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La responsabilité des fondateurs de société commerciale



Les fondateurs sont les personnes qui comparaissent devant le notaire chargé de rédiger l’acte constitutif de la SA, de la SPRL ou de la SCRL. Ils peuvent à cet égard être représentés par des mandataires. Les fondateurs se distinguent au point de vue juridique des promoteurs, c’est-à-dire ceux qui ont pris des engagements au nom de la société en formation (voir la fiche sur les engagements pris au nom d’une société en formation).


a) Responsabilité pour la régularité de la constitution de la société

Les fondateurs sont tenus :

•de la partie du capital non valablement souscrite, au motif que les souscriptions sont nulles, sans valeur ou parce qu’elles ne sont pas susceptibles de représenter le capital (cela ne concerne pas l’insolvabilité de certains fondateurs) ;

•de la différence entre le montant minimum légal du capital et le total des souscriptions ;

•des libérations obligatoires (1/4 de chaque titre correspondant à des apports en nature et libération totale dans les 5 ans) ;

•des engagements pris par des mandataires ou porte-forts qui n’auraient pas été valablement conclus ;


Les fondateurs sont responsables :

•du préjudice causé suite à la déclaration de la nullité de la société (v. chapitre concernant la nullité de la société). Ce préjudice est tout à fait concevable dans la mesure où la nullité de la société entraîne sa dissolution et sa liquidation, donc une situation de concours qui peut causer préjudice aux créanciers qui ne seraient pas payés suite à l’insuffisance d’actifs. Les fondateurs peuvent également être préjudiciés si l’irrégularité provient de l’un d’eux, de même que les actionnaires qui verraient le remboursement de leurs apports devenir impossible suite à la liquidation.

•de l’absence ou de la fausseté des mentions obligatoires dans les souscriptions et dans l’acte de société.

Cette hypothèse constitue également une cause de responsabilité pénale des fondateurs qui sont punissables d’une amende de 50 € à 10.000 € (article 91, 2° du Code des sociétés), ainsi que punissables pour escroquerie ou faux en écritures (articles 496 et 196 du Code pénal), pour lesquels l’intention de nuire doit être prouvée.


b) Responsabilité pour surévaluation manifeste des apports en nature

Nous renvoyons au chapitre sur les apports pour la notion d’apport en nature.

L’apport est considéré comme fictif ou surévalué lorsqu’il ne contribue en rien à la formation du capital de la société.

Les fondateurs devront être particulièrement vigilants lorsqu’ils réalisent leur rapport concernant la détermination de la valeur de l’apport en nature. En effet, cela peut leurrer les tiers et particulièrement les créanciers dont le capital est le gage commun.

Comme nous l’avons expliqué dans le chapitre concernant les apports en nature, l’évaluation de leur valeur est soumise à un réviseur d’entreprises qui, dans un rapport circonstancié, doit décrire l’apport, se prononcer sur les méthodes d’évaluation utilisées et indiquer quelle est la rémunération qui sera effectivement attribuée aux apporteurs en contrepartie.

Cependant, les fondateurs, qui doivent également rédiger un rapport, peuvent s’écarter des conclusions du réviseur d’entreprise à condition qu’ils en expliquent les raisons dans leur rapport spécial.

Dans cette hypothèse, il est donc possible qu’un apport soit surévalué ou même totalement fictif mais les formalités du Code des sociétés concernant les apports en nature auront au moins permis de rendre public l’écartement des conclusions du réviseur d’entreprises (disponibles au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société a son siège social) et donc de protéger les tiers en leur donnant accès à cette information.

Les fondateurs sont responsables solidairement et personnellement de la surévaluation des apports et devront donc palier soit à l’insuffisance d’actif si cette surévaluation entraîne un préjudice pour les tiers, soit à l’insuffisance de la souscription du capital social si la réévaluation de l’apport en nature a pour conséquence que le montant du capital minimum à souscrire n’est pas atteint.


c) Responsabilité des fondateurs pour insuffisance manifeste du capital pour assurer l’activité sociale pendant deux ans, en cas de faillite dans les trois ans de la constitution de la société

Si la société est déclarée en faillite dans les trois ans de la constitution de la société, les fondateurs pourront être tenus de payer le passif social s’ils n’avaient pas lors de la constitution prévu un capital suffisant pour exercer l’activité sociale pendant au moins deux ans.

Cette mise en cause de la responsabilité des fondateurs est intimement liée à la caractéristique de suffisance de la capitalisation de la société. La notion de capital ne se limite pas au capital social comme poste du bilan mais à tous les moyens de financement qui ont été mis à la disposition de la société au début de son existence pour assurer au moins deux ans d’activité (le capital social, les prêts, crédits bancaires, avances associés, garanties des associés, etc.).

Lorsqu’il examinera si le financement de la société était suffisant, le juge devra se livrera à un exercice très périlleux dans la mesure où il devra se placer dans la peau des fondateurs lors de la constitution de la société pour apprécier si les prédictions et le financement de la société étaient raisonnablement évalués. Il se référera particulièrement pour cette analyse au plan financier, qui doit être obligatoirement remis au notaire lors de la constitution de la société.

S’il apparaît sur base de la lecture du plan financier que le lancement de l’activité de la société était irréfléchi avec le financement qui était alloué, la responsabilité des fondateurs sera engagée. Ce que le juge punira est donc l’imprévoyance fautive, le défaut de caractère raisonnable et consciencieux lors de l’étude de l’importance du financement des activités commerciales de la société.

Si le plan financier est cohérent et raisonnable, il importe peu, pour la mise en cause de la responsabilité des fondateurs, que les modalités qu’il prévoyait aient été parfaitement respectées ou non. L’examen de la responsabilité des fondateurs se limite au caractère manifestement suffisant ou non du financement de la société et non à la manière dont le plan financier aura été respecté par les administrateurs ou gérants (même s’ils sont également fondateurs) partiellement ou totalement. La responsabilité des administrateurs pourrait être engagée mais pas celle des fondateurs.

L’action en responsabilité étant liée à la faillite de la société, il appartiendra au curateur d’introduire cette action au nom et pour compte de la société et, partant, de la masse, devant le tribunal de commerce dans le ressort duquel la société a son siège social. La question de savoir si les créanciers individuels pourraient intenter également cette action après la clôture de la faillite, est controversée.

Ce cas de mise en cause de responsabilité des fondateurs présente cette caractéristique que le lien de causalité est supposé présent à partir du moment où le juge constate que le capital était manifestement insuffisant. Le juge ne doit donc pas, à partir du moment où il constate cette insuffisance, examiner si la faillite est due à d’autres causes, comme le défaut de paiement d’un important débiteur, la survenance d’autres évènements, etc.


d) Souscription par la société de ses propres actions

Ce cas de responsabilité ne concerne pas que les fondateurs mais tous ceux qui ont signé l’acte constitutif, incluant donc également les souscripteurs. (v. chapitre sur la constitution de la SA).

Une société ne peut souscrire à ses propres actions, ni directement ni par l’intermédiaire d’une filiale, ni par une personne agissant en son nom mais pour le compte de la société ou de la filiale (Article 217 du Code des sociétés pour les SPRL, article 354 du Code des sociétés pour les SCRL et article 442, §1er pour les SA ). Si la société contrevient à cette interdiction, la souscription n’est pas valable et les souscripteurs seront responsables de la libération des actions / parts sociales souscrites (Article 229, 3°, qui renvoie à l’article 217 du Code des sociétés pour les SPRL, article 405, 4° qui renvoie à l’article 354 pour les SCRL et article 457 qui renvoi à l’article 442 du Code des sociétés pour les SA.).

Par contre l’opération sera valable si le tiers agissait en son nom propre mais pour le compte de la société ou de la filiale, même s’il y a après changement de titulaire (Article 217, 2° du Code des sociétés pour les SPRL, article 254, a. 2 du Code des sociétés pour les SCRL et article 442, §1er, al. 2 du Code des sociétés pour les SA.).


e) Mise en œuvre de la responsabilité des fondateurs et portée de la solidarité

Pour les hypothèses concernant la souscription et la libération du capital, seule la société peux introduire l’action en responsabilité contre les fondateurs.

Pour les autres cas de responsabilité, tous les intéressés peuvent introduire pareille action en responsabilité, sans distinction (les tiers, actionnaires, la société).

L’action peut être fondée sur la responsabilité de droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil mais dans ce cas, les trois éléments constitutifs de la responsabilité (faute, dommage et lien de causalité entre la faute et le dommage) devront être prouvés par le demandeur. Par contre, si l’action est fondée sur les dispositions du code des sociétés violées par les fondateurs, ceux sont présumés irréfragablement fautifs dès qu’une des règles qui concerne la constitution de la société n’est pas respectée, et le lien de causalité entre la faute et le préjudice est présumé démontré également. Au point de vue de la réparation du dommage, il existe également une différence entre la responsabilité de droit commun qui entraîne l’obligation pour le responsable de réparer l’intégralité du dommage, et la responsabilité spéciale du Code des société, dont les dispositions prévoient l’étendue de la réparation qui peut être intégrale, partielle (comme par pour tout apport non valablement souscrit, les autres fondateurs seront réputés souscripteurs de la part du capital non valablement souscrite) ou fixée par le juge qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation.

La solidarité a pour conséquence qu’un fondateur qui n’a pas commis de faute ne pourrait échapper à l’obligation d’indemniser le tiers ou la société pour le préjudice subi. Tous les fondateurs sont tenus au point de vue de l’obligation à la dette. Une fois que le préjudice a été réparé (éventuellement en totalité par un seul fondateur), la contribution à la dette se fait au prorata de la participation de chaque fondateur dans le capital, sauf en cas d’insuffisance de capitalisation pour exercer l’activité sociale pendant deux ans, cas où le juge a un pouvoir discrétionnaire de choisir la répartition de la contribution à la dette entre les fondateurs.

Le délai de prescription pour intenter une action en responsabilité des fondateurs n’étant pas prévu par le Code des sociétés, il convient de se référer à l’article 2262bis, alinéa 2 du Code civil qui prévoit un délai de cinq ans à dater du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable (conditions cumulatives) ou dans tous les cas dans un délai de vingt ans à dater du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage.

L’action doit toujours être intentée devant le tribunal de commerce.




Pierre Paulus de Châtelet
Avocat au barreau de Bruxelles - Association De Caluwé & Horsmans



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