l’exclusion systématique dans une société familiale détenue par trois frère de l’un deux pour les prises de décisions ,

- le non-respect des droits des minoritaires par les majoritaires : non-respect du droit d’information, négations systématiques des remarques et observations, refus d’acter celles-ci dans le procès-verbal des assemblées générales, envoi tardif des procès-verbaux de celles-ci ,

- modification des dispositions statutaires protégeant les minoritaires et, par la suite et par voie de conséquence, révocation des mandats des administrateurs représentant ceux-ci ,

- la révocation abusive des mandats d’administrateurs représentant les minoritaires .

2.3. Exemples de mésintelligences entre associés

- le refus d’un des deux actionnaires de reconnaître du que son coactionnaire détenait la moitié du capital de société ainsi que l’affection societatis de ce dernier, la révocation du mandat d'administrateur du coactionnaire, l’existence d’une double comptabilité tenue par le défendeur et l’utilisation des fonds de la société pour ses besoins personnels, causant une mésintelligence grave et persistante entre les actionnaires ,

- dans une société détenue par deux actionnaires égalitaires, l’augmentation disproportionnée de la rémunération en qualité d’administrateur de l’un d’eux, sans concertation de l’autre ,

- l’impossibilité de l’équilibre du pouvoir entre deux groupes d’actionnaires suite à la révocation des représentants administrateurs d’un d’eux, causant des frictions répétées ,

- le refus de communiquer entre associés autrement que par leurs conseils et le refus de donner des explications au sujet de certains engagements pris au moment où la société était en cours de formation.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans



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